Les relais syndicaux de Jean-Luc Mélenchon (article Le Monde)

jeudi 1er mars 2012.
 

Le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon, c’est parfois comme un défilé parisien du 1er mai, entre République, Bastille et Nation. On y croise évidemment des syndicalistes et, dans « le carré de tête », comme on dit dans les manifestations, quelques figures.

Certaines, il y a quelques années encore, exerçaient d’importantes responsabilités nationales. C’est le cas de Didier Le Reste, ancien patron des cégétistes à la SNCF, aujourd’hui à la retraite, tout comme Pierre Khalfa, ex-dirigeant de Sud Solidaires, ou encore Gérard Aschieri, qui fut numéro un de la FSU, la principale fédération de l’éducation nationale. Il y a aussi Claude Debons, lui aussi retraité, qui dirigea la fédération CFDT cheminots avant de rejoindre la CGT en 2003, lors du conflit sur les retraites. Ou enfin Yann Cochin, toujours actif, responsable à Sud-Energie. « Il y a des camarades de toutes obédiences », souligne volontiers Claude Debons. « Même si ceux de la CGT sont plus nombreux, la FSU et Solidaires sont bien représentés », ajoute-t-il, tout en précisant que « chacun est là à titre personnel », mais « porteur de son réseau militant ».

Certains sont encartés - c’est le cas de Didier Le Reste au PCF ou Yann Cochin dans un courant transfuge du NPA -, d’autres non. Gérard Aschieri, qui ne l’est pas, dit avoir trouvé dans cette campagne « une forme qui respecte l’indépendance des syndicats et qui permet à des militants syndicaux d’utiliser leur expérience sans être membre d’un parti ».

Ces syndicalistes se retrouvent surtout au sein du « Front des luttes », une structure de la campagne de Jean-Luc Mélenchon dont le but est d’être à côté des « salariés qui se battent » et d’enrichir le programme du candidat. Depuis le début de la campagne, Jean-Luc Mélenchon enchaîne donc les visites dans des usines en conflit : Fralib, Fonderies du Poitou, Still-Saxby, Petroplus, M-Real, Peugeot Scooters, Alstom... Un tract « vulgarisant » les propositions du candidat à destination des salariés vient d’être tiré à 3 millions d’exemplaires. Avec des propositions qui se veulent taillées sur mesure : retraite à 60 ans pour tous, smic à 1 700 euros, interdiction des « licenciements boursiers ».

Au Front de gauche (PCF et Parti de gauche), on se défend de toute volonté d’instrumentalisation. « L’idée n’est pas de refaire une courroie de transmission, indique M. Mélenchon. Si on s’amusait à créer un lien privilégié avec tel ou tel syndicat, on exploserait en plein vol. L’objectif est de retisser un lien. » « Si on veut que le monde du travail se réintéresse au fait politique, les militants syndicaux sont des interlocuteurs de choix », ajoute Didier Le Reste.

Du côté des sympathisants des syndicats, il y a incontestablement un « effet Mélenchon ». Dans un sondage IFOP pour L’Humanité, réalisé du 10 au 27 janvier auprès de 945 individus se déclarant « proches d’une organisation syndicale », Jean-Luc Mélenchon obtient les faveurs de 22 % des sympathisants de la CGT, 8 % de la CFDT, 12 % de FO, 4 % de la CFTC, 33 % de Sud et 11 % de l’UNSA. A titre de comparaison, en 2007, Marie-George Buffet recueillait les suffrages de 7 % des sympathisants de la CGT, 1 % de la CFDT, 3 % de FO, 4 % de l’UNSA et 0 % de Sud. Chez les sympathisants des syndicats, M. Mélenchon susciterait donc trois fois plus de soutien que la candidate communiste.

Le vivier syndical de Jean-Luc Mélenchon épouse, pour une bonne part, le clivage qui s’est manifesté dans le syndicalisme au moment du référendum de 2005 sur le projet de constitution européenne.

A la CFDT, favorable au oui, il n’y a aucun atome crochu avec le candidat du Front de gauche. Ce dernier a, en revanche, les faveurs des syndicalistes nonistes qui se souviennent de son combat contre son propre parti - à l’époque le PS. FO n’avait pas appelé à voter non mais avait pris position contre le projet de constitution.

Dans cette centrale, Jean-Luc Mélenchon est en terrain connu. FO a longtemps accueilli un solide noyau de militants trotskistes lambertistes, comme il le fut jadis. Par ailleurs, M. Mélenchon avait noué des liens avec Force ouvrière quand il animait la Gauche socialiste, courant minoritaire du PS, avec Julien Dray, un intime de Marc Blondel, secrétaire général de FO de 1989 à 2004. M. Mélenchon peut aussi compter sur la connaissance qu’a Raquel Garrido de ce syndicat. Porte-parole internationale du Parti de gauche, elle est ancienne assistante confédérale en charge de l’international à FO.

A la CGT, l’épisode de 2005 éclaire aussi les réactions. A l’époque du référendum, le secrétaire général Bernard Thibault considérait que sa centrale ne devait se prononcer ni pour le oui ni pour le non. Mais il avait été mis en minorité par le comité confédéral national de la CGT. Parmi les instigateurs de ce camouflet, il y avait Didier Le Reste, qui a rejoint Jean-Luc Mélenchon. Les deux hommes ont aussi une forte divergence sur les liens avec le PCF, M. Thibault ayant consacré en 2001 la rupture de la relation privilégiée entre la CGT et le PCF.

M. Thibault n’a donc aucune proximité avec M. Mélenchon - « ce n’est pas sa tasse de thé et réciproquement », confie un de ses proches. Dans son entourage, on confie que « le Front des luttes est ambigu » et que sa « démarche consiste à installer dans les boîtes en conflit des réseaux qui portent la candidature de Mélenchon ». Le fait de voir des militants de la CGT poser autour du candidat du Front de gauche avec des calicots et des casques du syndicat suscite des réserves (même si Hollande a fait la même chose le 15 février à Rouen). « Mélenchon sait parler au monde du travail, confie une dirigeante de la CGT, en particulier aux sympathisants cégétistes, et il respecte la dignité des travailleurs. Il touche juste. » Mais, ajoute-t-elle, « il n’y a pas de structures ou de réseaux mélenchonistes au sein de la CGT ».

Le fait que Bernard Thibault ait appelé ouvertement - une première - à « un changement de président de la République » lui permet de préserver l’unité de la CGT et de ménager ses opposants internes plutôt pro-Mélenchon. D’un côté, il a rencontré M. Hollande après lui avoir fait comprendre officieusement que la CGT ne ferait pas du non-retour aux 60 ans un « casus belli ». De l’autre, il a accepté que sa rencontre avec le candidat du Front de gauche soit fortement médiatisée et a fait le meeting du 31 janvier sur la retraite à 60 ans, où M. Mélenchon a été très applaudi. « Il y a un aspect tactique, décrypte Claude Debons. Le mouvement syndical, CGT en tête, vise aussi à peser sur François Hollande. Et à lui signifier que celui-ci, au lendemain d’une victoire de la gauche, sera tout aussi exigeant. »

Une date est cochée dans l’agenda syndical comme dans celui de M. Mélenchon. Le 29 février, la Confédération européenne des syndicats a appelé à manifester partout en Europe contre l’austérité. Le candidat de la gauche radicale cherche aussi à mobiliser sur cette question. Pour l’instant, difficilement. Claude Debons se veut pragmatique : « L’expérience sous Sarkozy a montré que les luttes ont rarement gagné. A l’approche de l’élection, ce qu’on n’a pas pu obtenir par les luttes, on va essayer de l’avoir par le bulletin de vote. »

Raphaëlle Besse Desmoulières et Michel Noblecourt

* Paru sur LeMonde.fr, | 22.02.12


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