Quand Sarkozy veut flinguer la justice « démissionnaire »

jeudi 4 janvier 2007.
 

Le 20 septembre, le ministre de l’Intérieur dénonce les juges « laxistes » de Bobigny

« On n’a jamais vu de telles attaques frontales de la part de quelqu’un qui est susceptible de devenir le chef de l’État. » Ces propos, signés Jean-Pierre Dintilhac, l’ancien procureur de la République de Paris, remontent à juillet 2005. À l’époque, Nicolas Sarkozy appelait à faire « payer » les juges après l’assassinat de Nelly Cremel par Patrick Gateau, un récidiviste placé en liberté conditionnelle. Cette invective avait jeté dans la rue des centaines de magistrats, ulcérés de se voir grimés en de vulgaires irresponsables. Et résonnait déjà comme le symbole d’un profond divorce entre le monde judiciaire et le ministre candidat.

En 2006 ? Ces relations déjà houleuses ne se sont guère arrangées. Le 20 septembre dernier, le Monde publiait une note confidentielle du préfet de Seine-Saint-Denis alertant le ministère de l’Intérieur sur la hausse inquiétante de l’insécurité. Une fuite savamment distillée qui permet à Nicolas Sarkozy, en pleine campagne préélectorale, d’entonner publiquement son couplet populiste sur la « démission » de la justice. En ligne de mire, cette fois, le tribunal de Bobigny, deuxième juridiction du pays. Et notamment la section des mineurs, taxée de « faiblesse » face aux jeunes délinquants, car trop embourbée dans une soi-disant « idéologie de l’excuse »...

Des accusations totalement farfelues. Comme le montrent les statistiques de la chancellerie, Bobigny, malgré des moyens faméliques, affiche un taux de réponses pénales (82 %) légèrement au-dessus de la moyenne des autres juridictions. Mais qu’importe ! Cette nouvelle attaque a eu le résultat escompté pour Nicolas Sarkozy : on parle de l’insécurité sans trop s’interroger sur son action depuis quatre ans et demi.

En l’espace de quelques jours, le ban et l’arrière-ban du monde judiciaire (à l’exception notable du garde des Sceaux) se sont dressés comme un seul homme contre cette nouvelle attaque de l’institution et de son indépendance. Fait sans précédent Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, est reçu à sa demande à l’Élysée auprès de Jacques Chirac. Pendant ce temps, le ministre de l’Intérieur s’en remet aux Français, son « seul juge ». Et peut se targuer du sempiternel sondage où l’on apprend que les deux tiers des personnes interrogées trouvent la justice « pas assez sévère »... Le contraire eût été étonnant.

Aujourd’hui, dans les tribunaux, les magistrats, qui attendent encore la grande réforme de la justice promise après la terrible affaire d’Outreau, sont franchement las de ce jeu de dupes organisé par la Place Beauvau. « Face aux difficultés, Nicolas Sarkozy utilise toujours les mêmes ressorts démagogiques, analyse un juge parisien. Il élude ses responsabilités pour mieux livrer un coupable idéal à l’opinion publique. Un coup c’est la "racaille de banlieue’’, un coup c’est "l’immigré clandestin’’, un coup c’est le "juge laxiste’’... »

Cette stratégie du bouc émissaire et de la défausse détourne les regards de son propre bilan. Mais pas seulement. Elle permet aussi à Nicolas Sarkozy de fragiliser encore l’institution judiciaire pour mieux la mettre au pas. « Derrière les sophismes de Nicolas Sarkozy se cache une contestation radicale de l’indépendance de la justice et de la particularité de son fonctionnement, estime Côme Jacqmin, du Syndicat de la magistrature (1). Sarkozy rêve d’une justice exempte de toute contradiction, dans laquelle tout risque de solution divergente serait annihilé, où il n’y aurait plus d’appel possible. Cette vision de la justice correspond à l’idée qu’il nous vend d’une société débarrassée de toute aspérité et notamment de "l’insécurité’’ qu’il met en avant pour mieux camoufler la précarisation qu’il justifie dans le domaine social. »

De fait, les projets du candidat à l’élection présidentielle en matière de justice poussent vers une plus grande automaticité des peines. Retoquée lors du débat parlementaire sur le projet de loi « prévention de la délinquance », son idée d’instaurer des « peines plancher automatiques » pour les récidivistes figurera en bonne place dans sa profession de foi. Tout comme la profonde réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs. Avec, en idée centrale, abaisser de 18 à 16 ans l’âge de la responsabilité pénale afin de juger les adolescents comme les adultes. Évidemment, tout cela s’accompagnera d’une nouvelle augmentation du nombre de places en prison. Histoire de mieux cacher la misère.

(1) Libération

Laurent Mouloud


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message