Jean-Luc Mélenchon : "Le vote utile est une camisole de force"

mercredi 11 avril 2012.
 

Le candidat du Front de gauche a répondu aux questions des lecteurs de « Sud Ouest ». Durant plus d’une heure, il s’est attaché à convaincre ses interlocuteurs : stratégie du Front de gauche face au Front national, la victoire de la gauche ne passe pas par l’hégémonie du Parti socialiste, législatives, Smic à 1 700 euros et entreprises, compétitivité de l’Allemagne, la santé, Laïcité, port du voile et prières...

La stratégie du Front de gauche

« Le vote utile est une camisole de force. Il culpabilise les électeurs : s’ils ne votent pas bien, c’est-à-dire pour les deux principaux partis, c’est Mme le Pen qui va passer. Les gens de droite, comme ceux de gauche, veulent éviter la honte pour notre pays de voir la candidate FN au deuxième tour. Notre stratégie a consisté à ouvrir le verrou de la société française en nous débarrassant de la menace politique du Front national.

Nous avons choisi de l’affronter sans culpabilisation moralisante des électeurs, sans renvoyer sans cesse à la Seconde Guerre mondiale, mais en expliquant de façon rationnelle pourquoi M. Le Pen a tort. Nous avons réussi de cette façon à la faire reculer, et surtout à faire dérailler le train de la dédiabolisation. Ce qu’elle déclarait, même le plus épouvantable, ne semblait plus poser de problème. Je dis à tout le monde : "Mettez-nous devant elle, comme cela, de droite comme de gauche, vous libérez le champ politique." »

Au premier tour

« Les socialistes sont passés du vote utile au vote efficace. Ils ont posé un théorème qui n’existe que dans leurs têtes. Il faudrait à tout prix être devant au premier tour pour remporter une élection. Ce n’est pas comme cela que l’on gagne. Deux exemples : en 1981, François Mitterrand est derrière Valéry Giscard d’Estaing et, en 1995, Lionel Jospin est devant Jacques Chirac au premier tour. Ce qui compte pour gagner, c’est la capacité de chacun à rassembler et entraîner. Mais les socialistes ont choisi une ligne consistant à dire : "Nous avons un projet, c’est à prendre ou à laisser." Ce n’est pas en la contraignant que l’on rassemblera la gauche.

Leur idée est de ne pas bouger et de récupérer tous les votes, ceux des centristes et de la gauche. C’est le raisonnement tenu par Lionel Jospin, qui nous avait conduits à la catastrophe. Cela revient à dire : "Je n’ai rien à vous proposer, mais votez pour moi, car je gagnerai." On élirait donc un président par défaut. Alors que le pays veut des solutions tranchées, car il perçoit la situation comme insupportable. »

Les candidats aux législatives

« Tout au long de la campagne électorale, les gens sont mis en contact avec ce que nous proposons, qui est plus qu’un programme électoral puisque nous pensons que le modèle libéral est à bout de souffle, qu’une révolution citoyenne aura lieu en Europe. Notre projet et notre campagne sont liés à cette perspective. Pour cela, il faut d’abord la défaite de Nicolas Sarkozy : cela créerait une formidable dynamique en Europe.

Ensuite, nous aurons des candidats aux législatives partout au premier tour. Le Front de gauche a proposé aux socialistes des candidats communs dans les circonscriptions où le Front national pourrait éliminer la gauche au deuxième tour. Ils ont refusé. J’adjure les socialistes de devenir raisonnables et de ne pas être aussi sectaires. Je pense qu’ils seront de toute façon obligés de changer d’avis.

On travaille donc à cette défaite de Nicolas Sarkozy de manière lucide et consciente. Je vois bien pourquoi, au Parti socialiste, l’anti-sarkozysme se limite à sa personne, puisqu’il s’agit souvent de faire la même chose, comme sur la retraite à 60 ans. Et c’est bien là le seul problème aujourd’hui : l’ambivalence de François Hollande. Le candidat socialiste s’est mis dans une impasse. La droite veut le faire sortir de l’ambiguïté. J’avais pourtant prévenu il y a des mois que François Hollande n’aurait pas les deux en même temps, Bayrou et le Front de gauche. »

Mélenchon et le Parti socialiste

« Le Parti socialiste dans la gauche unie a fait des choses magnifiques. Lorsque nous avons gouverné avec Lionel Jospin, il y a eu la CMU, les 35 heures. Je rappelle que je ne suis pas d’extrême gauche, mais de gauche. Je ne jette pas tout. Je pense que le Front de gauche gouvernera ce pays. Mais être au gouvernement ne signifie pas à n’importe quel prix. Je ne serai pas ministre si François Hollande dirige le pays. Son programme n’a rien à voir avec le mien.

Je ne veux pas que l’on me dise que je fais le contraire de ce que j’ai défendu pendant la campagne. Je regretterai simplement de m’être fait piquer les clés du camion, parce que celui qui est parti avec ne sait pas le conduire. »

Économie

Smic à 1 700 euros et entreprises

« Il ne s’agit pas d’une lubie du Front de gauche mais d’une expertise sociale. C’est un chiffre donné et approuvé par les syndicats. Il ne faut pas s’étonner qu’un homme de gauche s’intéresse à ce que disent les syndicats. Cela correspond aussi à une réalité. On ne peut pas vivre avec 1 000 euros par mois, ce qui est le niveau actuel du smic. Mais je veux également rappeler que le smic est un salaire horaire.

Personne n’est obligé de payer 1 700 euros, mais en revanche 11 euros de l’heure. Ensuite, c’est le seul salaire dont le gouvernement peut fixer le niveau. Or, dans les deux ans et demi qui suivent sa hausse, on constate que l’augmentation du smic se répercute sur tous les salaires. Le très petit entrepreneur bénéficie d’abord de la croissance du carnet de commandes engendrée par le fait que les salaires s’accroissent. Mais, pour ces petites entreprises, il faut aussi un accompagnement, donner de l’air grâce à des facilités pour la trésorerie, le premier des problèmes.

Pour les plus grosses entreprises, elles bénéficieront aussi de la croissance et pourront payer cette augmentation. »

Compétitivité de l’Allemagne

« L’Allemagne est un pays vieillissant qui va au-devant de problèmes gigantesques. Ce pays exporte des biens intermédiaires. C’est le meilleur fabricant de machines-outils du monde. Mais, à force de mettre l’Europe en récession, cette dernière va contaminer le reste du monde. L’Allemagne vendra alors beaucoup moins. Et puis les Chinois, comme les Brésiliens et les Indiens, se mettent à fabriquer eux aussi des biens intermédiaires.

La vision des économistes en chambre, qui pensaient que l’on allait vendre des produits très élaborés en achetant des ombrelles, n’a aucun sens. L’Allemagne n’est donc pas un modèle. Et ce qui fait que l’on a perdu des parts de marché, ce n’est pas la productivité des travailleurs, qui a augmenté de 3 points par an, mais l’euro, piloté par la méthode allemande, et qui est surévalué par rapport au dollar, faisant perdre ainsi les gains de productivité. Les Allemands sont cramponnés à l’euro fort. Et nous sommes, le béret à la main, à demander pardon à Mme Merkel. Mais l’euro est à nous aussi. Je ne vise pas là le peuple allemand, mais le gouvernement conservateur allemand. »

Société

Laïcité, port du voile et prières

« La laïcité est le principe de la séparation des Églises et de l’État. Point final. On ne met pas de la laïcité à toutes les sauces pour faire la chasse aux musulmans. La foi n’est pas combattue par la laïcité, ni le fait de prendre ses propres décisions en fonction de sa croyance. La religion musulmane est la deuxième du pays. Je le constate et je l’admets. Mais cela dégoûte le Front national.

Sur la prière dans la rue, je ne voulais pas que l’on en fasse une affaire de laïcité. C’est une question de circulation. Dans la rue, on ne prie pas mais on circule. Après, vous me trouverez toujours du côté de la liberté de conscience et du culte. Celle qui souhaite se mettre un voile sur la tête, c’est son affaire. 99 % des musulmans, des catholiques et des juifs ne demandent rien d’autre qu’on les laisse tranquilles.

Dans la rue, vous pouvez être habillés comme vous le souhaitez. À deux exceptions près. Vous ne pouvez pas être nus et vous ne pouvez pas porter de burqa. Pourquoi ? Parce que cela peut être un mauvais traitement infligé à quelqu’un. Il existe aussi une exception importante dans le service public, où l’on ne doit pas porter de signes ostentatoires de sa religion. »

La santé à deux vitesses

« Le mécanisme actuel est le suivant. Tout doit être transformé en marché. La santé ou l’école. Pour cela, ils veulent faire reculer le service public et organiser la rareté et la concurrence.

Dans la santé, on a inventé quelque chose de diabolique. Cela s’appelle le paiement à l’acte. On évalue les résultats d’un hôpital, comme une entreprise, au nombre d’actes. Les morceaux les plus juteux de la santé sont découpés pour être confiés au privé. Les premiers dindons de cette farce, ce sont les classes moyennes.

Les Français sont en train de réaliser qu’il faut désormais aller se faire soigner dans une clinique hors conventionnement, que leurs enfants doivent aller à l’école privée parce qu’on leur fait croire que le public ne marche plus. Il faut revenir sur ce principe de rentabilité de court terme. Si les gens sont mal soignés, cela coûte, au final, plus cher à la société. »


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