C’est ce que Sarközy déclare, depuis quelques jours, quand on l’interroge sur l’hypothèse de sa défaite à l’élection présidentielle. C’est donc bien qu’il l’envisage comme possible en dépit des manifestations d’enthousiasme et des protestations de confiance qu’il multiplie devant ses visiteurs.
« De toute façon, je suis au bout, ajoute le monarque. Dans tous les cas, pour la première fois de ma vie, je suis confronté à la fin de ma carrière [...] Celle-ci, ajoute-t-il, peut intervenir dans quelques mois ou dans cinq ans ».
Sarközy veut montrer qu’il n’est pas accroché à son fauteuil élyséen. « Je ne suis pas un dictateur » , aime-t-il à répéter en réponse à ceux qui, estime-t-il, le caricaturent en monarque républicain... Qui ça ?
Bien sûr, s’il devait arrêter la politique, il appréhende le changement de rythme et le manque des montées d’adrénaline que procure le pouvoir. Citant Pascal (1623-1662), il constate, devant ses interlocuteurs, que « l’homme est ainsi fait que tout est organisé pour qu’il oublie qu’il va mourir » .
Mais Sarközy a changé ; il s’arrangerait d’une autre vie, veut-il croire. La politique lui aura tout donné : maire, conseiller général, président de conseil général, ministre de premier plan, président de la République enfin. Il aura tout connu : la jubilation qu’apportent les victoires, les meurtrissures des défaites, la sagesse qui découle des épreuves. Alors qu’attendre de plus de cette passion qui l’aura comblé ?
Avant d’être élu président, Sarközy méditait déjà sur l’usure du pouvoir. En 2005, le futur candidat fait son retour au ministère de l’intérieur, flanqué de Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Membre d’un gouvernement pour la première fois, M. Hortefeux, l’ami de toujours, joue les Rastignac. Sarközy lui glisse : « Profites-en bien, c’est le meilleur moment ! ». Celui où l’on parvient enfin à réaliser ses rêves, l’ambition d’une vie.
« Nicolas Sarközy n’a jamais eu une conception ludique du pouvoir. D’ailleurs, le mot devoir revient fréquemment dans sa bouche » , observe M. Hortefeux. A lui aussi, Sarközy a confié que, s’il était battu, il arrêterait la politique. Avec quelques-uns, l’ancien ministre veut le convaincre de reprendre l’UMP en cas de défaite. Mais le président n’en veut pas. « Vous voulez que j’anime des sections UMP ? Je ne mérite pas ça. Je préfère encore le Carmel, au Carmel au moins, il y a de l’espérance ! » a-t-il lancé à un autre.
"DANS LE FUTUR, JE VOUDRAIS GAGNER DE L’ARGENT"
En mai, le monarque aura 57 ans, un âge où tout est encore possible pour celui qui se sent jeune, surtout depuis qu’il est père à nouveau. En 2017, il en aura 62. Il observe avec attention les parcours des anciens grands de ce monde. De nombreux dirigeants ont donné des conférences internationales, mais en anglais, langue qu’il parle mal, tandis que l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, proche de Vladimir Poutine, s’est reconverti chez le géant russe de l’énergie Gazprom.
Le chef de l’Etat n’a jamais caché son goût de l’argent. Abordant le sujet de la rémunération des banquiers, au G20 de Cannes, en novembre 2011, le chef de l’Etat avait lancé aux grands de la planète : « Moi aussi, dans le futur, je voudrais gagner de l’argent » , avant de critiquer "l’immoralité" dont font preuve, selon lui, les financiers.
Martin Bouygues lui aurait proposé plusieurs fois de rejoindre son groupe, selon M. Hortefeux. « Je suis avocat, j’ai toujours eu un cabinet et je suis passionné de tas de choses, explique aujourd’hui le président à son entourage. En tout cas, je changerai de vie complètement, vous n’entendrez plus parler de moi ! ». En voilà une nouvelle qu’elle est bonne !
"COMMENCER MES SEMAINES LE MARDI ET LES FINIR LE JEUDI SOIR"
Il rêve à voix haute d’une vie plus douce, moins usante. « Je peux voyager, prendre des responsabilités, commencer mes semaines le mardi et les finir le jeudi soir ! Franchement, ça ne me fait pas peur » , dit-il. « Il imagine sa vie d’après la politique comme plus agréable. Pas plus intéressante, mais plus agréable » , résume M. Hortefeux. Et c’est lui qui veut supprimer les 35 heures !!!
Sarközy, l’homme qui veut agir, a toujours prétendu vouloir un jour prendre le temps de vivre. Au début de son mandat, revenant de Hongrie, le 14 septembre 2007, il s’était mis à rêver. A imaginer tout ce qu’il aurait pu faire s’il était resté flâner deux jours à Budapest, où il venait de faire une visite éclair, vendredi 14 septembre : une promenade à cheval en forêt, les bains, un concert. S’il avait pris le temps. « Mitterrand voyageait au bon plaisir. Je ne critique pas. Je voyage pour faire » , déclarait-t-il à ses interlocuteurs.
Comme tous les présidents, Sarkozy est desormais soucieux de la trace qu’il laissera dans l’histoire. Et il en est convaincu : « Si l’on veut être aimé dans le futur, il faut couper... »
Le premier ministre, François Fillon, a donné hier aux députés de l’UMP une consigne bouleversante et historique : « Nous devons montrer que le combat que nous menons est un combat juste : il faut que cela se voie sur nos visages. » Diable ! Quel cauchemar vont vivre certains de ces élus-là pour mettre en œuvre cette directive : ce sera même pour la plupart mission impossible… Pour ne pas faire de jaloux, on ne citera personne… Et puis, est-ce à dire que le chef du gouvernement s’inquiétait de ce qu’il lisait sur les visages de ces parlementaires ? Un malheur proche ? Ou pire, ce qu’avait repéré Victor Hugo sur le front de certains de ses adversaires politiques : « le néant en ces crétins augustes… » ? Ils n’en sont quand même pas à cette extrémité…
Bref, dans ce camp-là, ça va mal. Les confidences du président de la République n’ont certainement pas arrangé le moral des troupes, qui est dans les chaussettes. Comme le rapportent le Figaro et le Monde, Nicolas Sarkozy aurait envisagé publiquement l’hypothèse de la défaite : « Vous n’entendrez plus parler de moi. De toute façon je suis au bout. Pour la première fois je suis confronté à la fin de ma carrière. » Même pris avec précaution, on a du mal à imaginer que ces propos relèvent d’un calcul filandreux et obscur pour égarer son monde… Il est vrai que beaucoup de signaux sont négatifs pour la droite au pouvoir. Ainsi, une enquête de l’institut BVA (qui ignore d’ailleurs très arbitrairement Jean-Luc Mélenchon) jauge la crédibilité de quatre candidats sur les grands problèmes de la société : c’est un désastre pour le président de la République sortant, qu’il s’agisse du chômage ou du pouvoir d’achat, des impôts ou de l’école, de la pauvreté ou de la croissance. Autrement dit, les questions fondamentales qui concernent tous les Français : ce sondage marque au fer rouge le bilan du quinquennat…
Et c’est ainsi que l’on observe le mauvais vent qui souffle dans les coulisses des palais de la République. Ici un ministre déclare après le discours de François Hollande dimanche : « On a quinze jours pour se refaire, sinon c’est cuit… » Là, certains députés de la droite avouent que le projet de TVA dite « sociale » (quelle escroquerie sémantique…) leur donne des boutons…, ce que d’ailleurs corrobore un patron de la grande distribution qui estime que cette TVA-là va « casser la consommation »… Plus loin, un ancien secrétaire d’État estime que les « snipers » de l’UMP ne sont en réalité que « des chasseurs de gibiers d’eau »… Bonjour l’ambiance.
Oh, il serait bien naïf de croire l’issue de la bataille désormais écrite. Le chef de l’État, les ministres, les dignitaires font feu de tout bois pour sauver les meubles. Ils se penchaient hier sur le sort des classes moyennes, que depuis cinq ans ils ont bastonnées sans vergogne. Et leurs amis à la tête des institutions financières (« Il n’y a pas de banquier innocent », écrivait Karl Marx) y vont de leurs musiques geignardes : « La crise a permis de moderniser les valeurs historiques de la gauche contre les 200 familles ou le mur de l’argent », analysait l’un d’entre eux.
Au fond, donnons-lui acte : c’est bien la toute-puissance des marchés financiers qui doit occuper les esprits à gauche. Et qui les occupe : tout l’avenir en dépend. François Hollande a fait un pas positif dans ce sens : mais il y a encore du chemin à faire, le chemin que propose Jean-Luc Mélenchon. Il serait heureux que ce grand débat s’ouvrît.
Victor Hugo, encore : « J’aime beaucoup le président, vu de dos, quand il s’en va. »
Claude Cabanes, L’Humanité
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