Sur le 1er Mai, l’ombre de Pétain (PAR LAURENT MAUDUIT, Mediapart)

vendredi 4 mai 2012.
 

La nouvelle polémique du jour, celle qui oppose Nicolas Sarkozy à François Hollande au sujet de la fête du 1er Mai, pourrait apparaître comme une simple péripétie de la campagne présidentielle. Une péripétie secondaire, au regard des grands enjeux de l’élection, ceux qui ont trait à l’avenir d’une Europe en crise ou à ceux d’une France rongée par le chômage et la précarité. On aurait tort pourtant de ne pas s’y attarder.

Car dans sa folle équipée pour draguer les voix de l’extrême droite et transformer l’UMP en un parti de droite extrême, le président sortant a franchi un pas de plus. Un pas symbolique mais hautement révélateur, puisqu’il en est venu à imaginer une commémoration du 1er Mai qui ressemble fort à celle qu’avait conçue, en d’autres temps... le maréchal Pétain !

Nulle outrance dans ce constat ! Il transparaît des propos mêmes qu’a tenus le chef de l’Etat et de la controverse qu’elle a suscitée. Reconstituons donc d’abord la joute, pour en discerner ensuite les arrièrepensées.

Elle commence lundi matin 23 avril, au lendemain du premier tour de la présidentielle. Sortant de son siège de campagne, le champion de l’UMP annonce aux journalistes qu’il a l’intention d’organiser le 1er Mai la fête du « vrai travail ». Sa porte-parole, Nathalie Kosciusko-Morizet, précise dans la foulée que cela devrait prendre la forme d’un rassemblement à Paris, par exemple au Trocadéro.

Lors d’un meeting quelques heures plus tard à Saint- Cyr-sur-Loire, dans la banlieue de Tours, Nicolas Sarkozy s’applique ensuite à expliquer ce qu’est pour lui le « vrai travail ». « C’est celui qui a construit toute sa vie sans rien demander à personne, qui s’est levé très tôt le matin et s’est couché très tard le soir, qui ne demande aucune félicitation, aucune décoration, rien, c’est celui qui a commencé tout en bas, qui s’est hissé le plus haut possible et qui se dit : "je veux que mes enfants puissent vivre mieux que moi et commencer plus haut que moi" », dit-il avant d’ajouter : « Le vrai travail, c’est celui qui se dit : "oh, j’ai pas un gros patrimoine, mais le patrimoine que j’ai, j’y tiens, parce qu’il représente tellement de sueur, tellement de milliers, de milliers d’heures de travail, tellement de peine, tellement de sacrifices, tellement de souffrance, ce patrimoine-là, on ne me le volera pas, j’ai trimé pour ce patrimoine-là mais je n’ai pas l’intention de m’excuser d’avoir construit cette vie". C’est ça, le vrai travail ! (...) C’est celui qui dit : "toute ma vie j’ai travaillé, j’ai payé mes cotisations, j’ai payé mes impôts, je n’ai pas fraudé, et au moment de mourir, je veux laisser tout ce que j’ai construit à mes enfants sans que l’Etat vienne se servir". » Le ton est donc donné. Ayant le culot de se présenter, de nouveau, en candidat du peuple et des humbles, lui qui a arrosé de cadeaux cinq ans durant ses richissimes supporters du Fouquet’s ; ayant le front de se déguiser en candidat anti-système, lui qui a pour conseiller Alain Minc, le chef de l’Etat use d’une harangue proche de Marine Le Pen. A droite, toute ! De manière allusive, Nicolas Sarkozy suggère donc que s’il défend le « vrai travail », c’est parce que la France est aussi un pays de fainéants ; s’il en appelle aux forces vives, s’il s’adresse directement au peuple, c’est aussi parce que le pays est tiré vers le bas par les syndicats.

Attaques répétées de Sarkozy contre les syndicats

En clair, Nicolas Sarkozy annonce qu’il va organiser “son” 1er Mai – par contraste au 1er Mai des bras cassés, celui des personnels protégés et autres permanents syndicaux. Le lendemain matin, sur France Inter, son conseiller Henri Guaino poursuit la charge sur le même registre populiste. « On avait pris l’habitude de ne voir défiler le 1er Mai que les permanents syndicaux », déplore-t-il. « Vous voulez dire qu’il y aura deux fêtes, celles des travailleurs et celle des fainéants ? » lui demande le journaliste. « Non, il y aura la fête des permanents syndicaux et il y aura la fête des travailleurs », insiste Henri Guaino. Et ces mots-là viennent de loin : voilà en effet plusieurs semaines que Nicolas Sarkozy mène campagne contre les « corps intermédiaires », comme il les a appelés ; en clair contre les syndicats, dénonçant un jour la CGT, le lendemain la CFDT, et leur reprochant de « faire de la politique » plutôt que de « défendre les intérêts des salariés ».

Dès le lundi, François Hollande s’indigne à juste titre de cette campagne populiste antisociale et antisyndicale de Nicolas Sarkozy, pour draguer les voix de l’extrême droite ; de cette sorte de contremanifestation qu’il veut organiser, face à la manifestation traditionnelle des travailleurs et de leurs syndicats : « Cela voudrait dire qu’il y aurait un faux travail en France, qu’il y aurait finalement une opposition à organiser entre les travailleurs euxmêmes, ou entre les travailleurs et les chômeurs, ou entre les travailleurs et les assistés ? Non. S’il y a eu la fête du travail, c’est parce qu’il y a eu des hommes et des femmes qui voulaient se réunir », s’indigne le candidat socialiste lundi soir, lors d’un meeting à Lorient.

Dénonçant l’organisation d’une « fête des uns contre les autres », il ajoute encore : « Ça voudrait dire qu’il y aurait un faux travail en France ? Qu’il y aurait finalement une opposition à organiser ce jour-là, le 1er Mai, entre les travailleurs eux-mêmes ? Ou entre les travailleurs et les chômeurs ? Ou entre les travailleurs et les assistés ? Non ! » a-t-il conclu. Réponse claire et nette ! Et pourtant, François Hollande aurait pu dire encore plus. Car on ne peut s’empêcher de penser que cette volonté affichée par Nicolas Sarkozy d’organiser une fête du « vrai travail » le 1er Mai s’inscrit dans une filiation historique qui n’a naturellement pas échappé à son initiateur.

Car à l’origine, le 1er Mai n’est évidemment pas la fête du travail, mais celle des travailleurs. C’est la fête des opprimés contre les oppresseurs ; c’est la grande journée internationale de solidarité des travailleurs du monde entier. Faut-il que la droite sarkozyste ait perdu tous ses repères républicains pour que l’on soit conduit à devoir rappeler ce qui est aux racines de l’histoire du mouvement ouvrier ? C’est à l’occasion de son deuxième congrès, le 20 juin 1889, à Paris, que la Deuxième Internationale a voté le principe d’une journée de mobilisation et de solidarité internationale des travailleurs, suggérant qu’elle ait lieu chaque année le 1er Mai, en commémoration du début des grèves qui, trois ans plus tôt, à Chicago, aux Etats-Unis, avaient débouché sur une répression meurtrière. Avec à la clef la pendaison, pour l’exemple, des principaux meneurs des grévistes.

Henri Guaino, qui tourne en dérision les permanents syndicaux manifestant le 1er Mai, a-t-il besoin qu’on lui rappelle les noms des martyrs de Chicago ? Comme l’indique ce site, beaucoup d’entre eux étaient arrivés sur le sol américain de fraîche date en provenance d’Europe. Ils avaient pour nom – c’est leur mémoire que l’on commémore le 1er Mai –, Auguste Spies, né à Hesse (Allemagne), en 1855 ; Samuel Fielden, sujet anglais, né en 1846 ; Oscar Neebe, né à Philadelphie, en 1846 ; Michel Schwab, né à Mannhelm (Allemagne), en 1853 ; Louis Lingg, né en Allemagne, en 1864 ; Adolphe Fischer, né en Allemagne, en 1856 ; Georges Engel, né en Allemagne, en 1835 ; Albert Parsons, Américain, né en 1847.

Pétain décrète « la fête du Travail et de la Concorde sociale »

Et le 1er mai 1891, à Fourmies, dans le nord de la France, l’invitation de la IIe Internationale s’enracine dans la tradition de la gauche européenne à cause d’un nouveau drame : la troupe tire sur la foule pacifique des ouvriers qui manifeste et fait dix morts.

Or, un seul régime, depuis, a cherché à balayer cette tradition, et c’est celui du maréchal Pétain, en voulant rompre avec cette logique de solidarité ouvrière, pour instaurer une fête... du travail. Pas du « vrai » travail mais c’est tout comme... Le leader de Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly, a fait cet utile rappel, ce mardi matin, sur France Info.

Le 1er mars 1941, à Saint-Etienne, Pétain prononce d’abord un discours en forme d’adresse aux « ouvriers, techniciens et patrons français », récusant la lutte des classes, encourageant la défense du bien commun et la création de comités sociaux.

Une affiche est éditée (que Rue89 a eu la bonne idée d’exhumer) pour rendre compte de cette allocution.

Puis le 24 avril suivant, le maréchal Pétain instaure officiellement le 1er Mai comme « la fête du Travail et de la Concorde sociale ». L’églantine rouge, chère auparavant à la gauche, est remplacée par le muguet. Cette histoire-là, celle, glorieuse et cruelle, des combats ouvriers de la fin du XIXe siècle, comme celle, honteuse, du régime de Vichy, Nicolas Sarkozy ne l’ignore naturellement pas. Il faut donc prendre ces allusions pour ce qu’elles sont : un clin d’oeil appuyé et délibéré aux heures les plus sombres de la France.

C’est Jean-François Kahn qui le dit ce mardi dans un communiqué, et c’est naturellement la morale de cette controverse Sarkozy-Hollande autour du 1er Mai : « Pour la première fois depuis des lustres, on entend un discours ouvertement pétainiste sortir de la bouche d’un président de la République encore en place. Quoi qu’on pense de son challenger social-démocrate, l’hésitation n’est plus possible, plus tolérable : tous les républicains, tous les démocrates qui refusent, par patriotisme, le discours de guerre civile et de lacération de notre nation commune, qu’ils se réclament de Jaurès, de Clemenceau, de De Gaulle, de Mendes France ou de Robert Schuman, doivent voter de façon à barrer la route à l’apprenti sorcier et à permettre qu’on tourne cette page. »


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