«  Le projet de 
la gauche doit se situer là où sont les exigences populaires et pas ailleurs  !  » (Pierre Laurent, PCF)

vendredi 1er avril 2011.
 

«  Agissons  !  » Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, interpelle dans nos colonnes l’ensemble de la gauche pour répondre aux urgences  : répondre aux angoisses et à la colère populaire, combattre la politique de la division menée par Nicolas Sarkozy et l’inquiétante progression du FN. Si, lors des élections cantonales, « la droite et l’extrême droite doivent être battues », il s’agit aussi de préparer le «  tournant social que réclame le pays  ». Là est la première responsabilité de la gauche. Entretien.

HD. Que vous inspirent les révolutions arabes en cours, et que pensez-vous de la réaction du gouvernement français face à ces événements  ?

Pierre Laurent. L’aspiration à la liberté et au développement des peuples arabes change le monde sous nos yeux. Les dirigeants français et européens s’accrochent quant à eux à une conception du monde et des rapports euroméditerranéens totalement dépassée. La voix de la France a été ridiculisée et le remaniement du gouvernement n’a été qu’une petite opération de politique intérieure qui signait le nouvel échec de l’équipe Fillon, remise en place trois mois plus tôt. En réalité, le chef de l’État n’a en rien pris la mesure de ce qui se passe dans le monde arabe, ni de ce qu’attendent nos concitoyens ici en France. Le pays réclame un tournant social, mais Nicolas Sarkozy n’a qu’une obsession  : terminer son sale boulot pour les marchés financiers et liquider notre modèle social. Il est prêt à tout pour éviter d’infléchir sa politique. Opposer les Français entre eux selon leur religion, pousser le FN et agiter la peur… rien ne l’arrête. Ce pouvoir est en décalage total avec les attentes populaires, il est à contresens de l’histoire et du pays.

HD. Agiter la peur, est-ce la dernière carte de Nicolas Sarkozy  ?

P. L. C’est à coup sûr une carte dont il va user et abuser dans l’année qui vient. Il faut bien comprendre une chose  : en passant en force sur la réforme des retraites, le gouvernement a signé son divorce politique avec le pays. Et ce divorce, il le consomme aujourd’hui dans tous ses actes. Sa politique est un affront permanent à notre peuple. Quand les Français dénoncent l’injustice fiscale, le gouvernement répond par la suppression de l’ISF. Ce qui est d’une indécence incroyable  ! Quand le pays s’inquiète de l’état des hôpitaux ou de celui du système éducatif, le gouvernement réduit encore les dépenses publiques. Quand il s’alarme que tout soit privatisé, Nicolas Sarkozy lui annonce que le marché de la dépendance sera livré aux assurances. Le gouvernement sait que sa politique engendre la colère et les angoisses populaires. Alors, l’arme qu’il lui reste, c’est la division des Français, d’où cet abject débat sur l’islam. Pour s’en sortir, Nicolas Sarkozy et son clan sont prêts à pratiquer la politique de la terre brûlée.

HD. Comment analysez-vous 
les scores de Marine Le Pen 
dans les sondages  ?

P. L. Nicolas Sarkozy porte une très grave responsabilité dans cette progression. Ajoutons à cela l’outrageante promotion médiatique de Marine Le Pen, repeinte en quelques semaines en syndicaliste. Mais où était la chef du FN pendant le mouvement sur les retraites  ? Nous devrons démonter cette imposture politique d’une prétendue conversion sociale du FN. Mais il y a aussi une énorme manipulation qui veut enfermer nos concitoyens dans un scénario politique qu’ils n’ont pas 
décidé et dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Le matraquage des sondages est insupportable. On veut confisquer aux électeurs leur liberté de choix. Moi, je constate sur le terrain qu’il y a une énorme colère qui touche toutes les catégories de la population et que le pays cherche comment l’exprimer le plus utilement possible. Il y a du doute, de la désespérance, mais il y a aussi et surtout beaucoup de luttes, de résistances, de solidarités, de prises de conscience. La jeunesse est formidable, combative, les syndicalistes courageux face à un patronat arrogant. Notre pays regorge d’énergies sociales et politiques progressistes incroyables, et ce sont ces forces qui ont usé Sarkozy, pas le FN. C’est là qu’est le défi à relever. Aider ces forces à se fédérer, à s’unir autour d’un projet politique combatif dans lequel elles se reconnaissent vraiment.

HD. Mais la gauche, justement, n’est pas au rendez-vous de ce défi  !

P. L. Oui, il faut changer la gauche, et plus exactement son projet, qui doit se situer là où sont les exigences populaires et pas ailleurs  : quand un mouvement social allant jusqu’à rassembler 7 millions de gens exige le maintien de la retraite à 60 ans à taux plein et la taxation des revenus financiers, la gauche ne peut pas répondre en termes de «  contraintes  » et couper les cheveux en quatre  ! Les communistes et le Front de gauche sont clairs là-dessus, nos propositions vont chercher l’argent là où il est, dans le portefeuille des revenus financiers des grandes entreprises. Si tout le monde à gauche avait ce courage, la dynamique politique dans le pays serait énorme. Quand les dirigeants européens s’apprêtent, fin mars, sous l’impulsion d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, à adopter un «  pacte de compétitivité  » qui est le pire des programmes antisociaux adoptés depuis le début de la crise, qui préconise le blocage de salaires, la retraite à 67 ans, la suppression de l’ISF et l’augmentation de la TVA… la gauche ne peut pas tergiverser. Nous, avec le Front de gauche, nous lançons une campagne de révélations, de mobilisations et de propositions alternatives pour une relance sociale en France et dans toute l’Europe. Et tous ceux qui veulent mettre la gauche à la hauteur devraient être au rendez-vous. Nous appelons à une riposte de même ampleur que celles contre la directive Bolkestein ou le traité constitutionnel de 2005. Pendant ce temps, le PS et Europe Écologie-les Verts se noient dans leurs primaires. Que d’énergie dévoyée  ! Avec le Front de gauche, nous le constatons tous les jours sur le terrain, des millions de personnes sont prêtes à se mobiliser pour la construction d’un programme populaire qui prenne à bras-le-corps les urgences sociales et les moyens de les mettre en œuvre. Arrêtons le concert des lamentations à gauche. Agissons  !

HD. Quel est l’enjeu des élections cantonales dans ce contexte  ?

P. L. Le 20 mars, avec les élections cantonales, on peut remettre les pendules à l’heure. Le gouvernement organise le silence autour des élections et l’abstention populaire parce qu’il a peur d’une nouvelle sanction. On nous abreuve de sondages farfelus sur la présidentielle mais rien sur un scrutin qui a lieu dans quelques jours. Il faut sonner la mobilisation démocratique, et battre à plate couture la droite et l’extrême droite dans les urnes. Ce jour-là, ce sera aux électeurs de faire le sondage. Avec le vote pour les candidats communistes et du Front de gauche, on pourra en même temps envoyer un message clair et net à gauche, pour un engagement en faveur des services publics, de l’éducation ou de l’action sociale. Si la droite et l’extrême droite sont battues, si le Front de gauche progresse, s’il obtient de nombreux élus, alors on commencera la bataille de 2012 sur les meilleures bases qui soient. Chaque jour qui reste doit être utilisé pour cela.

HD. Qu’est-ce qui commence à émerger de la construction du programme populaire et partagé.

P. L. Après les élections cantonales, avec le Front de gauche, nous devrons finaliser les grands axes du programme partagé, pour pouvoir pousser dans le pays, dans la gauche sa mise en débat. La campagne des élections cantonales, les forums que nous avons tenus dans toute la France montrent que cette démarche peut se faire entendre. Les derniers forums tenus à Marseille sur le travail, au Mans sur l’argent ou à Nîmes sur l’Europe ont tous connu un gros succès d’affluence. La mise au travail de cette intelligence collective correspond à une aspiration profonde à préparer 2012 autrement que par le spectacle politique navrant auquel on assiste. En se mettant à l’écoute de toutes celles et tous ceux qui agissent dans le pays, on voit se dégager clairement les grandes priorités qui peuvent constituer le programme que devrait porter la gauche. Et on voit aussi très clairement les questions auxquelles la gauche ne pourra pas se dérober si elle veut rendre crédible le changement proposé. Je pense à la nécessaire reprise du pouvoir sur l’argent, celui des entreprises et des banques en particulier. Je pense à la réforme fiscale, aux droits des 
travailleurs, à la réorientation radicale de la construction européenne que devrait porter la France, à la lutte contre les délocalisations et à la relance d’une véritable politique industrielle pour la France. C’est important de pousser ce travail de propositions pour ne pas en rester à des incantations. Nous avons prévu une réunion du Front de gauche le 31 mars pour synthétiser ce travail à la lumière du résultat des élections cantonales.

HD. Dans la foulée, quelles initiatives du Front de gauche  ?

P. L. Si nous avançons comme il convient sur les grandes lignes de notre programme partagé, il faudra alors nous mettre en ordre de bataille pour 2012. Nous travaillons à ce que les communistes aient en main, début avril, lors de notre Conseil national, tous les éléments de ce qui pourrait constituer le contrat politique commun passé entre les forces du Front de gauche pour aller ensemble à ces échéances politiques  : orientation et programme politique, dispositif collectif de campagne, accord pour les législatives que nous voulons mener de front avec l’élection présidentielle. Si ce contrat existe et je crois que nous devons tout faire pour y parvenir afin d’ouvrir une perspective d’espoir et que les communistes le valident, la désignation de la candidature à l’élection présidentielle lui sera liée. Nous savons qu’il faudra choisir une seule personnalité pour représenter un Front de gauche qui tire sa force de sa diversité. Tous les communistes que je rencontre sont conscients de cette difficulté. Ils seront maîtres du choix et auront donc une grande responsabilité. Je leur fais totalement confiance.

Entretien réalisé par 
Stéphane Sahuc pour L’Humanité-Dimanche (10-16 mars 2011)


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