Des prisons d’un autre âge

lundi 12 mars 2012.
 

C’est à un triste état des lieux auquel trente-huit détenus ou ex-détenus de la maison d’arrêt de Rouen ont invité le public par le biais d’une requête déposée au tribunal administratif de Rouen, vendredi 5 mars. Grâce à cette action, ils espèrent faire condamner l’administration pénitentiaire (AP) à les indemniser du préjudice moral d’une détention dans des conditions indignes, violant l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Maître Etienne Noël, qui a suggéré cette action et la coordonne contre l’honoraire de 119,60 euros TTC par détenu, réclame pour chacun de ces hommes âgés de 20 à 60 ans – ayant passé ces dernières années entre quelques mois et un peu plus de quatre ans à la prison Bonne-Nouvelle – un dédommagement de 350 euros par mois et par personne. Soit de 2 000 à 17 500 euros pour chaque détenu.

Avocat pénaliste spécialisé dans la défense des droits des personnes détenues, il leur a soumis un questionnaire-type et a recueilli des témoignages d’une condition carcérale dignes d’un autre âge. Mohamed croque sa cellule exiguë de 10m2 pour trois personnes par des traits sommaires, mais les légendes de ses dessins sont édifiantes (reproduites telles quelles comme les autres témoignages) : "Matlat salle, déchiré, humide, traces noir", "Cafard, des troups dans les mur", "Lévier qui fonctione pas".

Au quartier disciplinaire, le "mitard", c’est pire : "Matlat avec une odeur d’urine", "Toillette sale", "Lumière permanent 24 sur 24".

Christophe, lui, évoque la table de 80 cm pour trois obligeant chacun à "lire, écrire et manger sur son lit". "Traverser la pièce pour aller aux toilettes impliquait tout le monde, dit-il : se lever pour laisser la place, retirer le tabouret du chemin,etc." Un enfermement et une promiscuité qui peuvent rendre fou, comme l’explique Sylvain, jeté en pleine nuit au bas de son lit par un cocellulaire qui l’a roué de coups. "Il est possible que mes ronflements soit la cause de sa réaction", reconnaît ce quinquagénaire.

La longueur des journées permet de s’adonner à l’arithmétique. "Sur une semaine de 7 jours =168h – 7 heure promenade la semaine +1 heure de parloir la semaine, il me reste 160 heure la semaine en cellule sauf les 3 dernier mois à travailler auxiliaire 6 heure par jour =42 heure – 168 heure donc 100 heure en cellule", calcule Guillaume.

Les détenus avouent souvent fuir la cour de promenade ou la douche, lieux de tous les dangers. "Les surveillants arrivent toujours après les bagarres", remarque William, qui a renoncé à la douche trihebdomadaire après s’y être fait tabasser. Il se contente depuis d’ablutions à l’eau froide devant le lavabo de la cellule. "De toute façon, raconte Hubert, le sol est souvent couvert d’excréments car c’est le seul endroit où l’on dispose d’intimité, mais ça n’est nettoyé que deux fois par semaine." Il a fréquenté le cours de dessin pour "voler l’ampoule de 100 watts de la salle de classe" et l’échanger contre celle "faiblarde" de 75 watts de la cellule.

L’incontournable "chauffe" est aussi mise en cause. "La chauffe est faite de quatre canettes de boissons (33cl Coca), d’une boîte de thon servant de réservoir et de deux réglages faits mains composés de tubes de sauce tomate et de bouts de serpillière imbibés d’huile de tournesol", dit Franck de ce dispositif de fortune destiné à faire réchauffer les aliments "cantinés" (achetés avec l’argent personnel des détenus qui en disposent) ou les menus parfois distribués froids en raison de l’éloignement des cuisines. David s’en méfie. "Ça fait une fumée noir toxique", dit-il. Kevin rêve tout haut de plaques chauffantes qu’il n’a pas les moyens de "cantiner" car il est "indigent" et les prix sont 20 à 30 % plus élevés que dehors.

Les murs et les plafonds s’écaillent ou tombent, rongés par l’humidité. "Quand ils font des travaux, il dur même pas une semaine. Les travailleur son même pas califié…", remarque Abder. "Une couche de peinture à était mise en pose éclair, sa veut dire en moin d’une heure donc sa ne tien pas dutous, sa se décolle en plaque, ça moisi", raconte un autre détenu. Et partout, se plaint Gérard, "Des graffitis ou de photos porno collées avec du dentifrice ou de la crème à raser."

Les sanitaires font l’objet des doléances les plus véhémentes. "Tout est contenu dans 10m2. J’ai vécu 40 mois dans mes toilettes", résume Hubert. "Est très constipé car très gêné pour faire dans sa cellule", a écrit dans son rapport un personnel soignant à propos d’un détenu assidu à la consultation.

A leurs quatre murs, les prisonniers en ajoutent d’autres, plus artificiels, pour surélever le pauvre muret de 90 cm qui séparent la cuvette de toilette du reste de la cellule. Mais les rouleaux de Sopalin, les cartons extraits clandestinement des ateliers ou les draps qui constituent ces cloisons de fortune n’absorbent ni les bruits ni les odeurs. Et, interdits par le règlement, ils sont régulièrement détruits par les surveillants qui surprennent souvent malgré eux un détenu en pleine défécation.

Gabriel a oublié les numéros des différentes cellules qu’il a fréquentées, mais pas "le lavabo [partout] collé aux toilettes". "Avec les années, c’est de plus en plus écœurant", observe-t-il. Jérôme, lui, énumère "les astuces pour couvrir les bruits : volume télé plus fort, chasse d’eau en continu, ou se retenir jusqu’à un moment où on est seul, si ça arrive…"

Dans quelques semaines, MeEtienne Noël, qui recense les témoignages des détenus, espère joindre encore une bonne vingtaine de noms à la requête des trente-huit pionniers, "pour mettre l’AP devant ses responsabilités et la contraindre à entamer une réflexion sur les conditions, à Rouen comme partout ailleurs en France".

Patricia Jolly


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