Les dangers du référendum dans les mains d’un pouvoir autoritaire

lundi 20 février 2012.
 

Par Anicet Le Pors, ancien ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives (1981-1984), conseiller d’État.

Président de la République en tête, c’est à qui proposera aujourd’hui son référendum  : sur l’immigration, le chômage, les retraites, le nucléaire, le mécanisme européen de stabilité, la moralisation de la vie publique. Il s’ensuit un manque de discernement qui peut être grave de conséquences.

Aux termes de l’article 3 de la Constitution de la Ve République « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Cette rédaction, habile pour lier souveraineté nationale et souveraineté populaire, présente le défaut de réduire la démocratie directe au référendum.

La démocratie directe couvre un champ infiniment plus vaste. C’est essentiellement le plein exercice des libertés et des droits existants et la lutte pour en conquérir de nouveaux. La démocratie directe ne doit pas être excessivement réglementée  : l’initiative, la compétence, le dévouement, l’engagement relèvent de la responsabilité du citoyen. Pour autant, il est possible de progresser par la loi  : élargir la portée du droit de pétition, favoriser l’initiative populaire des lois, par exemple. Ce ne serait pas, à vrai dire, une véritable novation  : la Constitution de 1793, réputée jacobine, prévoyait déjà l’intervention des communes et des assemblées primaires des citoyens dans les départements pour l’élaboration de la loi  : « Art. 59. – Quarante jours après l’envoi de la loi proposée, si, dans la moitié des départements, plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi. »

En reconnaissant à tous les citoyens le droit de concourir personnellement à l’expression de la volonté générale et à la formation de la loi, la Déclaration des droits d’homme de 1789 ouvrait la voie aux consultations populaires. Mais on a vite pressenti et pu vérifier, au cours du XIXe siècle, les dangers du référendum et les risques qu’il pouvait faire courir à la démocratie dans les mains d’un pouvoir autoritaire. La Constitution de 1946 ne retenait le référendum qu’en matière constitutionnelle. La Constitution de 1958, dès l’origine, le prévoyait en son article 89, pour modifier la Constitution sur la base d’un texte voté par les deux Assemblées en termes identiques. Mais elle l’envisageait également en son article 11, en ce qui concerne l’« organisation des pouvoirs publics ». C’est sur la base de cet article que, pour tourner l’opposition du Sénat, le général de Gaulle, par une véritable « forfaiture », selon la qualification du président du Sénat de l’époque, Gaston Monnerville, et malgré l’opposition de la quasi-totalité des corps constitués – avis négatif du Conseil d’État à l’unanimité moins une voix – a fait adopter l’élection du président de la République au suffrage universel – 62% des suffrages. En 1995, le champ de l’article 11 a été élargi à la « politique économique et sociale », ce qui permet en réalité de soumettre n’importe quelle question au référendum.

Le référendum ainsi conçu a la couleur de la démocratie, mais ce n’est pas la démocratie. Bien que les référendums sur le traité de Maastricht, en 1992, et celui sur le projet de « traité établissant une constitution pour l’Europe », mis en échec le 29 mai 2005, aient été l’occasion de débats importants, il reste que, depuis 1793, seulement trois référendums sur vingt-quatre ont dit « non » à ceux qui les ont organisés (1946, 1969, 2005). Les procédures référendaires prévues au niveau local par les lois du 6 février 1992 et du 28 mars 2003, ou au niveau national par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, sont à la fois de faible portée réformatrice et aisément contrôlables par le pouvoir exécutif.

Le recours au référendum, présenté comme un appel direct au peuple, est généralement d’inspiration autocratique à tendance plébiscitaire. Il dévoie le débat politique en le conduisant à s’écarter de la question posée – vote pour ou contre un homme ou une politique. Appelant une réponse binaire – oui ou non – il est peu approprié au traitement de questions complexes. Toutefois, la République laïque, ne reconnaissant aucune autorité transcendantale dans l’organisation des pouvoirs publics, doit nécessairement s’adresser au peuple pour définir la loi suprême. Le référendum doit donc être strictement réservé aux matières constitutionnelles et les dispositions de l’actuel article 11 récusées.

Il n’est pas étonnant de voir aujourd’hui Nicolas Sarkozy, fortement contesté, envisager des référendums tous azimuts. Il est ainsi dans la droite ligne de la Constitution césarienne du 14 janvier 1852 de Louis-Napoléon Bonaparte. J’avais caractérisé, dans ces colonnes, quelques semaines après l’élection présidentielle – l’Humanité, 27 août 2007 – la « dérive bonapartiste » du pouvoir sarkozyste. Au cours de son histoire, le Parti communiste français a toujours été – sauf en matière constitutionnelle – résolument hostile au référendum en raison des risques plébiscitaires qu’il présente. Il est surprenant et inquiétant de voir aujourd’hui nombre de républicains surenchérir imprudemment face aux manipulations présidentielles. Car, comme l’a écrit le constitutionnaliste Olivier Duhamel  : « Le référendum peut être liberticide  : les Bonaparte en ont apporté la preuve. »

Anicet Le Pors


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