Cinéma : Jacques Becker, un honnête homme...

lundi 15 janvier 2007.
 

Ainsi que Jacques Serieys l’annonçait en décembre sur le blog prs 12, nous avons décidé ensemble, de fournir, modestement, quelques petites « fiches-cinéma », non pas critiques, ce n’est pas notre boulot, mais plutôt vous faire partager des coups de cœur. Il y aura du politique, bien sûr, c’est quand même un peu pour ça que nous sommes là !, mais pas seulement. Le cinéma, comme toutes les autres formes d’art, s’il doit donner à réfléchir, et d’abord à « réfléchir » la réalité, doit aussi divertir et donner à voir du beau. Alors, oui, nos listes ne seront pas exhaustives, ni même objectives d’ailleurs, elles parleront de ce que nous sommes, de ce que nous voyons, de ce que nous aimons. Un peu comme la rubrique lecture déjà bien en place sur prs Aveyron.

Une belle idée, de m’avoir donné pour Noël cette intégrale de Reggiani. Une chanson oubliée, de celles qui n’ont pas eu un succès éblouissant au hit-parade : « Un menuisier dansait », m’a donné envie de revoir « Casque d’Or ». La chanson raconte le film. Le Paris de 1900, les fortifs, le Belleville de ces années-là, les mauvais garçons, les filles légères, leurs macs et les duels au couteau dans d’obscures cours coupe-gorge. Et au milieu de tout ça, comme un arc-en-ciel, une histoire d’amour va fleurir. Lui Manda, c’est lui le menuisier, un Reggiani de légende, malfrat reconverti dans l’ébénisterie, elle Marie, c’est Signoret, notre Signoret, dans sa splendeur. Une valse dans une guinguette. La légende veut que Reggiani ait eu mal à la jambe et que c’est ça qui lui ait donné cette allure de danseur voyou !!! Va pour la légende ! Ils n’auront pas beaucoup de temps à vivre leur belle histoire, ces amants-là. Cette passion violente, -bien sûr, c’est bien le rôle de toutes les passions-, va finir en tragédie, fatale, Manda va mourir, de la façon la plus atroce, sous le couteau de la guillotine, Marie aura loué une chambre en face de la prison, pour voir son amour finir. Et toute l’horreur de l’exécution passe à cet instant dans le regard terrible et fixe de Signoret. Et toute l’horreur de la peine de mort passera à jamais dans le cœur de qui aura vu le film. Et LA valse recommence, éternelle, intemporelle, noyée de brouillard, rythmée par « le Temps des Cerises », dans le cœur de Marie, dans la mémoire de Marie, et à jamais, ces deux-là vont danser, et s’aimer...

Dans la même veine, en moins noir, mais tout aussi évocateur du « milieu », un grand morceau, un vrai polar : « Touchez pas au Grisbi ». Gabin revenait au premier plan, après une absence de quelques années et des films mineurs. Ce sont les héros qui intéressent Becker davantage que l’histoire du braquage, pourtant pas mal ficelée. Des héros vieillissants, qui veulent finir en beauté une carrière bien remplie, la musique, lancinante, qui sort d’un juke-box anthologique, Betty, la délicieuse amie américaine de Max, les casse-croûtes des « hommes » dans des bistrots moyennement louches, tout y est, même les bourgeois venus s’encanailler dans ce qu’ils pensent être des bas-fonds, et qui n’est finalement que « l’atelier » des voyous (déjà raconté dans « Casque d’Or », ce frisson de l’interdit...) ! Discret clin d’œil à l’honneur du bandit, prêt à risquer son magot pour sauver un ami ! On est un peu bluffés par ces hors-la-loi, aux allures de rentiers rangés, qui dînent de foie gras dans des pyjamas de soie, et qui perdent le sens commun pour de petites danseuses à peine vêtues !

Jacques Becker, c’est aussi « Falbalas », comme son nom l’indique, dans le milieu de la haute couture. Ca commence par la fin, pas de suspense, un type se suicide en serrant contre lui un mannequin revêtu d’une robe de mariée... Et puis, un long flash-back va nous raconter cette histoire d’un amour fou, encore une fois malheureuse, un amour fou victime des convenances, des conventions. C’est un film grave et pénétrant, qui ne laisse pas indifférent. Tous ces personnages, voués à une existence facile, dans le luxe et la légèreté, vont tomber inexorablement dans le drame. On y trouve tout : le cynique qui collectionne les filles, et va se laisser emporter par la passion qui le brûle, la revêche, l’ange noir par qui le malheur arrive, le chic copain victime de tous ces bouleversements lui qui voulait seulement aimer et être aimé, la jolie héroïne, superficielle et frivole, emportée par la vague, elle aussi, et qui va d’un battement de cils renverser la vie de ces deux hommes, et la sienne aussi. Une anecdote qui vaut ce qu’elle vaut : c’est ce film qui a donné à Jean-Paul Gaultier son envie de créer des robes. Et c’est, de tous, mon préféré. Eh oui !

Dans le Paris d’après-guerre, une bande de copains à l’insouciance apparente, seulement apparente, va faire voler en éclat les certitudes, là aussi. Des rêves à la mesure de l’époque, les caves à jazz, Claude Luter soi-même à la Huchette !, du swing en folie, une histoire de voyage, d’exploration née au Musée de l’Homme, un projet de recherches qui finira par aboutir, alors même que ceux qui l’avaient bâti ne sont plus vraiment persuadés que c’est bien là ce qu’ils désiraient... Parce qu’un rêve qui devient réalité, soudain, ça fait peur. Et alors, on verra Daniel Gélin haranguer ses copains, balayer leurs réticences, les ramener l’un après l’autre, vers l’aventure imaginée, qui va se concrétiser. On a beaucoup accusé Becker d’avoir peint une jeunesse privilégiée, dans son « Rendez-vous de Juillet ». Mauvais procès à l’évidence. Ces gamins, qui ont eu 15 ans sous l’Occupation, essaient seulement de donner corps à leur fantasme. Ils finiront par s’envoler, dans un petit matin lumineux, vers l’Afrique, pour que leur idéal prenne vie, et peu importe finalement qu’ils soient fils de commerçants ou d’industriels. Ce qui compte, c’est que tout soit possible, si on a la force d’y croire. Les acteurs sont magnifiques, Maurice Ronet, déjà tourmenté, Gélin qui hantait les caves pour de vrai trouve là un de ses plus beaux moments à l’écran, les filles aussi (moins gâtées cependant par Becker, leurs rôles sont plus fades) passionnées, amoureuses, déjà libres, comme on le montrait peu au cinéma en ce temps-là.

Jacques Becker n’était pas un cinéaste « léger ». Dans le reste de son œuvre, il donne à voir, à aimer des « héros » quotidiens : prisonniers en quête de liberté dans « Le Trou », qui sortira après sa mort, paysans à la marge dans « Goupi Mains-Rouges », couple d’ouvriers chanceux dans « Antoine et Antoinette », couple encore, en butte à l’hostilité familiale pour cause de mésalliance dans « Edouard et Caroline ». Il était un homme de son temps, simplement, avec une tendresse toute particulière pour tous ces personnages. Même les mauvais (le Félix de « Casque d’Or » par exemple) ont droit à un traitement de choix. Il aurait eu 100 ans, le 15 septembre dernier. Curieux comme soudain, son cinéma est devenu moderne

Rendez-vous dans la semaine pour un autre choix. Merci messieurs Lumière, pour votre invention.

brigitte blang pour prs 57 et prs 12


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