Constitution européenne : le retour ?

dimanche 14 janvier 2007.
 

La fin 2006 a marqué le lancement d’une campagne de réhabilitation du projet de Constitution européenne. Pour éviter de se voir imposer ce qu’ils ont massivement rejeté en 2005, les Français devront en faire un des enjeux des élections nationales.

Depuis le 1er janvier, l’Union européenne n’est plus celle des « Vingt cinq », mais celle des « Vingt sept ». La Roumanie et la Bulgarie, qui piaffaient devant la porte après avoir raté le coche de la grande vague d’entrées de mai 2004, sont en effet devenues membres de la « famille ». Cette entrée relance du même coup le débat sur la « gouvernance » de l’Union élargie. Pour les partisans du projet de traité constitutionnel européen (TCE), il est en effet tentant de faire porter aux institutions européennes la responsabilité des problèmes. Ils peuvent ainsi entonner le refrain de la nécessaire réforme institutionnelle, laquelle passerait inévitablement par l’adoption, sous une forme ou sous une autre, du texte que les citoyens Français et Néerlandais ont rejeté sans ambiguïté au printemps 2005. C’est donc la fin d’une « période de deuil », comme n’a pas hésité à la qualifier Romano Prodi, chef du gouvernement italien - mais aussi ancien président de la Commission européenne. Le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006, qui marquait la fin des six mois de présidence finlandaise de l’Union, a confirmé la relance des grandes manœuvres en affirmant la nécessité de « poursuivre la réforme » de l’UE. Principal argument : deux tiers des Etats membres ont ratifié le projet de TCE, on ne peut pas passer outre leur volonté.

Dans ce cadre, il est échu à l’Espagne et au Luxembourg d’inviter les quatorze autres pays ayant approuvé le texte à se retrouver à Madrid, dès le 26 janvier prochain. Que ces deux Etats prennent la tête de la croisade pour ressusciter le TCE ne doit rien au hasard : ils sont en effet les deux seuls à avoir adopté le texte par référendum - la consultation espagnole ayant été marquée, on s’en souvient, par la quasi-absence de débat contradictoire sur la nature du texte. Seuls la France et les Pays-Bas ont eux aussi pratiqué le référendum... avec le résultat que l’on sait. Cette première rencontre serait suivie d’une session se rattrapage, fin février à Luxembourg, où cette fois les deux pays réfractaires seraient conviés en compagnie des sept Etats membres qui traînent encore les pieds (Danemark, Irlande, Pologne, Portugal, République Tchèque, Royaume-Uni et Suède). Un grand branle-bas qui se donne pour but avoué de soutenir l’Allemagne, succédant à la Finlande à la présidence tournante de l’Union, dans ses efforts pour « préserver la substance » du projet de traité constitutionnel. Car la chancelière Angela Merkel et son gouvernement de coalition (qui rassemble la CDU conservatrice et le SPD social-démocrate) ont fait de l’avancée du dossier constitutionnel le point-clé de leur mandat - et une des clés de voûte de leur union. « Nous voulons maintenir la substance de cette Constitution », déclarait ainsi récemment dans le Monde le ministre social-démocrate des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier. « Parce que nous en avons besoin », ajoutait-il, en raison de l’élargissement, de « la nécessité pour l’Union de mieux tenir sa place face à la concurrence » mondiale, mais également « pour montrer que l’Union est aussi une communauté de valeurs » incarnée par la Charte de droits fondamentaux. Il n’est pas inutile de rappeler à ce sujet que cette Charte, ajoutée en préambule du projet de TCE lui-même, n’a pas de caractère contraignant - ce qui ramène à leur juste place les droits fondamentaux, dans une communauté où les valeurs financières priment de longue date sur tout le reste.

Concrètement, l’Allemagne se donne pour charge d’élaborer un « plan B ». Frank-Walter Steinmeier en trace les contours : sans aller jusqu’à espérer qu’à l’issue de la présidence allemande, « on aura un nouveau texte prêt à être ratifié par tous », au moins faut-il « pouvoir en présenter un contour conceptuel », « à côté de la procédure et du calendrier ». Calendrier dont le terme serait fixé à 2008, dernière année avant les élections européennes de 2009 : c’est l’échéance fixée par Angela Merkel elle-même. C’est aussi l’année du retour à une présidence française de l’Union, après une année électorale dont les résultats ne seront pas sans conséquences sur l’ensemble du processus. « Tout le monde suivra bien sûr attentivement ce qui va se passer en France » en 2007, reconnaissait ainsi la commissaire Margot Wallström en octobre dernier, dans les colonnes de notre confrère l’Humanité - précisant d’ailleurs qu’il n’est « pas possible de revenir devant les électeurs français et néerlandais avec le même texte. Cela ne marcherait pas. » Voilà un point, au moins, qui fait consensus parmi les principaux candidats à la présidentielle française. Version allégée du même texte, réduit à ses deux premières parties, pour Nicolas Sarkozy - qui veut aussi « alléger » la procédure de ratification, puisqu’il se propose de faire disparaître la possibilité d’une consultation par référendum. La troisième partie - celle qui cadenasse toute possibilité de mener une politique européenne hors du carcan libéral - loin de disparaître, reviendrait plus discrètement par le biais d’autres textes. Ségolène Royal, quant à elle, a durci ses critiques envers l’Europe dans la dernière période, s’en prenant notamment au rôle de la Banque centrale européenne (BCE) accusée de décider des politiques économiques en lieu et place des dirigeants politiques. Mais sur le projet de TCE, elle en reste à une orthodoxie discrète, proposant grosso-modo de... réunir de nouveau une convention « chargée de rédiger le texte de la réforme institutionnelle qui serait présentée aux peuples ». Ceux-ci auraient à se prononcer « le même jour » : c’est à peu près la seule différence avec la procédure qui a précédé le rejet en 2005. On le voit : s’ils ne veulent pas courir le risque de se faire « voler » le résultat du référendum de 2005, les citoyens français devront rester vigilants. L’accélération de la casse des services publics, la mise en concurrence des peuples entre eux, génératrice de haines xénophobes et nationalistes, l’effacement du droit du travail au nom de la « liberté » et de la « compétitivité »... faire échec à ces menaces nécessite d’avancer sur le chemin d’une autre Europe, une Europe de justice, démocratique et solidaire. Et même si l’union autour du « NON » au TCE ne s’est pas prolongée exactement de la façon dont beaucoup l’espéraient, c’est bien dans cette direction qu’il faudra chercher la traduction de ces aspirations plus que jamais légitimes.

par Olivier Chartrain


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