Front de gauche : La campagne qui réconcilie émotion et raison

vendredi 27 avril 2012.
 

Que s’est-il passé depuis le 29 juin 2011, jour de lancement de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche, place Stalingrad, dans le Paris populaire  ? Récit de ces mois qui ébranlèrent la politique française.

Difficile pour les journalistes qui suivent le Front de gauche, au mieux, depuis juin 2011, de comprendre la dynamique actuelle. Une campagne pensée à l’opposé du marketing publicitaire. Organisée collectivement. Préméditée au sens noble du terme. La surprise ne vient pas de son déroulement, mais de la rapidité et de l’ampleur de l’adhésion populaire. « On a fourni la preuve que l’on pouvait aller jusque-là », nous confiait récemment Jean-Luc Mélenchon, le porte-voix de ce formidable mouvement qui peut se décrypter en huit moments clefs, sans ordre chronologique.

La classe ouvrière 
sort de l’ombre

Metz, 18 janvier 2012.

Devant le carré des journalistes assis, des hommes debout aux visages burinés par les dures années de labeur lèvent la tête. Au sens propre, au sens figuré. Deux heures durant, ils découvrent cet orateur qui parle une langue qu’ils comprennent. Ils approuvent silencieusement ce politique qui leur dit de ne pas baisser les yeux, de ne plus « se sentir honteux » d’être ouvriers, employés ou techniciens. « Vous êtes le nombre. Sans vous, rien n’est possible. Regardez-vous et soyez fiers de vous. » Jean-Luc Mélenchon réhabilite la classe ouvrière que le club Terra Nova, proche du Parti socialiste, voulait disqualifier hors du champ politique au motif qu’elle était désormais volatile dans son vote. Cette « classe d’intérêt général », ignorée, niée, Jean-Luc Mélenchon la ramène en pleine lumière. Il en devient son porte-voix. Ce soir-là, de la marée des drapeaux rouges émerge une nouveauté  : le drapeau aux trois lettres CGT. « Nous sommes en train de refonder la gauche », commente le candidat dans le TGV qui nous ramène à Paris. Des signaux transmis. Des drapeaux sortis. Le poing levé. L’Internationale se chante en karaoké. Le vocabulaire révolutionnaire reprend langue.

Éduquer, construire 
une conscience de classe

Besançon, 24 janvier 2012.

Jean-Luc Mélenchon parle à quatre mille personnes du mécanisme européen de stabilité financière. Un moment rude, ardu. L’orateur sent la foule fébrile. Du haut de la tribune, il interroge  : « Vous m’avez compris  ? » Une voix masculine dit  : « Nonnnn  ! » « Alors je recommence  ! », répond du tac au tac le candidat, 
qui reprend son argumentation, point par point, avec l’approbation d’une assemblée soudain studieuse et concentrée. « Nous sommes en train de construire une conscience de classe, souligne Jean-Luc Mélenchon. Il ne suffit pas de proclamer les choses, il faut les démontrer, les expliquer. » À Besançon et ailleurs, 
les meetings sont conçus comme des moments d’informations, de formation, de décryptages, d’analyse, une université populaire réinventée. « Je ne fais pas un cours à chaque fois. Mais il faut sans arrêt poser les jalons, un thème renvoyant à un autre, à un texte, à un livre. L’idée étant que la force que nous mettons en mouvement se cultive en même temps », explique Jean-Luc Mélenchon, tout en 
griffonnant ses feuilles déjà bien noircies de phrases qui formeront l’ossature de son 
discours du soir. Partager le pouvoir, le savoir, les richesses produites. 400 000 exemplaires 
de « l’Humain d’abord » sont vendus. 
La Fnac, qui ne s’y trompe pas, l’expose 
parmi les best-sellers.

Victor Hugo s’invite

Villeurbanne, 7 février 2012.

La fin du discours approche. Les jeunes se pressent debout aux premiers rangs. Soudain, Jean-Luc Mélenchon lit un long extrait des 
Misérables de Victor Hugo. La foule retient son souffle, écoute, attentive. Les applaudissements jaillissent du fond du cœur. Ils s’adressent aussi bien à Victor Hugo qu’à celui qui ose réhabiliter la poésie dans un meeting politique. « J’y ai mis tout mon cœur. Les phrases d’Hugo sont longues, il fallait les déclamer », nous confie-t-il. Plus tard, à d’autres occasions, les vers d’Hugo ponctueront régulièrement les discours du candidat, comme un pied de nez de Gavroche à tous ceux qui estiment le « bas peuple » incapable d’apprécier la prose hugolienne. À moins que ce ne soit l’itinéraire politique de Victor Hugo qui les dérange et les démange du haut de leur mépris de classe…

Un candidat certes, 
mais un humain d’abord

TGV en direction de Montpellier, 8 février 2012.

Dans la voiture-bar, devant un gobelet de café, Jean-Luc Mélenchon regarde défiler le paysage, son petit appareil photo à la main. Il vient de terminer sa séance de travail avec ses collaborateurs. Seule l’Humanité fait ce déplacement avec lui dans le train qui le conduit à Montpellier. Dans ces moments privilégiés, le candidat est plus serein, se confie plus facilement. Jean-Luc Mélenchon en avait marre d’entendre parler du « programme populaire et partagé ». « Ça me saoulait, dit-il, c’est un truc d’organisations. » Aussi a-t-il eu l’intuition de reprendre l’intitulé de la liste des candidats du Front de gauche aux élections régionales du Nord-Pas-de-Calais  : « l’Humain d’abord  ! » « Cette belle appellation est tellement inattendue… Cela me permettait toutes les déclinaisons dans les registres inhabituels en politique. » Et le candidat n’hésite ainsi pas à prononcer le mot « amour » en plein meeting, ou à inviter les poètes tels Hugo ou Éluard. L’anti-politicien sec et froid comme les cours de la Bourse. Pas une posture, une manière d’être, qui le 
rapproche des dizaines de milliers de citoyens qu’il rencontre. Parlant de lui, les gens partagent la même réaction  : « Il est très humain, très proche de nous. » Mélenchon, la réconciliation entre l’émotion et la raison.

Jean-Luc Mélenchon pénètre dans les foyers

France 2, Des paroles et des actes, 12 janvier 2012

« Mina, tu as lu la presse ce matin  ? Même France-Soir écrit que Mélenchon a crevé l’écran, hier sur France 2 », demande le chef du service politique. Plus de trois millions de téléspectateurs ont regardé ce soir-là l’émission de 
David Pujadas. Deux mois auparavant, selon une enquête de ViaVoice, entre 40 % et 50% des sondés disaient « ne pas connaître » Jean-Luc Mélenchon ou n’avaient pas d’avis sur lui. Il a fallu que la télévision daigne lui ouvrir l’antenne pour que le grand public découvre l’homme politique, son franc-parler, son programme, sa ténacité. France 2 a été « le démultiplicateur » du phénomène. L’émission a surtout permis de valider l’idée que « l’on parle à tout le monde, pas seulement aux militants », note le prétendant à l’Élysée. Effectivement. Dès le meeting du 14 janvier, à Nantes (Loire-Atlantique), la foule des six mille personnes ne comptait désormais plus seulement le « premier cercle de militants ». Ce jour-là, des électeurs socialistes, entre autres, ont commencé à faire leur apparition. Dès lors, plus la campagne avançait, plus on mesurait la diversité des participants aux rassemblements. Le mélange de traditions politiques ou syndicales, le mélange de générations, le mélange des sexes.

La barre des 10 %, 
le symbole

Rouen, 6 mars 2012.

En avant-première, les dix mille personnes qui assistent au meeting de Rouen entendent la bonne nouvelle de la bouche de Pierre Laurent. Du haut de la tribune, le secrétaire national du PCF annonce  : « Jean-Luc Mélenchon a atteint aujourd’hui la barre symbolique des 10% d’intentions de vote. » La foule explose de joie et lance son cri de rassemblement  : « Résistance  ! Résistance  ! » encore une marque du Front de gauche contre les marchés financiers. Chacun comprend alors qu’un « tournant », selon 
l’expression du responsable communiste, est pris. Ce « quelque chose » encore indéfinissable pour beaucoup commence à se mesurer, y compris dans les enquêtes d’opinion. « Nous avons franchi un seuil de crédibilité, un seuil politique », jubile le candidat devant un public gonflé d’enthousiasme. Pierre Laurent précise  : « Nous sommes l’énergie, le moteur, le propulseur de la campagne à gauche. Sans nous, il n’y aura pas de victoire dans ce pays. C’est nous qui mettons sur la table les solutions les plus innovantes. » Le Front de gauche et son candidat s’enveloppent d’une nouvelle dimension.

Les youyous en partage

Grigny, 1er avril 2012.

Comment le Parisien a-t-il osé écrire sans vergogne que Jean-Luc Mélenchon a « manqué son rendez-vous en banlieue »  ? Sur le terrain de foot de la Grande Borne, à Grigny (Essonne), sous le soleil de ce début d’avril, des mamans ont revêtu leurs boubous, ceux que l’on réserve pour les grandes occasions. Elles ont rendez-vous, ce dimanche-là, elles et tant d’autres habitants de ce quartier qui cumule toutes les souffrances de la société, avec le candidat du Front de gauche. Il y a là Khalida, Sandrine, Amira, venues, sous les youyous, « honorer Mélenchon. Il a osé se déplacer jusque chez nous, jusque dans notre ville dite sensible. Il nous soutient, et nous aussi on le soutient », disent-elles d’une même voix. À Grigny, le taux d’abstention, en 2007, était de 35%. Omar lui aussi avait boudé les urnes. Ce technicien commercial de trente-six ans, au chômage, boit les paroles du candidat. Lequel déclare  : « Le problème n’est pas d’où l’on vient mais où l’on va. Est-ce que l’on joue les uns contre les autres ou est-ce qu’on construit la République une et indivisible, qui refuse la guerre entre soi sur la couleur de peau ou la religion  ? » Omar approuve. Il ne supporte pas « la haine » répandue par Nicolas Sarkozy. Il a choisi de voter Mélenchon. « Il nous représente nous tous, les originaires de tout horizon, de toute religion. Il représente des gens qui, comme moi, finissent les mois durement », explique Omar. Quelques jours plus tard, à Marseille, Jean-Luc Mélenchon précisera que la France « n’est pas une nation occidentale, elle ne l’est ni par son peuple bigarré ni du fait qu’elle est présente dans tous les océans du monde. La France est une nation universaliste ». Les timides youyous de Grigny s’amplifieront à Marseille.

À la Bastille, les larmes 
du vieux coco

Paris, 18 mars 2012.

Serge, la soixantaine flamboyante, ne savait pas pourquoi il tenait tant à venir « prendre la Bastille ». Au milieu du « peuple de gauche », il laisse couler la larme du vieux coco qui avait déchiré sa carte du PCF. Les mêmes larmes de bonheur inondent le visage de Nicolas, quarante-huit ans. Lui pense à ses parents, morts avant de vivre « ce mouvement », identique à celui qu’ils avaient connu, jadis, dans leur vie de vieux militants communistes. Sur cette place de la Bastille noire d’un monde qui clame et réclame l’abolition d’une Ve République de plus en plus monarchique, sur cette place où se sont écrites les grandes pages de l’histoire politique et ouvrière de la France, le Front de gauche rassemble des dizaines de milliers de personnes. Femmes et hommes. Ouvriers et petits patrons. Intellectuels et artistes. Certains sont encartés au PCF, d’autres au PG, au PS ou chez les Verts. On croise des personnes sans carte. Des jeunes et des vieux. Des enfants. C’est ici, parmi cette foule si diverse et pourtant homogène, que Serge s’exclame  : « Je viens juste de réaliser que cette campagne est une étape d’un processus révolutionnaire, plus ou moins long selon ce que le peuple décidera. » Il analyse  : « Avant, on restait le nez dans le guidon du calendrier électoral. Avec cette campagne, brusquement c’est l’horizon qui se dégage. » Récemment, nous confiait Colette Ferrat  : « Mélenchon 
représente la France que chantait Jean Ferrat. » Elle est là, sa France belle et rebelle.

Mina Kaci, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message