Comprendre l’échec du NPA ou plutôt pourquoi la LCR a disparu si subitement

vendredi 23 mars 2012.
 

La question peut paraître paradoxale. Mais le point de vue exprimé ici part de l’échec du NPA. Echec d’un parti large anticapitaliste. Echec du dépassement de la LCR. Echec de la construction d’une nouvelle représentation politique à partir de la transcroissance d’une seule organisation d’extrême gauche héritière des expériences accumulées depuis 1968. Mais est-ce le NPA qui échoue ou est-ce la LCR qui disparait faute d’un réajustement stratégique adapté à une nouvelle période ?

Etrange paradoxe cette disparition rapide tandis que survivent malgré tout, deux organisations trotskystes comme LO ou le POI, ou dans un autre registre les alternatifs qui s’inscrivent dans l’histoire du PSU. Une survie sans développement et en se bunkérisant pour les deux premières citées. Il s’agit en fait d’un phénomène européen : nulle part une organisation d’avant-garde révolutionnaire n’a réussi à percer le « plafond de verre ». Au contraire se multiplient revers, délitements, crise, pertes de fonctionnalité. Ce phénomène ne se réduit pas au trotskysme mais touche tous les courants révolutionnaires. Les « nouveaux subversifs » se construisant dans un rapport de filiation très éloigné de celle-ci (indignés). Dire ceci n’indique pas d’ailleurs, une voie lumineuse pour celles et ceux qui ont choisi des voies différentes (refondation communiste en Italie) mais le bilan n’est pas le même. Et plus exactement à chaque fois que la gauche radicale connaît des succès, est en phase avec des résistances ; la question qui lui est posée est bien son dépassement pas autoreproduction (Grèce).

La LCR s’est dissoute le 29 janvier 2009. Comme préalable à la fondation du NPA censé lui succéder et la dépasser. Un an plus tard, très symboliquement, la disparition de Daniel Bensaïd, un de ses fondateurs et son théoricien, sonne comme une deuxième disparition de celle-ci. En trois ans, la dynamique de départ du NPA a involué, marqué par un effondrement des effectifs et des départs successifs. Elle laisse le goût amer de l’échec et orphelin d’un nouveau projet politique. Ce délitement, cet éclatement, n’impliquent pas la disparition de courants militants toujours bien vivants et actifs mais dans des pratiques très éclatées. Dans des mouvements sociaux, des syndicats, des courants politiques aux trajectoires politiques très divers. L’étude des trajectoires, certes toujours singulières (mais la somme ne l’est pas), des membres du comité central de la LCR des années 90, serait édifiante tant elle montre un éclatement des choix : au PS, au FDG jusqu’à Dupont Aignan !

Cela montre une crise des perspectives stratégiques dans une organisation qui ne s’est jamais contentée de réciter un catéchisme hérité du début du XX° siècle. Contrairement aux deux autres « organisations trotskystes » la Ligue communiste puis la LCR ne s’est jamais contentée de fonder un projet révolutionnaire par un simple réajustement du modèle d’octobre. Ce qui a permis d’accueillir et de s’enrichir d’autres courants tout au long de son histoire. Dès le départ (1968 !) elle est traversée d’une tension entre inscription dans l’histoire du mouvement ouvrier et compréhension de nouvelles questions. Ne serait ce que par la place des jeunes, très spécifique à une génération, dans la contestation des années 70. Ce qu’explique bien l’historien Benjamin Stora lorsqu’il revient sur son choix lambertiste (l’histoire du mouvement ouvrier) par rapport à la Ligue (trop guévariste et soixante huitarde) mais en insistant également sur le fait que globalement, cette génération est la dernière « génération d’octobre » c’est-à-dire façonnée intellectuellement et politiquement par la révolution russe. La LCR a constamment oscillé entre réappropriation du bolchévisme, d’un léninisme débarrassé du stalinisme, et l’intégration de nouvelles questions comme le féminisme, les oppressions de genre, d’origine, l’écologie, les nouvelles aspirations démocratiques…

Dès lors, si la LCR disparait la première c’est parce qu’elle fût la plus vivante. Ce qui implique nécessairement un rebond : comment un courant ayant exercé un tel attrait pendant plus de quarante ans pourrait disparaître sans connaître rebond, un droit de suite ? C’est une interruption de la réflexion stratégique pendant les dix dernières années qui expliquent le ressac actuel. Pourtant la Ligue avait initié très tôt après l’effondrement du mur de Berlin un travail de réactualisation à travers le manifeste à gauche du possible. Mais avec beaucoup de résistances et surtout un inachèvement coupable. Comment peut-on se lancer dans un nouveau parti sans une révolution intellectuelle, sans une réflexion approfondie ? Certains à cette lecture, comme Samy Joshua, bondiront. Car il est vrai que des camarades ont tenté de mener ce travail. Mais disons que nous avons été plus gestionnaire d’un phénomène politico-médiatique qu’attentifs à ce qui, dans la situation politique d’ensemble devait modifier notre projet de parti : « aux délimitations stratégiques inachevées », disions nous pour certains, alors que d’autres n’y voyaient qu’une pédagogie plus ou moins nécessaire pour réactualiser le clivage entre réformistes et révolutionnaires.

Les bouleversements opérés depuis vingt ans sont connus :

• Effondrement du bloc soviétique et restauration du capitalisme à l’est

• Expansion du système capitaliste à la quasi-totalité de la planète

• Effondrement du bloc soviétique et restauration du capitalisme à l’est

• Fin du cycle des révolutions dans les pays colonisés ou dépendants à dynamique socialiste (Nicaragua 1979)

• Mondialisation, globalisation, réorganisation du capital à l’échelle planétaire, émergence de nouvelles puissances capitalistes dont certaines (le Chine) sont dirigés par un parti communiste !

• Offensive dans les pays capitalistes du centre pour détruire les conquêtes du mouvement ouvrier impliquant des modifications dans le monde du travail : quel est le cœur de la classe aujourd’hui ?

• nouvelles guerres impérialistes croisés avec l’apparition de nouveaux conflits (dont un génocide au Rwanda et une guerre d’épuration ethnique en ex-Yougoslavie !)

• Révolution des techniques et de la diffusion de l’information avec ses effets sur les mouvements sociaux eux-mêmes

• Montée en puissance et en urgence de la question écologique

Sans être exhaustif de tels bouleversements impliquent une disposition intellectuelle à repenser globalement notre stratégie, notre programme mais également notre projet de parti. Il est clair que dans une telle situation le maintien de petites organisations d’avant-garde vivant dans un même schéma que dans la période précédente ne peut amener qu’à la perte progressive ou rapide d’oxygène et substance politique. De ce point de vue l’année 2011, année de crises et de basculement mondiaux, est particulièrement évocatrice du problème posé. La crise du capitalisme est globale et historique ; Fukushima met en exergue la question écologique et la crise énergétique et « le monde arabe » est partiellement secoué par des révolutions démocratiques. Un point commun à ces trois chocs : l’absence de perspective socialiste, pas seulement d’alternative de contre-modèle mais l’absence de dynamiques socialistes anticapitalistes internes à ces trois bouleversements. C’est pour moi la démonstration que nous trouvons dans une période longue de reconstruction et de refondation d’un nouveau mouvement émancipateur. Pas dans une période de montée révolutionnaire impliquant une démarcation nette avec les réformistes. Mais dans un moment, quelque part entre l’ancien et le nouveau, le mort et le vif, l’ancien mouvement ouvrier et le surgissement de nouvelles expériences. Dans cette période le brassage, le rassemblement est déterminant ; dans les rapports de force généraux comme dans la reformulation d’un projet de rupture avec le système. Le pire est de s’enfermer, de se fortifier et se protéger artificiellement des autres. Ou peut être encore pire, faire semblant de s’ouvrir pour en réalité transformer un nouveau projet de parti, en école, en sas pour de futurs révolutionnaires… Dit autrement, répéter jusqu’à satiété « nouvelle époque, nouveau programme, nouveau part » ne suffit plus à partir du moment où nous sommes confrontés à des aspirations, des problèmes politiques bien réels. Travailler dans une perspective de reconstruction et de refondation implique de travailler avec des réformistes, des radicaux, des révolutionnaires, des écologistes conséquents... En fixant une ligne de front bien réel correspondant aux enjeux de l’heure : la résistance au système contre l’adaptation à celui-ci.

Dans notre histoire récente, sont venus sont se télescoper deux problèmes. Le problème d’unité politique posé par la victoire du non en 2005 en France et la crise de notre section brésilienne intégrée au pouvoir de Lula. Le second a provoqué une réaction conservatrice au sein de notre courant qui a bien des égards est aux sources de nos problèmes actuels. Jusqu’en 2005 nous avons été confrontés à des épisodes de recomposition limitée. Le social déconnecté, du politique en particulier. Novembre et décembre 1995 a crée un cycle de mobilisations sociales et repolitisation couplée aux mobilisations altermondialistes. Mais sans produire de politique au sens frontiste ou partidaire du terme. Au contraire dans un contexte de distance revendiquée avec la politique. Dans cette situation, où de 1997 à 2002, la gauche plurielle était au gouvernement, l’extrême gauche, d’abord LO puis LO/LCR puis Olivier Besancenot pour la LCR ont cristallisé électoralement le refus d’une gauche d’adaptation mais sans réussir (ou vouloir pour LO) modifier son projet de construction. En 2005, la campagne pour le « non » réunifie partiellement la gauche sociale et politique : des comités à la base, des syndicalistes, des associatifs, des partis et des courants représentatifs de l’histoire du mouvement ouvrier. Il était clair que ce non était porteur de tout autre chose qu’une simple campagne publique de dénonciation d’un traité. La ligne de partage entre résistances et adaptation (jamais chimiquement pure) opérait pleinement. Il était donc également complètement clair que ce moment allait produire une demande d’unité politique, d’une unité durable. C’est sur cette question que la LCR est entrée en crise. Les problèmes posés dans la direction et dans l’organisation à ce moment n’en finisse pas de rebondir, démultipliés par l’urgence de la réponse à la crise depuis 2008. La politique du PCF (imposer Buffet à l’élection présidentielle de 2007) nous a donné un répit qui a permis de lancer le NPA, dont le processus était prometteur, mais qui a commencé à entrer en crise quelques mois seulement après sa fondation. Au-delà de problèmes connus, dont la candidate voilée, qui sont en fait les signes de notre impréparation à construire un parti large, la question unitaire que nous croyions dépassée en janvier 2009 a rebondi avec d’autant plus de forces qu’elle é tait désormais alimentée non seulement par le souvenir de 2005 mais aussi par la crise de 2008. Si à l’exception de quelques camarades, la faute a été collective pour les élections européennes, force est de constater qu’ensuite aucune ligne unitaire majoritaire ne s’est dégagée, et c’est au contraire une orientation d’isolement qui s’est imposée. Après les régionales, dans une contribution dite des 38, nous avions tiré à plusieurs déjà ce bilan, mais sans en tirer les conclusions concernant la préparation du congrès suivant. Dans cette situation confuse, la dépendance à la popularité d’Olivier Besancenot s’est substituée à une orientation politique : l’espoir permanent qu’une candidature Besancenot, que « le parti d’Olivier Besancenot » serait un sésame, une porte de sortie à tous nos problèmes. En dix ans avec lui et en partie grâce à lui, nous avons installé l’anticapitalisme de manière vivante dans la société française. C’est un bilan très positif. Mais ni lui, ni la majorité actuelle du NPA, ne veulent à ce stade, comprendre le poison de l’isolement et la nécessité d’un changement de cap radical, que son propre retrait de l’élection présidentielle aurait par ailleurs pu permettre. Nous n’en sommes plus là. Mais une interrogation subsiste sur la LCR elle-même : il est notable que l’addition de petits groupes issus du trotskysme et généralement hostiles aux évolutions de la LCR post mur de Berlin ont modifié la donne, avec en particulier un propagandisme et un ouvriérisme issus de la culture LO (considérant que des désaccords au sein du parti sont nécessairement l’expression de pressions sociales extérieures). Mais l’explication est un peu courte car une grande partie de la nouvelle majorité, et de son aile la plus identitaire vient de la LCR, et de son organisation de jeunesse, les JCR, dont la direction s’est construite en opposition depuis plus de dix ans à la politique de la LCR…

Depuis plusieurs années une ligne de clivage resurgit sur la quasi-totalité des questions clés de l’heure (à l’exception du nucléaire et pour le PCF). Une gauche de « résistance » à l’adaptation de la France à la nouvelle donne capitaliste se manifeste contre l’Europe libérale, pour la défense des retraites, contre les plans de licenciements, pour défendre et étendre les services publics, contre les guerres impériales menées par les USA, dans les luttes écologistes contre les gaz de schistes…C’est beaucoup, dans un contexte de crises, voire décisif. C’est à l’intérieur de ce champ politique que nous devons formuler propositions d’action, revendications et réponses politiques. C’est le sens de la proposition d’un bloc de gauches anticrises déjà explicités dans de nombreux textes. Les coordonnées de la situation appellent à une politique unitaire qui ne se réduit pas à un appel aux luttes mais qui doit formuler une proposition d’ensemble valable dans les urnes comme dans les luttes.

Il y a nécessairement dans cet espace, où se mêlent des forces militantes politiques associatives et syndicales, des histoires te des expériences différentes, un rapport aux institutions locales différent. Il ne s’agit pas de nier les problèmes mais de les hiérarchiser dans un contexte de crise. C’est l’austérité, la crise et ses effets destructeurs, un nouveau traité européen qui sont les questions clés de l’heure et sur lesquelles la campagne de Mélenchon et du FDG répond correctement ou en tout état de cause crée un cadre politique acceptable de résistance et de contre-propositions. Au lieu d’énoncer un énième pronostic, (la situation actuelle n’a pas besoin de Cassandre), nous devrions partir de cette contradiction entre socio libéraux et la gauche antilibérale pour proposer un bloc de gauche anticrises qui se doit d’être indépendant du PS au gouvernement, au parlement et dans la rue. Dans cette situation l’évolution du Front de gauche est une question clé.

Pour conclure :

• Le NPA s’est fondé comme parti large partie prenante d’un processus de reconstruction à poursuivre mais très vite est revenu au modèle classique d’organisation d’extrême gauche, désormais doté d’une surface moindre que la LCR

• On ne peut modifier un projet de construction sans une réflexion approfondie sur les questions de programme et de stratégie dont les conditions d’élaboration et de production sont nécessairement bouleversées par les transformations profondes de ces 20 dernières années (le web a l’âge de l’effondrement de l’URSS). C’est le seul aspect positif de la crise du NPA que de permettre maintenant un tel débat.

• L’échec du NPA, l’urgence de la crise, la brutalité des politiques menées, le poids du FN, l’adaptation du PS au système ; rendent impérieux un tournant unitaire radical, la formation d’un bloc, d’un front, dans lequel les anticapitalistes du NPA et d’ailleurs doivent prendre ensemble toute leur place.

Pierre-François Grond, le 12 mars 2012


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