Arrestation de Zarakolu : retour des vieux démons fascisants dans la Turquie d’Erdogan

vendredi 11 novembre 2011.
 

2) De Mustapha Kemal à Recep Erdogan, la Turquie n’est ni laïque, ni islamiste modérée

Après soixante heures de garde à vue, Ragip Zarakolu a été inculpé et incarcéré à Istanbul, mardi 1er novembre, pour « appartenance à une organisation terroriste ». Un retour brutal à la case prison pour cet éditeur et militant des droits de l’homme de 63 ans, arrêté une trentaine de fois et coutumier des procès absurdes.

En 1971, il avait été emprisonné pendant cinq mois pour « des liens secrets avec l’ONG Amnesty International ». Puis à deux ans de prison pour un article sur la guerre du Vietnam. Fondateurs de la maison d’édition Belge, Ragip Zarakolu et sa femme, Aysenur, décédée en 2002, ont été poursuivis, souvent condamnés, pour avoir publié des écrits de prisonniers politiques, des ouvrages sur le génocide arménien, sur les Kurdes, ou encore une anthologie de poésie chypriote-grecque.

Cette fois, M. Zarakolu paye son engagement contre la « sale guerre » qui sévit entre la Turquie et la guérilla du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan). Il est soupçonné, comme 43 autres personnes, d’appartenance au KCK (Union des communautés kurdes), la branche civile et clandestine du PKK, que la justice turque s’est mise en tête de démanteler. Son fils, Deniz, étudiant et éditeur, avait été arrêté début octobre à Istanbul.

Plus invraisemblable est l’arrestation de la constitutionnaliste Büsra Ersanli, qui participait aux consultations sur la future réforme de la Constitution. « Elle est l’une des premières à s’être attaquée au sujet de la fabrication d’un récit historique entièrement tourné vers la glorification du peuple turc », précise l’historien Etienne Copeaux.

En attendant leur procès, au mieux dans un an, les accusés resteront en prison.

Cette nouvelle vague d’arrestation jette le trouble sur la procédure hors normes du KCK, lancée en avril 2009 et qui a conduit à environ 8 000 gardes à vue et 4 000 inculpations. Chaque semaine, des dizaines de noms viennent s’ajouter à la liste. « Demain, c’est à notre porte qu’ils peuvent sonner, il n’y a plus de justice », clamait lundi, Sebahat Tuncel, députée du parti kurde légal, le BDP (Parti de la paix et de la démocratie), devant le tribunal d’Istanbul.

Ont déjà été incarcérés cinq députés, dix maires élus et des dizaines de responsables locaux du parti kurde... Les procès abusifs se sont multipliés. Une femme illettrée a été condamnée à sept ans de prison pour avoir brandi une banderole favorable au PKK. Des centaines d’enfants pour avoir jeté des pierres sur la police...

Pour le politologue Ahmet Insel, « le premier ministre a adopté une stratégie d’éreintement du PKK, juste après les municipales de 2009, frustré de ne pas être sorti vainqueur contre le BDP. Depuis, mentors et partisans de cette stratégie mènent un bombardement de propagande [qui] vise à nettoyer le champ politique de tous les « Kurdes hypocrites » et de ceux qui les soutiennent. Police, justice et médias y travaillent main dans la main ».

35 000 personnes inculpées

Cette offensive s’inscrit dans une tradition tenace. La Turquie détient le record mondial d’inculpations pour terrorisme. Selon l’agence AP, auteur d’une étude sur une décennie de « guerre mondiale contre le terrorisme », plus de 35 000 personnes ont été inculpées dans le monde, dont 13 000 pour la seule Turquie.

La majorité de ces condamnations concerne des militants kurdes, mais plus récemment, des dizaines de militaires et d’opposants à l’AKP (parti islamo-conservateur, au pouvoir) ont été emprisonnés. Des manifestants contre la construction d’une centrale hydroélectrique ou des étudiants interrompant un meeting pour réclamer « un enseignement gratuit » ont été lourdement condamnés.

La Turquie détient enfin le record du nombre de journalistes incarcérés : près de 60. « Aucun pour leurs écrits, tous pour des dossiers de terrorisme », tente de justifier Egemen Bagis, le ministre des affaires européennes. La loi permet par exemple au parquet de Diyarbakir de poursuivre le journaliste Recep Okuyucu, pour s’être connecté au site de l’agence de presse Euphrate, proche du PKK, dont l’accès est interdit en Turquie.

La couverture de manifestations et l’accès aux sources peuvent être criminalisés. « Les journalistes sont soumis à une pression qui équivaut à l’époque où l’état-major dictait la ligne », constate Erol Önderoglu, correspondant de Reporters Sans Frontières.

Guillaume Perrier

1) Nouvelle arrestation de Zarakolu

L’emprisonnement de l’éditeur et défenseur des droits de l’homme Ragip Zarakolu en Turquie a provoqué une grande vague d’indignation de la part des organisations internationales de la société civile, tandis que les gouvernements européens gardent toujours le silence.

Alors qu’une grande rafle visant la principale force légale kurde BDP prend de l’ampleur, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan continue de vanter sa « démocratie avancée » dans les pays européens qui lui encouragent à poursuivre sa politique répressive.

Erdogan vante la démocratie turque en Europe

Après avoir terminé sa visite de deux jours en Allemagne, entre le 1 et 2 novembre, le premier ministre turc est passé par la France les 3 et 4 novembre.

Au moment où la démocratie turque est saluée et présentée comme modèle pour le monde arabe, le gouvernement AKP n’hésite pas à enfermer tous les opposants. Plus de 4500 membres actifs du BDP, dont des maires, ont été arrêtés et plus de 1600 parmi eux ont été emprisonnés au cours des six derniers mois. Lors de la dernière grande rafle menée le 28 octobre à Istanbul contre le BDP, plus de 50 personnes ont été arrêtées et 44 d’entre elles dont Ragip Zarakolu et la professeure Busra Ersanli ont été envoyées en prison.

L’emprisonnement de ces deux derniers dans le cadre de l’affaire du KCK (Union des communautés du Kurdistan, considéré comme branche du PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan) a provoqué une grande vague d’indignation au niveau international.

Selon l’avocat de Zarakolu, Ozcan Kilic, il a été interrogé sur plusieurs articles publiés dans la revue kurde Özgur Gündem, sur des voyages effectués à l’étranger entre 2001 et 2011 et sur sa participation à l’inauguration de l’Académie politique d’Istanbul, perquisitionnée le vendredi 28 octobre.

HRW dénonce les arrestations

La décision d’un tribunal d’Istanbul pour emprisonner un éditeur et un professeur de sciences politiques en attendant leur procès sur des accusations de terrorisme expose les lacunes énormes du système de justice pénale de la Turquie, souligne Human Rights Watch. « Les arrestations de Ragip Zarakolu et Busra Ersanlı représentent un nouveau plus bas dans les abus des lois sur le terrorisme pour écraser la liberté d’expression et d’association en Turquie", a déclaré Emma Sinclair-Webb, chercheuse pour la Turquie de cette organisation.

RSF condamne avec vigueur

Reporters sans frontières (RSF) condamne « avec vigueur » l’arrestation de Ragip Zarakolu, chroniqueur pour le quotidien de gauche Günlünk Evrensel et directeur des Editions Belges. « Une nouvelle fois, l’utilisation abusive de la loi antiterroriste sert à faire taire les activistes sur la question difficile des minorités. L’organisation demande sa libération immédiate »

Zarakolu avait également été accusé en août 2010 de propagande terroriste pour avoir publié l’ouvrage de Mehmet Güler « Le dossier KCK : L’Etat global et les Kurdes sans Etat ». Faisant appel de sa condamnation, son dossier est depuis examiné en cour de cassation.

CCAF : le retour des vieux démons fascisants

Conseil de Coordination des organisations Arméniennes de France (CCAF) affirme que l’incarcération d’un des plus grands militants des droits de l’homme en Turquie, défenseur infatigable des minorités opprimées, des Kurdes et des Arméniens, marque un nouveau recul de la démocratie dans ce pays.

« Cette arrestation symbolise le retour des vieux démons fascisants que cet Etat n’a jamais eu le courage d’affronter de face et traduit la résurgence des fondements politiques de ce pays bâti sur le cadavre du peuple arménien et l’étouffement de sa diversité culturelle » s’inquiète ce conseil arménien, dans un communiqué.

« Le CCAF dénonce et condamne ces arrestations arbitraires et plus spécifiquement celle de Ragip Zarakolu, auquel il avait remis sa médaille du courage, lors d’une cérémonie qui avait eu lieu à la mairie de Paris, présidée par Bertrand Delanoë le 24 avril 2005. Il s’inquiète de cette nouvelle montée de l’intolérance et demande la libération immédiate de Ragip Zarakolu, qui a été le premier en Turquie à oser reconnaître le génocide des Arménien et à braver les interdits sur le sujet. »

Sirapian écrit une lettre à Alain Juppé

Le président-fondateur de l’Institut Tchobanian, Jean Sirapian, écrit quant à lui une lettre au Ministre français des affaires étrangères, Alain Juppé. « Après le décès de son épouse, Ragip Zarakolu continue son combat, avec son fils (arrêté lui aussi le 4 octobre) et autres progressistes, pour qu’une vraie démocratie s’installe dans ce grand pays qu’est la Turquie. Il en va non seulement du bien être des citoyens turcs mais aussi de la stabilité géopolitique dans cette région agitée du Proche Orient. Ragip Zarakolu est un ami et aussi rédacteur de notre revue géopolitique Europe&Orient que vous connaissez bien. C’est à ce titre que je vous adresse cette lettre. Je vous prie Monsieur le Ministre, de faire entendre la voix de la France, pour que Ragip Zarakolu soit libéré, en attendant son éventuelle apparition devant un tribunal, si la justice turque en décidait ainsi. »

IPA exige sa libération immédiate

L’Union internationale des éditeurs (IPA) exige la libération immédiate de Zarakolu, affirmant qu’il est largement considéré comme un héros de la liberté de publier.

Rappelant aussi qu’un des fils de Ragip Zarakolu, Deniz Zarakolu, a également été arrêté le 2 Octobre 2011, après avoir donné des conférences sur la philosophie politique à l’Académie du BDP et qu’il est détenu à la prison de type F à Edirne, l’organisation souligne que ces arrestations font partie d’une plus grande répression initiée en 2009 contre les partis politiques kurdes.

Selon IPA, l’emprisonnement de Zarakolu et de son fils, ainsi que la professeure Ersanli et d’autres intellectuels, constituent une violation des obligations de la Turquie, définies dans l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Le Collectif 1971 appelle à la solidarité avec Zarakolu

De son coté, le Collectif 1971 appelle à la solidarité avec Ragip Zarakolu. « En tant qu’associations issues de l’immigration politique en provenance de Turquie, nous sommes connaissons la courageuse et exceptionnelle contribution de Zarakolu à la défense des droits fondamentaux et des libertés des peuples arménien, assyrien, kurde et turc. Ragip Zarakolu et tous les autres défenseurs des droits de l’Homme et des peuples doivent tout de suite être mis en liberté. L’Initiative d’Ankara pour la liberté de Pensée vient de lancer une campagne de signature : Ca suffit ! Nous appelons tous les démocrates belges et européens à soutenir cette campagne. »

Le collectif est constitué de quatre organisations : l’Association des Arméniens Démocrates de Belgique, l’Institut Assyrien de Belgique, l’Institut Kurde de Bruxelles, la Fondation Info-Türk.


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