La dette comme outil de contrôle social

dimanche 22 janvier 2012.
 

L’omniprésence du crédit dans l’économie moderne fait de chaque individu un débiteur à vie, analyse Maurizio Lazzarato en montrant la puissance exorbitante qu’en retire le système.

La fabrique de l’homme endetté, Essai sur la condition néolibérale, de Maurizio Lazzarato. Éditions Amsterdam, 2011, 
124 pages, 10,50euros.

Le sociologue et philosophe Maurizio Lazzarato poursuit dans ce livre sa lecture du néolibéralisme à la lumière des analyses que proposait Michel Foucault en 1978 dans son cours Naissance de la biopolitique. C’est de dette dont il est question cette fois, dette éclairée de façon originale, dans un cadre foucaldien, par deux textes  : la deuxième dissertation de la Généalogie de la morale, de Nietzsche, et un article méconnu du jeune Marx, Crédit et Banque. Ces analyses sont stimulantes en ce qu’elles mettent en lumière le caractère politique, trop souvent occulté, du problème de la dette. Elles apparaissent comme le complément indispensable des analyses économiques de la crise. Les lectures foucaldiennes et marxistes, loin de s’opposer, se renforcent.

Le néolibéralisme se serait transformé sous nos yeux. Hier encore, il cherchait à produire l’adhésion des sujets au moyen de la figure de l’entrepreneur (de soi) créatif. Aujourd’hui, il semble avoir renoncé à séduire  ; il mobilise en menaçant et en culpabilisant l’homme endetté. La question de la dette est devenue si centrale que l’auteur propose de nommer notre économie « économie de la dette ». Cette dernière est en effet un mécanisme transversal s’appliquant au travailleur comme au chômeur, au consommateur comme au producteur… Il n’est aucune activité qu’elle n’organise.

« La fabrication des dettes a été pensée et programmée comme le cœur stratégique des politiques néolibérales », voilà l’idée-force de l’ouvrage. L’endettement n’est pas le résultat d’un excès de dépense publique. Il n’est pas le fruit du trop grand appétit des gouvernés, il a été planifié et mis en place par les gouvernants. La dette est une arme politique, avant d’être un problème économique. Pourquoi avoir fabriqué le problème de la dette  ? Pour trois raisons. Il s’agit d’abord, pour les néolibéraux, de redonner au marché ce que les luttes sociales passées lui ont retiré (en premier lieu, l’école et l’hôpital). Il s’agit ensuite de soumettre la politique aux intérêts de la finance, le néolibéralisme cherchant à contourner une souveraineté populaire jugée trop imprévisible et parfois hostile à ses intérêts. L’indépendance de la Banque centrale, la règle d’or, etc, sont autant de dispositifs garantissant l’alignement des gouvernants sur les intérêts financiers. La démocratie représentative, pourtant si limitée, est désormais neutralisée. Il s’agit enfin de s’approprier par la dette l’avenir des sujets endettés. La contrainte du remboursement garantit la domination de la finance en niant pour l’individu l’ouverture des possibles. Ce faisant, le « problème de la dette » apparaît clairement comme le dernier épisode en date de ce qu’hier encore on n’hésitait pas à nommer la lutte des classes.

Florian Gulli, philosophe


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