Enlèvement de Mehdi Ben Barka le 29 octobre 1965 Barbouzes gaullistes et féodalo-capitalisme marocain

mercredi 31 octobre 2012.
 

Enlevé et assassiné à Paris, le 29 octobre 1965, à l’âge de 45 ans, par les exécutants du régime marocain, avec la complicité des services français, américains et israéliens, Mehdi Ben Barka avait consacré la plus grande partie de sa vie à la lutte pour la libération du peuple marocain.

Le crime avait été décidé et organisé au plus haut niveau du pouvoir. Pour mener à bien son plan et le réaliser à Paris, le roi du Maroc, Hassan II, bénéficiera de la complicité des services secrets français et de la bénédiction des agences de renseignement américaine et israélienne. Arrêté à plusieurs reprises dans les années 1940 par les autorités coloniales, à la suite des actions de la résistance marocaine au colonialisme français, Mehdi Ben Barka a débuté dans la vie politique en 1930. En 1934, il intègre la lutte nationale en adhérant au Comité d’action marocaine (CAM), premier mouvement à s’élever contre le colonialisme français. Par la suite, le CAM devient le Parti national, puis le parti Istiqlal.

Mehdi Ben Barka, de par ses activités militantes et politiques en faveur de la libération nationale, est considéré par le général Juin comme « le plus dangereux adversaire de la personne française au Maroc ». En 1959, les divergences entre l’aile droite et la base de l’Istiqlal sont telles qu’elles aboutissent, le 6 septembre, à la création de l’Union nationale des forces populaires (UNFP), dont Mehdi Ben Barka reste l’un des principaux responsables jusqu’à son assassinat. Il s’engage à donner au parti une orientation progressiste et révolutionnaire, conforme aux aspirations des masses populaires et des travailleurs.

Forcé à l’exil au moment d’un prétendu complot contre Hassan II, en juillet 1963, Mehdi Ben Barka œuvre à la dénonciation du régime réactionnaire marocain et à la popularisation des luttes. À deux reprises, le tribunal militaire royal le condamne à mort par contumace.

Démocratie

Cela fait quarante déjà que le leader historique de l’opposition marocaine et militant du tiers monde a été enlevé et assassiné en plein Paris. Ben Barka portait les espérances de son peuple, ainsi que celles de l’ensemble du tiers monde, notamment à travers ses actions en faveur de la libération et de l’émancipation des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.

Il projetait la création de la Tricontinentale, organisation dont il présidait le comité de préparation et qui devait tenir son congrès constitutif en janvier 1966, à la Havane. Cette organisation avait pour vocation de réunir les représentants des peuples des trois continents soumis à l’exploitation et au diktat de l’impérialisme. C’est l’idée de la Tricontinentale qui a poussé la machine impérialiste à soutenir le régime de Hassan II et à liquider Ben Barka, qui présentait un danger, non seulement pour le régime marocain, mais également pour les intérêts des pays impérialistes en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Mehdi Ben Barka a consacré son action politique à dévoiler la nature antidémocratique et antisociale de la classe dirigeante au Maroc. Dans son livre L’Option révolutionnaire, il ne cesse de dénoncer la nature répressive et la démocratie de façade du régime marocain : « La démocratie n’est pas une enseigne qu’on exhibe pour les touristes, c’est une réalité qui doit ouvrir concrètement à chacune des possibilités de progrès et de culture. Elle nécessite une organisation sociale qui, elle-même, appelle de profondes réformes de structures et non une révision de la Constitution qui se ferait en dehors des représentants authentiques des masses populaires. »

Pour Ben Barka, la véritable démocratie ne se réduit pas uniquement à l’organisation des élections ou à la révision de la Constitution. Elle nécessite un changement préalable, radical et total, de la structure sociale dominante. « De même, la démocratisation de la vie publique signifie la recherche des détenteurs véritables de la puissance politique, pour les plier à la volonté populaire et non pas à l’organisation hâtive d’élections nouvelles qui, dans les circonstances présentes, laisseraient le pouvoir à ceux qui le détiennent derrière le décor d’un jeu parlementaire factice. Cette démocratisation nécessite une série de réformes, y compris une réforme municipale et communale à l’accomplissement desquelles il faut veiller avec une vigilance sans répit. »

Radicalité

Lorsque Mehdi Ben Barka aboutit à la conclusion que la nature du pouvoir marocain est « féodalo-capitaliste », il a en fait concentré en une seule expression la réalité de la classe dominante, qui a historiquement évolué dans les bras du colonialisme et du capitalisme, s’alliant à l’impérialisme pour contrôler les ressources économiques, humaines et stratégiques du pays. Le caractère féodal de cette classe définit toujours la superstructure et l’idéologie dominante, au moment même où elle concrétise les aspirations capitalistes à travers son rôle compradore ; d’où le terme de classe « féodalo-bourgeoise » ou de pouvoir « féodalo-capitaliste ».

La nature de l’ennemi de classe et de son allié impérialiste ainsi définie, l’ouvrage conclut : « Nous ne pouvons réaliser notre véritable libération par l’intermédiaire de réformes partielles et dans le cadre du système capitaliste. Seule une politique anti-impérialiste et antiréactionnaire globale, à la fois à l’extérieur et à l’intérieur, nous permettra d’être à la hauteur de nos tâches. »

Pour concrétiser ce projet, Ben Barka insiste sur la nécessité de la construction d’un instrument révolutionnaire sur la base d’une idéologie claire : la théorie de la classe ouvrière, enrichie par les expériences des peuples dans leurs luttes pour la liberté et le socialisme, et par une organisation rigoureuse capable d’encadrer et de guider la lutte des masses populaires, au niveau social et politique.

Aujourd’hui, sept ans après la mort de Hassan II, le changement tant reste encore à réaliser. Les conditions de vie des travailleurs sont plus que jamais alarmantes. Les droits humains sont bafoués malgré les déclarations et les manœuvres du pouvoir visant à masquer la réalité. La déception est grande et le pouvoir en place s’inscrit dans la continuité des politiques précédentes.

Quarante six ans plus tard, malgré deux procès et une seconde procédure judiciaire, la raison d’État et son cortège de secrets (de la défense, de la police, de la diplomatie...) restent un obstacle à l’établissement de toute la vérité sur le sort de Mehdi Ben Barka. Et celui de Abdelhak Rouissi, Houcine El Manouzi, Omar El Wassouli... ou tant d’autres.

ROSSI Réda


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