Tribune : Pour une culture éthique à l’école publique

vendredi 6 janvier 2012.
 

Faut-il, et comment, développer une culture éthique à l’école publique  ? Cette question fait partie de celles qui fâchent. Et pourtant, quand on interroge les citoyens sur l’importance de l’éthique dans l’éducation, ils sont nombreux à reconnaître qu’il s’agit là d’un problème important. Cette question entre dans le programme d’un grand débat nécessaire sur l’éducation dans ce pays, et particulièrement sur l’éducation scolaire.

Un véritable débat sur l’éthique à l’école peut-il être lancé en France  ? Une comparaison doit être faite avec ce qui s’est passé pour l’étude des faits religieux à l’école. Quand, au début des années quatre-vingt, la Ligue de l’enseignement engagea le débat sur cette question, on pouvait également penser que c’était là toucher à un thème tabou. Pourtant, l’opinion publique se montra très vite favorable. Un grand débat eut lieu, si l’on en juge par le nombre des colloques, des conférences, des dossiers, des articles traitant de cette présence d’une étude des religions à l’école. La richesse du débat eut quelque chose d’exceptionnel et contribua à une prise de conscience qui ne fut pas sans effet sur l’évolution de l’école. Même si l’on estime que la présence de l’étude des faits religieux dans la culture scolaire n’est pas encore ce qu’elle devrait être, c’est un fait que le débat a gagné  : l’accord sur sa nécessité est largement acquis.

On peut souhaiter la réédition de l’expérience vécue en ce qui concerne les religions pour la culture éthique à l’école.

Cependant, l’actualité montre bien que la question est bien de celles qui fâchent. Avant même l’ouverture du débat, il ne manque pas de gens pour penser, et le dire, qu’avant de « faire la morale » à l’école il faudrait que les responsables de cette société balaient d’abord devant leur porte. En clair  : ce ne sont pas les enfants qu’il faut « moraliser » mais le monde adulte.

L’objection est parfaitement justifiée quand elle évoque l’état de la société du point de vue moral. Elle est juste également quand elle suggère que l’état de la société au regard de la morale et des valeurs est susceptible d’avoir les effets les plus désastreux dans le système éducatif.

Mais pour l’essentiel, le refus, a priori, d’examiner la question d’un développement de la culture éthique à l’école repose sur un malentendu et sur une vue restrictive de l’enjeu. Car dans l’esprit de ceux qui plaident pour un grand débat sur cette question, il ne s’agit pas de «  faire la morale aux enfants  » ou de les inciter à se conformer dans leur vie à une morale particulière.

Là remonte à la surface l’image que l’on se fait souvent de ce que fut, au début de l’école laïque, l’éducation morale à l’école. Du coup, c’est le phantasme du «  retour  » des leçons de morale qui bloque la réflexion. Mais cette image, qui résulte d’ailleurs d’une vision très déformée de ce que fut la morale laïque de Jules Ferry ou celle de Ferdinand Buisson, est aux antipodes de l’enjeu d’une culture éthique aujourd’hui.

La culture éthique à l’école devrait avoir pour premier enjeu non pas de conditionner les enfants à un conformisme moral mais de leur donner les moyens de construire, librement, une capacité de réfléchir sur les enjeux moraux dans leur vie personnelle et sociale. Loin de viser à imposer des jugements tout faits, il s’agit de développer chez les écoliers et les collégiens l’aptitude à choisir de manière raisonnée une option d’ordre éthique. Il importe qu’ils apprennent que leur vraie liberté suppose, pour s’exercer, une culture de la conscience morale, et que celle-ci est nécessaire à leur liberté, dans une société où les conditionnements sont puissants. L’aptitude à l’autonomie morale est la forme accomplie de la liberté. La culture éthique est une arme indispensable du citoyen pour l’exercice de ses responsabilités en démocratie, à l’heure où elles se complexifient du fait, par exemple, des technosciences et s’exercent dans des espaces nouveaux, plus étendus et interdépendants.

Cette culture suppose une réflexion sur les critères d’une action moralement légitime. Elle implique une élucidation de la question des valeurs éthiques et une maîtrise du vocabulaire de base de la réflexion éthique. Elle passe notamment par des échanges, des dialogues, des lectures empruntées à la littérature et à la philosophie morale, par des études de cas et par des débats.

Cependant, la culture éthique comporte un deuxième volet  : dans la mesure où la société laïque doit chercher sa cohésion dans des repères communs et dans la reconnaissance simultanée de la diversité des cultures et de l’unité de la condition humaine, il est indispensable d’inventorier et d’approfondir les valeurs communes, celles dont il importe qu’un maximum de citoyens puissent les partager, pour éviter que la vie sociale se dégrade en cynisme, voire en déchaînement de violence.

Cet aspect de la culture éthique est déjà présent de manière implicite dans la réflexion sur les droits de l’homme, dans les cursus concernant la citoyenneté. Mais la solidité de la réflexion sur les droits de l’homme serait renforcée si elle s’adossait à une réflexion éthique. Il en va de même de toute l’initiation à la citoyenneté. Notons-le, ce deuxième aspect de la culture éthique sera d’autant mieux assumé s’il peut s’appuyer sur une culture éthique personnelle. L’ampleur de la tâche proposée est telle que, dans ce domaine, des initiatives précipitées pourraient compromettre le résultat recherché. C’est un vaste débat citoyen qui serait susceptible de faire apparaître un consensus le plus large. Et celui-ci est indispensable à l’instauration d’une culture éthique à l’école.

L’initiative récente du ministre de l’Éducation nationale sur « l’instruction » morale, dans les conditions où elle a été lancée, est contre-productive, apparaissant comme essentiellement normative. De plus, elle se restreint à l’école élémentaire et émerge quand disparaît la formation des enseignants. Or, un effort de formation des enseignants est un préalable à la mise en place d’une culture éthique à l’école. On peut craindre qu’une telle initiative précipitée, peu compréhensible, ait pour effet de développer le malentendu sur le sens de la culture éthique à l’école. On peut imaginer qu’avant de propulser des initiatives nationales, sans prise en compte des conditions d’application, il faille passer par une phase d’expérimentation. Il reste que cette initiative est une raison de plus d’ouvrir un vaste débat. Car même critiquable, elle est le signe de la perception d’un réel problème. C’est pourquoi l’initiative de la Ligue de l’enseignement, dans le cadre du prochain Salon de l’éducation, est d’une brûlante actualité. Elle consiste à mener, pendant deux jours, un travail de réflexion sur une seule question  : faut-il, et comment, développer une culture éthique à l’école publique  ? Cette question fait problème, il est d’autant plus urgent d’y réfléchir. C’est de la compétence de tout citoyen d’avoir à se prononcer sur ce sujet.

(1) Auteur de la Laïcité, principe universel, Éditions Le Félin. 304 pages, 18,95 euros.

Éric Favey Guy Coq


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