La BAC (Brigade Anti Criminalité) « C’est un contrôle social inefficace » ( Didier Fassin, sociologue)

samedi 10 décembre 2011.
 

Immergé pendant quinze mois au sein d’une BAC, le sociologue Didier Fassin signe, avec la Force de l’ordre (1), une étude à charge contre la police des cités.

Selon vous, la police effectue dans les quartiers une répression ciblée qui serait intolérable dans d’autres endroits du pays. Pourquoi  ?

Didier Fassin. Les pratiques policières ne sont pas les mêmes à l’égard de tous. Au XIXe siècle, le traitement le plus répressif était réservé aux « classes dangereuses » des milieux populaires. Dans la première moitié du XXe siècle, il visait notamment les « indigènes » issus des colonies. Aujourd’hui, dans les banlieues, il concerne des populations qui, pour la plupart, ont ce double héritage d’une origine ouvrière et immigrée. Les relations entre les habitants des cités et les forces de l’ordre se sont durcies à partir du début des années 1990, avec des législations plus punitives et des moyens nouveaux donnés aux policiers. Depuis 2002, avec la politique dite du chiffre, les policiers, qui avaient choisi ce métier pour arrêter les voyous et les voleurs, sont conduits en réalité à interpeller des sans-papiers et des usagers de cannabis.

Les « méthodes paramilitaires » de la BAC et de ses policiers 
sont-elles influencées par 
les séries américaines  ?

Didier Fassin. Je me réfère à un ensemble de recherches en Europe et en Amérique du Nord qui montrent une militarisation des forces de l’ordre et le développement d’unités spéciales avec, en effet, des modes d’action de type paramilitaire. Les BAC en sont une illustration dans le cas français. À côté des policiers en tenue, elles interviennent en utilisant des méthodes musclées et disproportionnées. Il faut ajouter à cela un encadrement très lâche qui les place dans une situation de large autonomie vis-à-vis de leur hiérarchie. De plus, l’imaginaire de la guerre est très présent parmi elles, avec l’idée qu’elles sont confrontées à des guérillas urbaines qui justifient, en retour, ces technologies militaires et ces expéditions punitives. Pour justifier à leurs yeux ces pratiques, elles voient les habitants des cités comme des ennemis et même l’ensemble de la population comme leur étant hostile. Cette représentation conduit ces policiers à se montrer très solidaires entre eux, même en cas de dérapages, se protégeant entre eux aussi bien vis-à-vis de l’extérieur que de leur propre hiérarchie.

En quoi les contrôles d’identité injustifiés représentent-ils une forme de contrôle social  ?

Didier Fassin. Il faut rappeler que le contrôle d’identité est réglementé. Un agent peut contrôler quelqu’un suspecté d’avoir commis ou de s’apprêter à commettre un acte délictueux. Depuis 1993, il peut être effectué également de manière préventive, dans un quartier où a eu lieu un acte délictueux. Les contrôles d’identité sans raison, hors de ces cadres, n’ont qu’une fonction  : remettre les jeunes à leur place, et faire régner l’ordre au gré des policiers. Cette forme de contrôle social est inefficace du point de vue de la sécurité publique, car elle ne fait que tendre les relations entre les forces de l’ordre et les habitants des quartiers.

Vous parlez dans votre livre de la tension, chez ces policiers, entre le principe de justice et la logique du ressentiment, qui les amène à faire justice eux-mêmes. De quoi s’agit-il  ?

Didier Fassin. Ces policiers ont souvent le sentiment – totalement faux, au demeurant – que les magistrats sont trop laxistes et qu’ils relâchent les jeunes qu’ils interpellent. Les fouilles humiliantes, les menottages injustifiés et les gardes à vue sont pour eux un moyen de faire payer ces jeunes qu’ils pensent, directement ou indirectement, coupables. L’objectif, comme ils disent, est de leur « pourrir la vie ».

(1) La Force de l’ordre, une anthropologie de la police des quartiers, de Didier Fassin. Éditions Le Seuil.

Entretien réalisé par Mehdi Fikri, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message