Jean-Pierre Thomas... L’étrange Monsieur Russie de Sarkozy

mercredi 11 janvier 2012.
 

Les dessous d’une nomination qui inquiète diplomates et patrons. Par Odile Benyahia-Kouider et Vincent Jauvert.

C’est une lettre restée jusqu’ici secrète. Un courrier de président à président. Le 17 janvier 2011, Nicolas Sarkozy écrit à son homologue russe, Dmitri Medvedev, pour vanter les mérites d’un homme dont il a décidé de faire son émissaire en Russie. Un homme qui, souligne-t-il, "jouit de toute [sa] confiance" et qui est "une personnalité économique respectée en France". Un homme qui a "une connaissance intime des milieux économiques français et russe avec lesquels il travaille depuis des années".

Le président de la République, qui a fait du rapprochement avec Moscou un des axes majeurs de sa politique étrangère, précise qu’il va ordonner aux autorités françaises d’apporter "leur soutien" à son représentant et demande à son "ami Dmitri" de lui ouvrir les portes du Kremlin et des grandes entreprises de son pays.

Sa nomination n’a fait l’objet d’aucun communiqué officiel

Qui est donc ce "Monsieur Russie", dont la nomination n’a fait l’objet d’aucun communiqué officiel ? L’homme dont Nicolas Sarkozy tresse ainsi les louanges s’appelle Jean-Pierre Thomas. Ce n’est pas tout à fait un inconnu. Son nom a fait la une des gazettes il y a quelques années, à l’occasion d’une affaire sulfureuse. Ex-trésorier du Parti républicain - le mouvement de Gérard Longuet, Alain Madelin et François Léotard, aujourd’hui intégré à l’UMP -, Jean-Pierre Thomas a été condamné en 2005 à quinze mois de prison avec sursis pour financement illégal de parti.

Surnommé "l’encaisseur", il avait participé, avec d’autres trésoriers de parti, au racket des entreprises d’Ile-de-France qui réhabilitaient les lycées de la région. Le juge Halphen avait également découvert dans son bureau plusieurs millions de francs en liquide. Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il choisi un tel personnage, devenu banquier chez Lazard, pour renforcer les relations économiques entre la France et le plus vaste pays de la planète - l’un des plus corrompus aussi ? [...]

Un ami du temps de Balladur

Nicolas Sarkozy oublie rarement ses amis, particulièrement ceux qui, avec lui, ont mis les mains dans le cambouis pour soutenir la candidature d’Edouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995. Il connaît Thomas depuis presque trente ans. Au milieu des années 1980, les deux hommes font partie des jeunes loups de la droite. "Nicolas" vient d’être élu maire RPR de Neuilly "Jean-Pierre", diplômé de l’Institut commercial de Nancy, fils de profs, est propulsé trésorier du PR à 29 ans.

En 1993, tous deux débattent aimablement à l’Assemblée, l’un comme député des Vosges et rapporteur UDF du budget, l’autre comme ministre, à Bercy, et rallient le camp du Premier ministre. Deux ans plus tard, juste après la victoire de Jacques Chirac, le juge Halphen découvre 2,4 millions de francs en coupures de 500 francs dans le bureau de Jean-Pierre Thomas, au Parti républicain.

Il trouve refuge à la banque Lazard

Lors de ses interrogatoires, le trésorier assure que cette somme provient des fonds spéciaux de Matignon et qu’il s’agit d’un "reliquat de la campagne" d’Edouard Balladur. Mis en examen, il tente de conserver son siège à l’Assemblée après la dissolution en 1997. L’ancien Premier ministre et son porte-parole, Nicolas Sarkozy, viennent le soutenir jusque dans les Vosges. Peine perdue : le député sortant échouera à 500 voix près. Finie, la carrière politique. Promoteur d’une loi sur les fonds de pension, il trouve refuge à la banque Lazard, qui le fait entrer dans son département de gestion d’actifs.

A l’Elysée, on assure que Jean-Pierre Thomas est un grand connaisseur de l’économie russe et que, dès 2007, il a alimenté Nicolas Sarkozy et Claude Guéant en notes sur le sujet. Dans sa lettre à son "cher Dmitri", le chef de l’Etat va jusqu’à affirmer que l’ancien député "sera un atout précieux" car "il connaît les principaux acteurs russes, avec lesquels il travaille depuis des années". Les raisons de cet exceptionnel entregent ? Il serait, explique-t-on au Château, l’une des têtes de pont de la puissante banque d’affaires Lazard en Russie.

Interrogé par "le Nouvel Observateur", Lazard dément pourtant formellement cette affirmation : " M. Thomas n’est pas mandaté par la banque pour faire des affaires en Russie." Et, afin d’éviter tout malentendu, le siège précise par écrit qu’il n’est "associé gérant QUE de la filiale gestion et non de l’ensemble de la banque", autrement dit qu’il ne fait pas partie des stars qui orchestrent les grands rapprochements d’entreprises. Nicolas Sarkozy peut-il l’ignorer ? [...]

Odile Benyahia-Kouider et Vincent Jauvert - Le Nouvel Observateur


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