Le NPA en débat : Y a-t-il chez nous une détestation de la politique ?

vendredi 13 avril 2012.
 

Je voudrais essayer de reprendre, d’une autre manière, les raisons des difficultés gigantesques qui sont aujourd’hui celles du NPA. Je pense en effet que l’on rend très mal compte de ce qui se passe en parlant d’une perte de « substance », comme si le nouveau parti avait trop délayé son essence dans le bain de l’élargissement. Or, cette explication que je ne partage pas est en train de faire consensus. Elle est un peu trop facile.

Je voudrais commencer en mettant le doigt sur plusieurs propositions qui me semblent faire discrètement système :

– un candidat du « mouvement social », un candidat « comme vous »

– la révocabilité des élus et, éventuellement, les mandats impératifs

– les difficultés du NPA dues au reflux du mouvement social

Tout le monde dans le NPA ne défend pas l’ensemble de ces propositions, mais elles me semblent faire système. Quel système ?

Nous avons toujours été dans la LCR (et dans le NPA) contre les mandats impératifs pour les délégués aux congrès (et dans les élections des instances). Ils devaient pouvoir changer de position grâce au débat politique, dans la discussion politique. Sinon, pourquoi faire des congrès, avoir des instances de direction ? Pourquoi ne pas se contenter de faire des référendums dans le parti ? C’est donc bien la reconnaissance que doit se constituer un « corps politique » (le congrès – les instances de direction) qui n’est pas simplement le reflet des militants mais qui a son autonomie, sa dynamique propre.

Dans notre tradition, le congrès doit être un lieu de « fabrication » de politique. Nous avons toujours conçu ainsi toutes les instances de direction : pas de mandat impératif, pas de « révocabilité » par la base quand il y a évolution des positions. Le problème est même inverse : le fonctionnement en fraction a plutôt empêché la vocation fabricatrice de politique des instances de direction et les changements de position. Il est devenu horriblement difficile de changer de position, d’évoluer, etc. C’est une faiblesse et non pas un avantage : les instances ne jouent plus leur rôle. Le parti n’a plus de fonction ! Une idée sectaire s’est même répandu : changer de position, c’est un peu trahir. Cela a empoisonné la LCR puis le NPA. Les tendances sont devenues des instruments aux mains des dirigeants pour empêcher les militants de changer de position, pour figer les débats. On pourrait aller jusqu’à dire qu’un congrès réussi, c’est un congrès où les positions des uns et des autres ne sont pas les mêmes au début et à la fin. Un congrès où personne ne change de position est un congrès qui n’a servi à rien !

Cette nécessité d’un « corps politique » ne s’arrête pas aux portes du parti : dans le socialisme que nous voulons, il faudra aussi que les institutions permettent cette « fabrication continue » de politique. Le mandat impératif, ou la révocation des élus, la détruirait. Or, toutes les expériences historiques (révolutions française et russe) ont montré que l’on avait particulièrement besoin de « corps politiques » dans les inévitables moments de reflux ; quand les gens rentrent chez eux.

Il faut chercher-là ce qu’on pourrait appeler la « grandeur de la politique ». C’est là où elle est spécifique, où repose son caractère inventif. Elle n’est jamais un reflet du social, mais une fabrication extrêmement compliquée et spécifique. Nous avons d’autant plus besoin de cela que nous n’avons pas, par essence (ou dans notre substance), la solution à tous les problèmes : ils sont très compliqués, ils supposent un travail collectif.

Il y a plusieurs manières de supprimer la politique : en faisant simplement du « transfert de contraintes » : c’est ce que font les partis de droite et de gauche et cela se résume dans une formule bien connue : « Il n’y a pas d’autre politique possible que la mienne. » Mais il y a une autre manière de supprimer la politique : en croyant qu’elle est seulement le « reflet passif » d’une classe sociale. Dans les deux cas, la politique perd sa spécificité. Dans le cas de notre tradition, cela prend malheureusement souvent la forme du repoussant « on l’avait bien dit » qui signe l’impuissance d’agir, l’abandon de l’idée de politique. Il me semble que depuis sa création le NPA n’a su penser sa relation au Front de gauche que sous l’angle du : un jour on pourra dire « on l’avait bien dit ! ». C’est aussi de cette manière qu’il faut penser les alliances électorales.

Quelle est cette spécificité ?

Je l’ai dit : la politique doit « fabriquer ». Elle doit fabriquer quoi ? Ce qu’on pourrait appeler un « public ». Il n’existait pas préalablement, tout fait, déjà-là. En ce sens, les propositions politiques doivent créer un public. Toutes ces personnes qui étaient dispersées (des jeunes précaires, des étudiants pauvres, des paysans victimes de l’agroalimentaire, des ouvriers menacés de fermeture d’entreprise, des fonctionnaires dont les revenus baissent, des intellectuels et des artistes méprisés, des immigrés accusés tous les maux, des minorités sexuelles, etc.) à l’écoute d’une parole politique se mettent à dire : c’est bien de nous dont on parle, c’est bien à nos problèmes qu’on s’adresse. « Ces propositions-là, on peut les reprendre. » « Nous sommes représentés ! » Cet ensemble n’existe pas sans l’intervention politique.

Inutile d’avoir un débat abstrait pour savoir si un slogan comme « interdiction des licenciements » est juste ou faux dans l’abstrait, en général. Le seul critère doit être : qui le reprend ? Quel collectif a pu s’en saisir et progresser grâce à lui ? Nous revient-il, transformé, traduit d’une autre manière (qui nous ravit) ? Est-il tombé, à l’inverse, dans le vide du scepticisme au lieu de devenir une arme ?

La politique décrit donc un cercle perpétuel : nous sommes à l’écoute de ce qui se passe dans le monde du travail et dans la jeunesse (nous « sentons l’herbe pousser » disait Lénine), et nous le traduisons (c’est là qu’il faut des « corps politiques » – congrès, instances diverses du parti) dans des propositions, des slogans qui fabriquent une audience, qui nous les renvoient avec de nouvelles préoccupations, formulations, etc. Le mouvement ne s’arrête jamais. Dès qu’il s’arrête, le parti perd sa fonction et explose. Ce travail, pendant des années Olivier Besancenot a su le faire mieux que personne.

Or, on l’impression que ce que raconte le NPA et son candidat est bloqué depuis des années, que même les propositions qui ont montré leur inutilité car elles n’étaient pas reprises et transformées continuent à être lancées… tant pis si c’est dans le vide. On accusera alors la « période » d’en être responsable. Rabâchons donc jusqu’à ce que la « période » devienne favorable !

Il n’y a donc pas perte de « substance ». Il serait plus juste de dire qu’il y a perte de « subsistance » ! Nous ne savons plus traduire, traduire toujours, traduire encore, traduire à nouveau, notre anticapitalisme dans des propositions et des slogans qui font tilt, qui soient « bonnes à prendre » par tous ceux qui sont détruits par le capitalisme parce que ces propositions les aident à mieux résister, à mieux se battre, tout simplement à « exister ». Les mots politiques qui sortent de notre bouche sont morts (et dès qu’un problème est nouveau, on fait tout pour ne pas vraiment le discuter ou pour repousser la discussion, on tremble de peur – cf. le débat sur les femmes voilées dans le parti). Nous n’avons pas réussi à maintenir les propositions anticapitalistes vivantes en faisant ce travail qui est le propre d’un parti politique. C’est ce que j’ai appelé, dans plusieurs textes, la nécessité d’avoir un parti créatif et imaginatif. On m’a alors répondu que l’invention et la création n’avait pas de place dans le NPA ! Un exemple : nos réunions publiques sont d’un ennui mortel, toujours sur le même format : un ouvrier en lutte qui prend la parole, une femme, un jeune, puis le candidat… de même, notre presse est un désastre.

Le NPA fonctionne comme si on n’avait pas besoin d’un parti politique.

Évidemment, en contrepoint, Mélenchon montre chaque jour comment on fait de la politique, comment on se crée un public (« Reprenons la Bastille ! »). Il le fait avec un incroyable talent. Il n’en reste pas moins que ses propositions ne sont pas, en grande partie, les nôtres. Nous n’avons rien à voir avec la « république » et la « patrie ». Dommage qu’en sachant, lui, « fabriquer de la politique », il ait pris une place que nous aurions due occuper.

Philippe Pignarre


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