Pour une réplique du séisme antilibéral de 2005

jeudi 2 juillet 2020.
 

Philosophe libertaire et écrivain franco-grec, Yannis Youlountas partage, dans le texte ci-dessous, ses raisons d’appeler à voter pour le Front de gauche et Jean- Luc Mélenchon le 22 avril prochain. Ce témoignage ébranle « les sanctuaires libertaires de l’abstentionnisme ». Ce défenseur de la cause grecque a écrit le 20 février dernier, avec Raoul Vaneigem, dans Libération, une tribune remarquée : « Grèce, berceau d’un autre monde ». Ce texte a été le premier matériau d’un film court (disponible ci-dessous). Membre du comité de rédaction du journal satirique « Siné-Mensuel », Yannis Youlountas a été porte-parole de la candidature de José Bové en 2007.

Comme beaucoup d’autres libertaires ou abstentionnistes convaincus, depuis que j’ai l’âge de voter, je ne me rends aux urnes que si j’en éprouve vraiment la nécessité. Quand tel est le cas, mon dégoût du système politique et de son manège électoral est surmonté par mon désir de solidarité avec ceux qui luttent, même quand leurs outils ne sont pas exactement ceux que j’aurais choisis et que leurs projets ne vont pas aussi loin à l’horizon des utopies que ceux que j’aimerais bâtir avec eux. Être libertaire, c’est se positionner librement selon les situations. Parmi celles-ci, choisir de voter, c’est faire une concession imaginaire à une exigence réelle. Aucun présupposé théorique ne doit empêcher le libre-examen d’une décision pratique. Car l’essence même de la liberté est d’agir sans dogme, en réexaminant sans cesse l’opinion de la veille en fonction de nouveaux éléments portés à la réflexion. Si voter n’est pas un devoir à mes yeux, ne pas voter ne l’est pas également. Le seul devoir, me semble-t-il, est d’agir en conscience et de ne jamais sacrifier son éthique sur l’autel des étiquettes.

Je ne suis pas membre du Front de Gauche ni de l’une de ses composantes et je n’ai d’ailleurs jamais adhéré à un parti politique. Mais je reconnais dans ce regroupement au nom évocateur bien des compagnons de lutte que j’ai épaulé ou qui m’ont épaulé, au sein de multiples mouvements sociaux et culturels.

J’ai marché avec eux dans des actions contre les OGM, l’invasion publicitaire, la montée du racisme, du fascisme et du totalitarisme financier, et pour une société plus humaine, juste, émancipatrice et fraternelle. Je me souviens, par exemple, d’un ami professeur d’histoire et actuel candidat du Front de Gauche dans la troisième circonscription du Tarn, m’épaulant pour organiser, il y a treize ans, le premier colloque international sur les cafés-philo à Castres, ville dont il était alors le maire-adjoint – atypique – à la Culture et à l’Animation, humble, coopératif, anti-autoritaire, passionné de philosophie, généreux et ouvert aux nouvelles pratiques d’éducation populaire, contrairement aux sempiternels philosophes d’agoras télévisés qui ne cessaient d’asséner leurs critiques hâtives, non vérifiées et hautaines.

Quand je regarde aujourd’hui les nombreux visages connus sous ces « fronts de gauche », j’y retrouve aussi la quasi-totalité de ceux qui ont combattu le Traité Constitutionnel Européen en 2005 et je me souviens de notre victoire collective inespérée malgré tous les pronostics et l’arrogante coalition de la quasi-totalité des médias contre nous.

Mais, par la faute des appareils politiques et de quelques communicants de l’ombre aux intentions obscures, cette synergie antilibérale multicolore ne put, ensuite, se saisir de la présidentielle 2007 comme d’un porte-voix français et européen au service du mouvement social que nous voulions étendre en prenant le système politique verrouillé à son propre jeu. L’affreux tiercé Sarkozy-Royal-Bayrou crut alors s’être définitivement débarrassé de ses minuscules empêcheurs de réformer en rond, au final d’un PMU politique plus broyeur d’utopies que jamais, et adopta dans la foulée le Traité de Lisbonne en bafouant la majorité du référendum de 2005.

Aujourd’hui, dans la dernière ligne droite de la présidentielle 2012, j’entends à nouveau la meute des journalistes de connivence, intellectuels de salon et politiciens bonimenteurs redoubler de virulence et de mépris, comme jamais depuis l’énorme propagande médiatique de 2005. Quelle mouche les a piqué, tout à coup ? Ce qui se passe autour de la candidature Mélenchon-Front de Gauche les dérange manifestement. Pourquoi ? D’abord parce que, contre toute attente, cette candidature s’est imposée comme unitaire par le seul engouement populaire. Mais aussi et surtout, pour sa liberté d’expression, particulièrement appréciée, sans la sale patte des publicitaires qui continuent à faire répéter leurs leçons aux autres candidats. Je me rappelle d’un certain Monsieur Pingaud, élégant, poli et discret, alors directeur de stratégie d’Euro-RSCG, qui avait repris le contrôle, puis formaté, aseptisé et finalement ridiculisé la candidature Bové en 2007, malgré l’initiative de 40 000 électrons libres, créatifs et dévoués, jusque-là décidés à mettre le bazar sur le marché bien ordonné des candidatures conventionnelles, avec pour références hors-normes les Blanqui, Dumont et autre Coluche. Heureusement, Pingaud et ses confrères sont allés sévir ailleurs ! Bon vent !

Non, Mélenchon et son entourage n’ont pas besoin de publicitaires pour vendre leur image à la foire des postures. Il leur suffit de raisonner librement et d’argumenter solidement pour se faire entendre, comprendre et gagner des soutiens. Le fait qu’il s’agisse souvent de philosophes ou de sociologues et non d’énarques ou de commerciaux y est pour beaucoup dans cette autre façon d’animer le débat politique – débat que refusent lâchement leurs adversaires. Ce n’est pas seulement parce que Mélenchon parle bien que ses idées paraissent bonnes, mais surtout parce que beaucoup de ses idées sont bonnes qu’il parle si bien.

Et voilà qu’au fil des sondages en hausse et des meetings pleins à craquer, les médias hurlent à l’unisson, à nouveau, sept ans après ! N’est-ce pas le signe que quelque chose recommence et qu’il s’agit, à bien y regarder, de la même lutte que nous avions menée tous ensemble contre le totalitarisme financier et qui s’était conclue par une belle raclée pour le pouvoir ?

Alors, pourquoi ne pas recommencer puisque les conditions semblent à nouveaux réunies ? Pourquoi nous priverions-nous d’un signal fort donné à nos compagnons de lutte qui, ailleurs en Europe, tournent actuellement vers nous leurs regards ?

Dans mon autre pays d’origine, la lutte s’avère particulièrement difficile. Beaucoup de Grecs culpabilisent ou sont résignés, mais d’autres, chaque jour, s’indignent et s’insurgent, de plus en plus nombreux, en inventant mille et une formes d’alternatives solidaires. Quelles que soient leurs opinions, ils attendent de nous que nous résistions, chacun à notre manière, dans le respect mutuel et la bienveillance synergique. Il est temps de réveiller, de toutes les façons possibles, ceux qui s’étaient naïvement endormis dans la nuit capitaliste et que la misère risque de jeter dans la rue un prochain matin. Il est temps également de prendre par le bras tous ceux qui s’étaient tant donnés autrefois et qui n’y croyaient plus. Peu importe la façon de nous relever, la procédure, les outils, l’essentiel étant de parvenir à être debout aussi nombreux que possible pour stopper les charlatans de l’économie qui projettent d’administrer bientôt à la France la saignée qui a mis à genoux la Grèce. C’est pourquoi, en votant pour Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche le 22 avril, j’irai déposer parmi beaucoup d’autres ma modeste contribution à une vague antilibérale qui pourrait par la suite s’étendre à toute l’Europe, sous de multiples formes.

Au vu de l’atroce répétition générale qui se joue actuellement en Grèce, il me semble urgent et nécessaire, où que l’on soit, de contribuer chacun selon notre culture politique, nos désirs de changement et nos moyens d’agir, à l’internationalisation de la lutte qui doit s’amplifier jour après jour, en dépassant nos divergences sans pour autant les nier, dans le respect mutuel et la bienveillance synergique.


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