L’acteur Philippe Caubère soutient Jean-Luc Mélenchon

vendredi 20 avril 2012.
 

Vous avez décidé de voter Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi  ?

Philippe Caubère. J’étais, le 18 mars, dans la marche de Nation à Bastille. Et là, j’ai eu la révélation. Je me suis dit  : mais oui, bien sûr, évidemment, c’est ça la politique  ! La politique, c’est l’Assemblée nationale, et puis c’est la rue, surtout en France. Parler d’insurrection citoyenne, comme le fait Mélenchon, c’est juste. Il se trouve que, le même jour, j’étais au Cirque d’hiver à la rencontre des intellectuels avec François Hollande. J’avais accepté d’y accompagner Jean-Michel Ribes par solidarité avec celui qui avait subi à Nancy une agression d’intégristes. Là-bas, j’entendais dire que le discours de Mélenchon était incantatoire. Mais non  ! Si l’utopie c’est dire aux riches  : partagez ou dégagez, il est bien plus utopique de faire croire qu’on va empêcher ces mêmes riches de s’octroyer des sommes dont on a du mal à prononcer le chiffre. Jean-Luc Mélenchon rappelle que la politique c’est aussi la lutte des classes. Se retrouver avec le peuple, avec les ouvriers, les profs, les jeunes, au milieu des drapeaux rouges, avec la volonté que les choses changent, cela peut paraître simple, et même simpliste aux yeux de certains, mais c’est bien plus complexe, plus subtil et plus nécessaire qu’ils ne le croient. À la Bastille, il y a eu un courant d’air, je me suis réveillé et je me suis dit  : ils ont raison.

À quel moment vous êtes-vous décidé  ?

Philippe Caubère. Je pensais déjà à voter Mélenchon. Mais appeler les autres à le faire aussi, c’est autre chose. Ce matin encore, j’hésitais à accepter cet entretien. J’ai gardé un mauvais souvenir de l’élection de 2002. J’avais appelé, sur une page entière du journal le Monde, à voter Olivier Besancenot, et on s’est retrouvés avec Le Pen au second tour. J’ai culpabilisé, moins d’ailleurs qu’on ne m’a fait culpabiliser dans mon entourage. En fait, depuis plusieurs élections, on en est encore là, à se dire  : il faut voter contre Le Pen sans se poser de questions. C’est devenu effrayant, c’est comme si les Le Pen avaient pris la démocratie en otage, qu’on nous avait mis un pistolet sur la tempe, et qu’on ne pouvait plus avoir d’opinion politique, qu’on ne pouvait plus penser. Et si finalement voter Mélenchon était la meilleure manière de voter contre Le Pen  ? J’observe que, depuis le début de la campagne, il est le seul à « taper » sur Le Pen, et que cela a déjà fait bouger l’opinion. Si Mélenchon battait Le Pen, ce serait une très bonne nouvelle pour la démocratie française. Il faut en finir avec ce chantage, il faut voter avec son cœur, avec sa croyance, avec sa foi. Et moi, actuellement, même si j’ai de la sympathie pour François Hollande, je vote selon mon cœur, ma croyance et ma foi, pour Mélenchon.

"À la Bastille, j’ai eu la révélation. Je me suis dit : mais oui, bien sûr, évidemment, c’est ça la politique ! La politique, c’est l’Assemblée nationale, et puis c’est la rue"

Ce peuple de la Bastille dont vous parlez, vous ne l’aviez pas vu depuis longtemps ?

Philippe Caubère. Les premiers mots du discours de Mélenchon ont été  : où étiez-vous donc  ? C’est exactement ce que l’on ressentait  : enfin  ! ouf  ! ils sont là  ! nous sommes là  ! Je me suis senti bien, j’étais là où je devais être. Toute ma vie, depuis le Théâtre du Soleil, j’ai été de ces manifestations-là, de ce peuple-là. Et puis que le Parti communiste, qui avait perdu son influence, ce qui était grave, que ce parti qui n’est pas n’importe lequel regagne en influence est essentiel, capital. Il y a autre chose encore  : on nous a dit que le vote pour le Front national était le vote de gens qui souffrent. Peut-être, mais ça fait du bien de voir des gens qui, souffrant eux aussi, ont décidé plutôt de voter Mélenchon, que ceux-là ne sont pas dans la haine, que ce sont des gens qui veulent quelque chose de mieux. Chez ceux-là, c’est comme un sursaut d’honneur.

Dans votre imaginaire le Parti communiste occupe une certaine place. Or, Jean-Luc Mélenchon 
n’en fait pas partie. Comment 
vivez-vous cette relation ?

Philippe Caubère. Le mérite du Parti communiste est d’avoir admis que quelqu’un qui n’était pas de ses rangs puisse mieux représenter la cause, et le mérite de Mélenchon est d’avoir réussi à convaincre ses camarades communistes que ce serait aussi dans leur intérêt. Pierre Laurent a compris qu’il ne serait pas du tout la dernière roue du carrosse, que l’essentiel était même de redonner de la force au parti. C’est très important, même par rapport au Parti socialiste, qui doit sentir qu’il aura désormais, sur sa gauche, des comptes à rendre. Par ce choix, le Parti communiste a su faire preuve d’intelligence, ce qui signifie qu’il a mûri, qu’il a franchi des étapes, qu’il est adulte.

Et l’attitude du NPA, héritier de la LCR de Krivine dont vous avez été proche ?

Philippe Caubère. Je ne comprends pas leur attitude. Je les ai accompagnés. Je me souviens d’un forum de la gauche, il y a une quinzaine d’années, où Krivine, faisant un discours grandiose sur le drapeau rouge, sur la nécessité d’un front commun, avait été acclamé, y compris par les communistes. Et, alors que cela se réalise, ils lui tournent le dos, ça n’a pas de sens.

Vous sentez-vous concerné par cette aventure dont vous parlez au-delà des échéances électorales ?

Philippe Caubère. Bien sûr. De quelle manière  ? Je ne sais pas. Mon adhésion est d’abord affective. Je suis comédien, je ne suis pas un homme politique, mais je sais une chose  : on est dans le vrai. C’est comme ça que cela se passe dans la création  : d’un coup, alors que l’on bafouille, on se dit  : ouais, paf, c’est ça  ! J’en ai marre de voir la politique n’entrer dans les foyers que par le seul canal de la télévision, j’en ai marre de voir les gens refaire la politique des autres comme au football on refait le match, cette politique de bistrot.

Quel regard portez-vous sur la culture, et quelle idée vous faites-vous de ce que vous aimeriez qu’elle devienne ?

Philippe Caubère. Il faut revenir aux artistes, aux vrais. Le théâtre tel qu’il est trop souvent devenu m’ennuie, il est trop sophistiqué, trop enfermé sur lui-même, trop complice, et obnubilé par la presse, la critique. Le théâtre que je défends, que je pratique, a beaucoup de mal à exister, il se heurte à des portes, et particulièrement à celles du milieu socialiste. Excepté Jack Lang à ses débuts et Catherine Tasca. Le comble pour moi a été qu’il a fallu que, pour la deuxième fois, ce soit le ministre d’un gouvernement de droite, en l’occurrence Frédéric Mitterrand, qui empêche que ma petite subvention, sans laquelle je ne pourrais plus travailler, me soit retirée  ; quand la Drac, tout à gauche, s’y employait. Trop populaire, pas assez esthétique, pire  : pas artistique, me disent-ils. J’en ai pleuré. Il y a un cas qui, aujourd’hui, me tient à cœur, celui de la Maison de la poésie à Paris. Or, voici que son directeur, Claude Guerre, qui connaît parfaitement ce domaine, qui en est un trésor vivant, se voit pousser vers la porte. La poésie, c’est spécial, c’est pointu. C’est le cœur vivant de la pensée, du théâtre, et de la résistance française. Je remercie Bertrand Delanoë, le maire de Paris, de m’avoir gentiment reçu à ce sujet, mais je sens que l’on veut encore faire de cette maison un rendez-vous de personnalités médiatiques, de people. La gangrène de la culture « socialiste », c’est la mondanité. Paris en regorge déjà, il faut que l’on sauve au moins cette porcelaine qu’est la Maison de la poésie de Claude Guerre.


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