Il est décisif que le Front de gauche poursuive la révolution citoyenne

vendredi 4 mai 2012.
 

La colère me gagnait alors que, ce 22 avril 2012, nous n’avions pas encore le résultat de l’élection présidentielle. Il se disait, dans mon entourage, que tel parti entendait tirer profit de la campagne du Front de gauche comme la navette spatiale abandonne l’avion porteur. Si tel devait être le cas, que ledit parti sache qu’il devra bien atterrir et qu’il n’y aura pas de prochain décollage  : il finira dans les archives de l’histoire.

À dire vrai, il est possible que le score finalement décevant du Front de gauche, même si c’est le premier résultat à deux chiffres depuis bien longtemps, convainque chacun qu’il a tout à perdre de l’isolement ou du ralliement à d’autres forces. Mais je préférerais à ce choix une raison politique. Ces mois de mars et avril resteront longtemps comme le deuxième temps de notre révolution arabe  : celui où des milliers de gens ont, sinon découvert, du moins expérimenté qu’ils pouvaient penser par eux-mêmes, échanger autour d’un programme neuf et réaliste, et défendre ouvertement une conception de la société étrangère au monde de la globalisation et au néolibéralisme.

Le premier coup de cette révolution a été sans doute frappé à l’occasion du référendum sur la constitution européenne  : une grande partie du peuple de gauche et d’autres ont alors dit non. Il n’est pas rien que le candidat choisi pour porter les couleurs du Front de gauche se soit affranchi par ce «  non  » et du Parti socialiste et du «  politiquement correct  ». Certes, les deux fois – pour le vote sur la Constitution et à l’occasion de cette présidentielle –, nous savons que, comme cela s’est passé en Tunisie ou en Égypte, cette révolution profite finalement à d’autres – par des mécanismes certes très différents. Nous avons été volés du vote « non » à la constitution européenne avec la complicité de celui qui, aujourd’hui, est le mieux placé pour mettre fin au style sarkozyste de la gestion libérale de la France. Avec lui, nous bouterons hors du pouvoir et sans états d’âme le locataire de l’Élysée, emportant avec lui un gouvernement ouvertement au service du capitalisme et des plus riches. Il est important que chacun puisse vérifier que le Front de gauche n’éprouve aucune sympathie pour ce monde que nous voulons transformer  : en un sens, nous ne votons pas François Hollande, nous utilisons le bulletin François Hollande.

Mais il faut analyser pourquoi c’est la sanction du vote national qui, cette fois, affaiblit la visibilité du mouvement impulsé par le Front de gauche. Bien sûr, il y a eu la mobilisation, aussi injuste qu’injurieuse souvent, de tous les partis contre le Front de gauche et son candidat, durant la dernière quinzaine. Mais pourquoi les électeurs y seraient-ils si sensibles  ? Il y a un motif plus fondamental que l’appellation vote utile (le vote d’emblée pour le candidat supposé arriver en tête de la gauche au premier tour)  : le vote Jean-Luc Mélenchon est perçu clairement comme le choix en acte d’un changement réel, un choix qui confirme la dimension révolutionnaire du Front de gauche  ; ce vote pour un véritable changement est de fait écarté, au dernier moment, au profit d’un vote rassurant, par ceux-là qui, tout en étant insatisfaits du présent, ont peur de s’engager sur une route nouvelle et se contentent de changer de pansement faute, sans doute, d’avoir suffisamment pensé le changement. Encore qu’aucune pensée préalable ne prédispose à l’acte  : il y a un courage inhérent à l’acte que seul requérait réellement le vote Front de gauche.

Il se pourrait d’ailleurs qu’il faille compter sur un autre effet de notre campagne, tout à notre honneur  : en faisant entendre la seule critique argumentée de l’extrême droite, nous avons sans doute contribué à la mobilisation de ceux qui s’y retrouvent.

Il est à présent décisif que le Front de gauche continue à être le nom d’une balise plantée bien au-delà de ce que nous pouvons attendre du candidat socialiste, qu’elle rappelle que le mouvement populaire qu’il accompagne vise un véritable changement, la révolution citoyenne… Il est décisif que le Front de gauche poursuive ses activités de débat, de démonstration, d’interprétation  : un certain nombre de nos concitoyens avouent à demi-mot qu’ils sont bien conscients qu’ils votent Hollande parce qu’ils ont peur d’un trop grand changement  ; nombreux sont ceux qui s’abstiennent, convaincus qu’aucun changement n’est possible… Ce sont ces concitoyens, et bien d’autres encore, que nous devons gagner à nos assemblées.

Il est à peu près inéluctable que François Hollande, parce qu’il n’a pas la volonté de rompre avec la logique imprimée dans les traités qui nous lient à l’Europe, même s’il va chercher à les amender, déçoive  : on ne sortira pas de la crise (qui n’est pas une crise pour les nantis) par des moyens qui ne font que reconduire ou soigner le système qui nous a amenés où nous en sommes. À ce moment-là, seul le Front de gauche pourrait empêcher la tentation d’abandon, par un mouvement de balancier, à ceux qui voudront revenir vers une droite qui pourrait alors être plus dure encore que celle que nous quittons.

Seul le Front de gauche – avec ceux qui marchent dans le même sens dans le monde – pourrait dessiner chez nous un horizon d’espérance atteignable, une utopie qui soit la solution au problème réel de notre temps  : où nous fêterons, lors de ce troisième temps attendu, la victoire de notre révolution, composant, avec tous ceux qui nous ont précédés et ceux qui nous suivront, les limites d’un monde autrement viable… N’oublions pas, ne boudons pas notre propre printemps révolutionnaire, et pour cette greffe d’espérance légitime, merci au Front de gauche et à Jean-Luc Mélenchon, son candidat.

Tribune de Marie-Jean Sauret dans L’Humanité


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