Un tortionnaire aux Invalides : le général Bigeard

jeudi 1er décembre 2011.
 

4) NON À UN HOMMAGE OFFICIEL AU GÉNÉRAL BIGEARD

De son vivant, le général Bigeard a toujours bénéficié de l’admiration des forces politiques les plus réactionnaires et de leur soutien actif. Et voici qu’une année après sa mort, il est de nouveau utilisé pour une manœuvre politicienne, orchestrée par le ministre de la Défense, dont le passé d’extrême droite est connu : le transfert aux Invalides de ses cendres.

Cette initiative est doublement pernicieuse.

D’une part, il y a une certaine indécence à mettre Bigeard au rang d’autres grands militaires qui y reposent, parfois depuis des siècles. On peut avoir des analyses critiques sur tel ou tel d’entre eux, mais beaucoup mirent leur génie au service de la défense du territoire français.

D’autre part, et surtout, une telle initiative serait une insulte à divers peuples qui acquirent au prix fort, naguère, leur indépendance. Ces pays sont libres depuis des décennies, ils ont le plus souvent des relations cordiales avec le nôtre. A-t-on pensé un instant quel signal le gouvernement français s’apprête à leur envoyer ? Est-ce du mépris à l’état pur ou de l’inconscience ?

On nous présente cet officier comme un héros des temps modernes, un modèle d’abnégation et de courage. Or, il a été un acteur de premier plan des guerres coloniales, un « baroudeur » sans principes, utilisant des méthodes souvent ignobles. En Indochine et en Algérie, il a laissé aux peuples, aux patriotes qu’il a combattus, aux prisonniers qu’il a « interrogés », de douloureux souvenirs. Aujourd’hui encore, dans bien des familles vietnamiennes et algériennes, qui pleurent toujours leurs morts, ou dont certains membres portent encore dans leur chair les plaies du passé, le nom de Bigeard sonne comme synonyme des pratiques les plus détestables de l’armée française.

Nous n’acceptons pas que la notion d’héroïsme soit liée à l’histoire de cet homme. Lors des guerres coloniales conduites par la France, les vrais héros étaient ceux qui, dans les pays colonisés, luttaient pour la liberté et l’indépendance de leurs peuples, ceux qui, en métropole, ont eu la lucidité de dénoncer ces conflits, si manifestement contraires au droit international, au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à l’intérêt même de la nation française.

L’objectif aurait été de réveiller les guerres mémorielles que les manipulateurs à l’origine de cette initiative ne s’y seraient pas pris autrement.

Nous exigeons que le gouvernement français renonce à cette initiative historiquement infondée, politiquement dangereuse et humainement scandaleuse.

http://nonabigeardauxinvalides.net/

3) Les cendres de Bigeard le tortionnaire aux Invalides : Des Algériens et des Français disent non !

Les cendres du général Marcel Bigeard, décédé en juin 2010, vont être transférées à l’Hôtel des Invalides à Paris, où reposent les gloires de l’armée française. L’initiative du ministre français de la Défense, Gérard Longuet, suscite une vive controverse en France et en Algérie eu égard au passé de Bigeard en Algérie. Des hommes politiques, des intellectuels, des journalistes et des historiens français et algériens ont lancé un appel pour exiger « que le gouvernement français renonce à cette initiative historiquement infondée, politiquement dangereuse et humainement scandaleuse. »

Marcel Bigeard avait souhaité que ses cendres soient dispersées au dessus de Dien Biên Phù, le camp retranché des troupes françaises au Vietnam, pour « rejoindre ses camarades tombés au combat » en mai 1954. Toutefois, les autorités vietnamiennes ont refusé d’accéder à son vœu.

Suite à ce refus définitif, Gérard Longuet adresse une lettre à la fille du général pour lui proposer que les cendres soient transférées aux Invalides. Celle-ci donne son accord à ce transfert, pour lequel aucune date n’a encore été fixée. Et l’initiative passe très mal.

Des hommes politiques, des intellectuels, des journalistes et des historiens français et algériens ont lancé un appel pour exiger « que le gouvernement français renonce à cette initiative historiquement infondée, politiquement dangereuse et humainement scandaleuse. »

Après la loi du 23 février 2005 sur la colonisation « positive », après les stèles de Marignane [1] et d’ailleurs honorant la mémoire des membres de l’OAS (Organisation armée secrète), le transfert des cendres de Bigeard aux Invalides relève de la falsification historique, explique ce collectif [2].

Bigeard en Algérie

Après la guerre d’Indochine, Marcel Bigeard reprend du service en Algérie en octobre 1954, une année après le début de l’insurrection algérienne, en prenant le commandement du 3e BPC (Bataillon de parachutistes coloniaux). Mais c’est durant la bataille d’Alger en 1957 que ce fort en gueule va s’illustrer par ses méthodes de tortionnaire.

Pour mater la résistance, Robert Lacoste, alors ministre et gouverneur général, décide de confier les pleins pouvoirs au général Massu.

Bouclage systématique de la ville, fouilles, fichages, interpellations, arrestations, tortures, disparitions, exécutions sommaires, les paras de la 10e Division de parachutistes dont le colonel Bigeard était un des commandants ne lésinent devant aucun moyen pour venir à bout des combattants du FLN.

Crevettes Bigeard

Bigeard est ainsi accusé d’avoir pratiqué la torture à vaste échelle et ordonné des exécutions sommaires. Ces pratiques lui ont valu le sobriquet « crevettes Bigeard » qui désigne ces Algériens qu’on jetait en mer depuis un hélicoptère ou un avion, les pieds coulés dans une bassine de ciment.

Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé de la police, d’août 1956 à septembre 1957, témoigne ainsi sur cette méthode : « Bigeard, le courageux Bigeard, arrêtait quelqu’un lui mettait les pieds dans une cuvette, y faisait couler du ciment à prise rapide et le précipitait en mer du haut d’un hélicoptère ».

Bigeard est également accusé d’avoir fait exécuter Larbi Ben M’hidi, héros de la Bataille d’Alger, arrêté le 23 février 1957 par les parachutistes. Interrogé pendant une dizaine de jours par le colonel Bigeard qui le confiera plus tard aux Services spéciaux, Ben M’hidi a été exécuté dans la nuit du 3 au 4 mars 1957.

Ben M’hidi pendu

La thèse officielle faisait croire que le chef du FLN « s’était suicidé dans sa cellule en se pendant à l’aide de lambeaux de sa chemise ». Il avait fallu attendre novembre 2000 pour qu’un témoignage inédit fasse la lumière sur la disparition de Ben M’hidi.

Dans une confession livrée au journal Le Monde, Paul Aussaresse, membre des services spéciaux, révèle comment Ben M’hidi a été exécuté dans une ferme à une vingtaine de kilomètres d’Alger.

« Nous avons isolé le prisonnier dans une pièce déjà prête. Un de mes hommes se tenait en faction à l’entrée. Une fois dans la pièce, avec l’aide de mes gradés, nous avons empoigné BenM’hidi et nous l’avons pendu, d’une manière qui puisse laisser penser à un suicide », raconte-t-il à la journaliste Florence Beaugé.

La torture un mal nécessaire

Face aux accusations, Bigeard a toujours maintenu deux positions. Non, il n’a pas exécuté Larbi Ben M’hidi. Il n’a pas non plus pratiqué la torture. Dans le courant de l’année 2002, Bigeard rencontre Drifa Hassani, la sœur de Ben M’hidi ainsi que le mari de cette dernière à Paris.

« Ce n’est pas un homme comme Larbi Ben M’hidi qui se suicide », confie-t-il à la sœur du martyr de la révolution. Dans ses écrits autant que dans ces entretiens avec la presse, Bigeard faisait montre de respect et d’admiration pour Ben M’hidi.

En juillet 2000, il affirme que la torture était un « mal nécessaire », ajoutant qu’il s’agissait d’une « mission donnée par le pouvoir politique », mais démentant l’avoir pratiquée lui-même.

En 2007, Bigeard revient sur le sujet dans un entretien accordé au quotidien suisse Liberté : « Vous savez, nous avions affaire à des ennemis motivés, des fellaghas, et les interrogatoires musclés, c’était un moyen de récolter des infos. Mais ces interrogatoires étaient très rares et surtout je n’y participais pas. Je n’aimais pas ça. Pour moi, la gégène était le dernier truc à utiliser », explique-t-il.

C’est donc les cendres de ce tortionnaire que le gouvernement de Nicolas Sarkozy voudrait déposer aux Invalides.

Mehdi Benslimane

2) Pour 2012, Gérard Longuet retrouve ses idoles

L’ancien ultra devenu ministre de la Défense veut transférer les cendres du général Bigeard aux Invalides.

Le général Bigeard voulait que ses cendres soient dispersées à Diên Biên Phu, au Vietnam, pour « rejoindre ses camarades tombés au combat ». C’était sans compter sur l’utilisation politique que les nostalgiques des colonies pouvaient faire de son nom. L’histoire est passée (presque) inaperçue, mais le mois dernier Gérard Longuet a proposé que les cendres du tortionnaire de la guerre d’Algérie soient déposées aux Invalides, aux côtés des maréchaux Leclerc, Foch, Juin et de Rouget de Lisle.

Le 20 octobre, la fille de Marcel Bigeard a reçu à son domicile de Toul une proposition de transfert des cendres du général, décédé en juin 2010, signée du ministre de la Défense, selon l’Est républicain. Pas de communication officielle du ministère, dont l’occupant a côtoyé des anciens de l’OAS au sein du 
mouvement d’extrême droite Occident, mais une réaction du cabinet de la 
ministre de l’Apprentissage et de la 
Formation professionnelle, Nadine 
Morano, qui a été députée de la circonscription de Toul, comme Marcel Bigeard. Selon son cabinet, repris par le quotidien lorrain, « le choix des 
Invalides est à la hauteur de l’homme ».

Voilà qui a dû faire hurler de douleur les derniers témoins de la torture en Algérie. Marcel Bigeard a « organisé une industrie routinière de la torture de masse », rappelait K. Sélim, éditorialiste au Quotidien d’Oran, le 20 juin 2010. La gégène « pouvait aider à délier des langues », confiait le général au Figaro le 23 novembre 2000. « Il n’a jamais contesté être à l’origine, qu’il ait perpétré lui-même ou couvert, des actes de torture », souligne Jean-François Gavoury, président de l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS. Les Algérois n’ont jamais oublié les « crevettes Bigeard », ces prisonniers torturés et ligotés, coulés dans le port de la ville blanche.

Cette proposition fait partie d’une large offensive de réhabilitation. Après l’érection de stèles aux anciens de l’OAS, une partie de la droite dure « assure la promotion et la postérité de partisans de l’Algérie française ». Sans doute n’est-il « pas bon de chercher après tant d’années à établir les responsabilités et à faire la comptabilité des crimes », estime le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino. Ce qui explique que le président de l’Association de défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française, ancien de l’OAS et conseiller FN d’Hyères, vient d’être décoré chevalier de la Légion d’honneur. Et que Hélie de Saint-Marc, officier parachutiste ayant participé au putsch des généraux et condamné à dix ans de réclusion criminelle, s’apprête, selon le blog Secret défense, à être reçu grand-croix.

Grégory Marin

1) Bigeard aux Invalides (Le Monde du 17 novembre 2011)

Les cendres du général Marcel Bigeard, mort en juin 2010, vont être transférées à l’Hôtel des Invalides, à Paris, où reposent les gloires de l’armée française, a-t-on appris jeudi 17 novembre auprès du ministère de la défense [Gérard Longuet, ministre]. [...] Baroudeur des guerres coloniales, le général Bigeard est considéré par les militaires comme le dernier personnage héroïque de l’armée française. [...]

Son rôle lors de la bataille d’Alger en 1957, durant laquelle la torture a été fréquemment pratiquée, est en revanche très controversé.

(...) Il a fallu attendre juin 2000 et la publication par Le Monde du témoignage de Louisette Ighilahriz pour que ces pratiques soient publiquement et largement dévoilées.

En 1957, âgée de 20 ans, Louisette est une combattante du Front de libération nationale (FLN) ; tombée avec son commando dans une embuscade tendue par les parachutistes du général Massu, elle est capturée et emmenée, grièvement blessée, au quartier général. Là, elle est sévèrement torturée, sans relâche, trois mois durant.

Dans son récit, Louisette précise comment Massu, ou bien Bigeard, quand ils venaient la voir, l’insultaient et l’humiliaient avant de donner l’ordre par gestes de la torturer.

Elle écrit : "Massu était brutal, infect. Bigeard n’était pas mieux".

Louisette a souvent hurlé à Bigeard : "Vous n’êtes pas un homme si vous ne m’achevez pas".

Et lui répondait : "Pas encore, pas encore !".

Elle ne doit sa survie qu’à un médecin militaire qui la découvrit fin décembre 1957. Il la fit transporter dans un hôpital où elle échappa à ses tortionnaires. C’est cet homme qu’elle voulait retrouver au moyen de son récit dans Le Monde pour pouvoir lui dire merci.

Aujourd’hui encore, à plus de 60 ans, Louisette souffre des séquelles physiques et psychiques des mauvais traitements qui lui ont été infligés.

Son récit a été à l’origine d’un flot de courriers de lecteurs et d’articles dans de nombreux médias français ; parmi ceux-ci, le témoignage d’un autre combattant du FLN - Noui M’Hidi Abdelkader - arrêté à Paris en 1958, incarcéré et torturé à Versailles ; ce qui confirme que la torture était également pratiquée en France.

A la suite de ces révélations, Massu, qui s’est vanté de s’être administrée lui-même la "gégène" (générateur d’électricité utilisé pour la torture) a reconnu que "la torture avait été généralisée en Algérie" et "institutionnalisée avec la création du Centre de coordination interarmées (CCI) et des Dispositifs opérationnels de protection (DOP)". Il affirme toutefois qu’il n’y a "jamais été directement mêlé".

Même ligne de défense de Bigeard, pour qui la torture a été un "mal nécessaire", mais qui dément l’avoir pratiquée lui-même.

"Les crevettes de Bigeard"

Cette expression désigne les personnes qui ont été exécutées illégalement durant la guerre d’Algérie en étant jetées depuis un hélicoptère en mer Méditerranée, les pieds coulés dans une bassine de ciment.

Ministre et député de la République

En 1975, Bigeard - devenu général quatre étoiles - est nommé secrétaire d’Etat à la Défense par Giscard d’Estaing ; par la suite, et durant dix ans, il demeure un politicien actif, s’employant à se faire élire député UDF de la Meurthe-et-Moselle.

A l’annonce de la mort de son tortionnaire, Louisette Ighilahriz, a déclaré : "Chez nous, le nom de Marcel Bigeard est synonyme de mort et de torture. Il aurait pu libérer sa conscience avant de mourir. J’en suis profondément déçue, malade".


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