« ENTRE HOLLANDE ET SARKOZY, JE N’AI AUCUN ÉTAT D’ÂME »

vendredi 4 mai 2012.
 

Nicolas Sarkozy estime que Marine Le Pen “est compatible avec la République”. Que vous inspirent ces propos ?

Le tournant que prend cette campagne présidentielle dans l’entre-deux-tours me paraît très préoccupant. Cette radicalisation, comme si la question centrale en France était de combattre un ennemi de l’intérieur qui serait l’étranger, le musulman, est insupportable. La droite devient de façon très assumée xénophobe et autoritaire.

Nicolas Sarkozy a toutefois assuré qu’il n’y aurait ni accord ni ministres FN dans son gouvernement, s’il est réélu… C’est la logique de la droite depuis un certain temps. Mais je pense qu’aux législatives, il y aura des expérimentations locales. En réalité, le flirt entre Sarkozy et Le Pen montre qu’une recomposition de la droite est en cours, à l’italienne.

François Hollande a dit dans Libération “vouloir convaincre les électeurs du Front national”. Cette démarche est-elle légitime ?

A gauche, nous devons rassembler le peuple autour d’un projet de transformation sociale. Il faut s’adresser aux électeurs du Front national, de la même manière que nous l’avons fait dans notre campagne en disant “vous vous trompez”, “vous portez vos suffrages vers un parti qui tourne le dos à vos intérêts”… Nous aurions aimé être moins seuls dans cet affrontement politique.

Le FN était l’une des principales cibles de Jean-Luc Mélenchon. Votre plus grosse déception est-elle de ne pas être passé devant au premier tour ?

Oui. Mais le résultat obtenu par le Front de gauche constitue un bon score. Si on nous avait dit en juillet dernier – quand nous étions entre 3 et 5% dans les intentions de vote – qu’on terminerait à 11%, tout le monde aurait signé ! C’est un socle substantiel, loin de l’éparpillement de 2007, un point de départ. Une force politique nouvelle est née.

Les sondages vous attribuaient tout de même un score plus élevé…

Oui, cela montre le potentiel qui est le nôtre et l’enthousiasme qu’a suscité notre campagne. Au dernier moment, le traumatisme du 21 avril 2002 a resurgi. Une partie des électeurs a préféré bétonner le score de premier tour du candidat socialiste.

Pour le second tour, le Front de gauche appelle à “battre Sarkozy” et donc voter François Hollande. C’est loin d’être un plébiscite pour le socialiste. Pourquoi ?

Il ne faut pas mélanger les étapes : il s’agit d’un soutien sans hésitation, avec toutes nos forces, à la défaite cinglante de Nicolas Sarkozy. Entre François Hollande et Nicolas Sarkozy, je n’ai aucun état d’âme, c’est François Hollande. Après, ce n’est pas un blanc-seing qui lui est donné comme si, en quelques heures, nous avions modifié notre appréciation de ce qu’est le projet du PS. Il y a une nuance. Nous n’en démordons pas, il est temps d’affronter le pouvoir des marchés financiers. Mais j’appelle à voter François Hollande sans réserve. La casse sociale, le conservatisme et la mise en cause de nos libertés avec la droite au pouvoir doit cesser.

Dans l’entre-deux-tours, le Front de gauche va mener une campagne “autonome”. Vous ne serez donc pas dans des meetings aux côtés de François Hollande ?

Jean-Luc Mélenchon a été invité au meeting de Bercy dimanche, mais il n’ira pas. On le savait. Le Front de gauche fait une campagne autonome. Un tract national, un engagement militant, un rendez-vous place Stalingrad le 4 mai au soir : nous mettons nos forces dans la bataille. Pas une voix ne doit manquer pour mettre une bonne gauche à cette droite dure.

Mercredi, François Hollande a déclaré que “les résultats du premier tour étaient un bon indicateur” sur le choix du Premier ministre et souligné le “bon score” de Jean-Luc Mélenchon. Comment interprétez-vous ces propos ?

Le bon score du Front de gauche a sans doute invalidé des hypothèses de Premiers ministres qui seraient à la droite du PS. Je pense que notre score a réduit les chances de ce type de candidature. Tant mieux.

Il semble acté qu’aucun membre du Front de gauche ne participera à un éventuel gouvernement Hollande. Est-ce une certitude ?

A l’heure actuelle, nous l’avons dit et redit, les bases d’un accord politique n’existent pas. Mais notre ambition, c’est que la future majorité soit la plus à gauche possible à l’issue des législatives. Nous voulons modifier le rapport de force au sein de la gauche, condition de la réussite d’un gouvernement au service du plus grand nombre.

Il n’y aura pas d’accord avec le PS avant les législatives, sauf dans les circonscriptions où le FN est haut ?

En effet, nous partons sous nos propres couleurs. Mais, et c’est une tradition républicaine ancienne, nous avons fait une proposition au PS et à Europe Ecologie – Les Verts : se mettre autour d’une table pour regarder quelles sont ces circonscriptions où nous devrions nous unir face au danger FN.

Dans une interview à France Soir, vous dites que les “relations ne sont pas très bonnes” avec le PS. C’est-à-dire ?

Nous avons des différences programmatiques substantielles que chacun a pu voir à l’occasion de ce premier tour. Mais nous allons nous battre pour que la gauche réussisse, notre attitude sera constructive. Si la gauche se plante, qu’elle n’apporte pas de réponses aux catégories populaires notamment et à la sortie de crise, une droite très dure pourrait revenir au pouvoir en 2017. Nous sommes devant une lourde responsabilité.

Quelles sont les relations entre François Hollande et Jean-Luc Mélenchon ?

Ça n’est pas une histoire d’hommes, une affaire personnelle. Ce qui importe, ce sont les visions politiques, les programmes. Jean-Luc Mélenchon a quitté le Parti socialiste en raison du virage social-libéral opéré par ce parti et auquel François Hollande a participé. En réalité, leurs relations sont marquées par ce fait : ils incarnent deux orientations différentes à gauche.

Jean-Luc Mélenchon va-t-il se présenter à Paris ?

Le sait-il lui-même ? Rien n’est moins sûr… C’est à lui de prendre la décision. C’est un “plus” s’il est à l’Assemblée nationale, mais s’il n’y est pas, il garde toute sa voix et sa place centrale dans le Front de gauche. La vie politique aujourd’hui ne se résume pas à l’Assemblée nationale.

Quel est l’avenir du Front de gauche ? Envisagez-vous, à terme, de créer un seul grand parti ?

On a un travail de novation à produire sur les formes politiques adaptées pour faire prospérer la dynamique engagée dans la campagne présidentielle. J’ai toujours plaidé pour une force politique rassemblée mais je pense que l’étape qui s’ouvre n’est pas encore celle de la dissolution des partis dans une entité commune unique. Tout le monde est convaincu qu’il faut trouver la nouvelle architecture et personne n’a la réponse clé en main.

Ça ne vous inquiète pas que personne n’ait la réponse ? Au contraire, c’est plutôt rassurant. Cela veut dire qu’on va l’élaborer ensemble et qu’on va produire quelque chose de neuf. Ce qui compte, c’est la détermination politique à élargir et transformer le Front de Gauche. Je la crois très forte.

Vous avez été porte-parole de Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne. Quelles sont vos relations avec lui ?

Ce sont des relations amicales parce qu’on se connaît depuis quinze ans. On a cette chance d’être complémentaires parce que très différents dans nos profils, nos styles, nos parcours politiques. On ne vient pas du même endroit. Notre différence est une richesse pour le Front de gauche. Mais le socle politique qui nous unit est solide. Ça s’est beaucoup vu durant cette campagne. On ne s’est pas appelé tous les quatre matins pour savoir quoi dire et pourtant, Jean-Luc ne m’a pas dit une seule fois qu’il ne se reconnaissait pas dans ma parole. On a parlé la même langue, il n’y a eu aucune cacophonie alors même que le Front de Gauche est un espace divers, assumé comme tel. Cette présidentielle a validé un rapport de confiance.

Avez-vous pris du plaisir dans cette campagne ?

Oui ! C’est une campagne militante inédite, je n’ai jamais vu ça de toute ma vie politique. J’ai eu le sentiment qu’il y avait un réveil du peuple de gauche. Et pour moi, ce n’est qu’un début, c’est le commencement d’un processus à vocation majoritaire qui renoue avec l’espérance à gauche. J’ai senti qu’on enclenchait quelque chose.

Vous avez 38 ans, vous êtes une femme engagée… Certains voient en vous la relève politique. Clémentine Autain, candidate en 2017, est-ce envisageable ?

On n’en est pas là.

Comment envisagez-vous votre avenir politique ?

Depuis quinze ans, je suis engagée pour défendre l’idée d’un rassemblement de l’autre gauche. Je ne fais pas de la politique pour rester ad vitam aeternam dans le petit pré-carré de la gauche radicale. Il y a maintenant deux autres chantiers à mener, celui de la novation et celui de l’ambition majoritaire. Ça fait du boulot pour les années à venir ! Ma bataille, c’est de faire grandir mon espace politique. Ça ne veut pas dire que je n’ai pas d’ambition personnelle. Où je serai exactement dans plusieurs années ? Je ne sais pas. Mais j’ai 38 ans, donc tout va bien. La vie est longue !

L’interview a été réalisée par Anne-Charlotte Dusseaulx et Caroline Vigoureux pour le jdd.fr


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