"Déception latente face à une impuissance supposée des politiques"

jeudi 5 janvier 2012.
 

Un sondage Opinion way de la fin décembre 2011 pointe la défiance des Français vis à vis des élus et des candidats aux présidentielles.

La sociologue Anne Muxel, directrice de recherche au CNRS, analyse le divorce consommé des Français 
avec leurs représentants politiques et ses conséquences sur le scrutin présidentiel de 2012.

Anne Muxel « Les citoyens sont aussi politisés qu’exigeants »

Alors que six Français sur dix s’intéressent à la vie politique, comment analysez-vous leur défiance vis-à-vis de leurs représentants politiques  ?

Anne Muxel. Ce dernier sondage confirme une fois de plus la crise de la représentation que nous observons depuis plus de vingt ans, que chacun déplore à chaque grande échéance électorale sans que cela remette en cause profondément le fonctionnement démocratique du pays. Cette déception latente face à une impuissance supposée des politiques ne signifie pas pour autant que les Français soient dépolitisés ou qu’ils abandonnent toute velléité de changement. Au contraire, leur politisation implique désormais davantage de vigilance, de critiques et d’exigences. C’est pour cela qu’il faut analyser une grande partie de l’abstention non pas comme un désintérêt mais comme un geste de nature politique. Ces exigences sont révélatrices de changements profonds dans la manière d’appréhender la démocratie. Les Français cherchent aujourd’hui un modèle de citoyenneté où les individus seraient plus engagés, plus informés, et donc plus à même d’exercer une pression sur le pouvoir. Ils sont aussi politisés qu’exigeants.

L’échéance présidentielle de 2012 s’inscrit dans un contexte de crise économique européenne inédite. Quelles conséquences sur la mobilisation électorale  ?

Anne Muxel. Cela ne fait aucun doute que la crise européenne, telle qu’elle est présentée dans le débat politique, fait le nid de ce sentiment d’impuissance. Un sondage récent montrait que 43% de Français ne veulent ni de Hollande ni de Sarkozy comme président. Mais la présidentielle est une élection singulière sous la VeRépublique, c’est celle qui mobilise le plus les Français. Depuis la forte participation à la présidentielle de 2007, une abstention récurrente, qui a parfois atteint des records, a marqué le paysage électoral français. Il y a un grand désir de changement dans le pays, mais qui ne s’incarne pas pour l’instant dans un candidat. On est plutôt aujourd’hui sur un scénario identique à 2002, avec un fort mécontentement à l’égard de l’offre politique, qui avait conduit au résultat que l’on connaît.

Le spectacle du système oligarchique donné depuis cinq ans ne contribue-t-il pas à nourrir le « tous pourris » et à encourager la tentation du vote FN  ?

Anne Muxel. À cela s’ajoutent les scandales politico-financiers qui n’aident pas à restaurer de la confiance. Cette défiance vis-à-vis des politiques est du pain bénit pour Marine Le Pen, dont le discours populiste instrumentalise les souffrances. C’est le cas chez les jeunes ouvriers et les plus précaires qui avaient, eux aussi, voté Sarkozy en 2007, et qui s’apprêtent à voter massivement pour Marine Le Pen.

Anne Muxel est notamment l’auteure de Toi, moi et la politique, au Seuil (2008), et des Abstentionnistes  : le premier parti européen. Presses de Sciences Po (2005).

Entretien réalisé par Maud Vergnol, L’Humanité


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