Sommet européen et pusillanimité du président français

mercredi 2 novembre 2011.
 

Aujourd’hui les conservateurs allemands imposent leurs solutions car Nicolas Sarkozy est tétanisé. Comme il partage les prémisses de madame Merkel, et ses critères de performances économiques, il se sent comme fautif, diminué par les menaces des agences de notation, intimidé par les déclinistes et le parti de la fascination allemande. De leur côté les dirigeants allemands renouent avec une forme d’arrogance dont le journal « Libération » a fait une description assez glaçante. Faut-il se résigner ? Et nous que ferions-nous ? Il faut reprendre la main ! En reprenant l’initiative, la France changerait la donne. Pas de complexe : nous sommes la deuxième économie du continent et nous serons bientôt la première population. L’euro est notre propriété au moins autant qu’aux autres. On ne peut rien sans nous. On peut encore moins contre nous. Il faut travailler à trouver une majorité de pays pour imposer à la Banque Centrale Européenne de prêter directement aux Etats à taux réduit. C’est la solution raisonnable pour stopper immédiatement la crise actuelle. On m’a répliqué que ce serait de la monnaie de singe. Voyons.

J’ai posé la question, au hasard d’un déjeûner à l’économiste Jacques Sapir. On sait que je ne suis pas d’accord avec lui sur la sortie de l’euro. Mais j’aime l’entendre et connaître ses analyses. Preuve que je ne suis pas fermé à tout ce qui n’est pas Jacques Généreux. Je lui ai demandé quel serait, à son avis, l’inflation que provoquerait l’injection de cette masse de monnaie dans l’économie ? Selon lui, le rachat par la BCE de la totalité des dettes des pays en difficulté ne conduirait au pire qu’à 5 à 6 % d’inflation ! C’est tout à fait soutenable ! C’est pourquoi j’affirme que la France ne doit plus courir derrière le prétendu modèle allemand. Il se concentre dans un segment étroit de la production de biens intermédiaires. Il se nourrit d’une précarisation sociale considérable, un quart de la population étant sous le seuil de pauvreté. Il repose sur une base démographique vieillissante et un souci rentier qui tourne à l’obsession. Nous les Français, bientôt les plus nombreux et les plus jeunes en Europe devons porter une autre cohérence économique et sociale, basée sur la satisfaction des besoins sociaux. Un modèle qui rassure les productifs plutôt que les marchés. C’est pourquoi il est temps d’organiser la relance de l’activité. C’est notre plan B en quelque sorte ! La hausse des salaires et la réorganisation écologique de la production rétabliraient les comptes publics grâce au progrès des recettes fiscales que l’activité génèrerait. Bref, il faut refuser l’austérité et l’économie de rentier. C’est là qu’est le le pire danger !

Le récit du sommet de dimanche dernier laisse un goût étrange. J’ai lu dans « Libération » une description assez effrayante sous la plume de Jean Quatremer que l’on peut retrouver ensuite sur son blog. J’en cite le début : « Le visage des mauvais jours, Nicolas Sarkozy, entouré de ses conseillers et de ses gardes du corps, traverse en trombe le hall de l’hôtel Amigo, près de la Grand-Place de Bruxelles, s’engouffre dans l’ascenseur et regagne sa suite. Il est 23 h 30, samedi, veille d’un nouveau sommet consacré à la crise de la zone euro. Quelques minutes plus tard, arrivée de la chancelière allemande. C’est une tradition, le couple partage le même hôtel, même s’ils font chambre à part. La délégation allemande loge au 4e, la française au 3e. Angela Merkel souriante, détendue, salue les quelques journalistes présents et s’installe au bar de l’hôtel où plusieurs tables lui ont été réservées. Elle commande un verre de vin blanc et entame une discussion animée avec cinq de ses conseillers. Ça rigole sec. Les deux dirigeants ne semblent pas sortir de la même réunion. » Le récit ensuite surligne cette impression de départ. S’il est vrai, alors il nous en apprend davantage que maintes analyses sur l’état des relations au sommet de l’Europe. Le comportement infatué de soi de la chancelière, son attitude ostentatoirement amusée après la réunion, sa veillée non seulement rigolarde mais très tardive au bar de l’hôtel, tout cela est tout à fait inhabituel à de tels niveaux de responsabilité. C’est fait pour montrer et faire parler. Plus loin le récit de Quatremer aggrave l’impression glauque : « Dans le hall de l’hôtel, Xavier Musca, le secrétaire général de l’Elysée, Fabien Raynaud, conseiller Europe, et Ramon Fernandez, directeur du Trésor, semblent un peu désemparés. Vers minuit, Musca va voir la chancelière et lui parle quelques minutes. Il n’est pas invité à s’asseoir. A 1 heure 15, Merkel et son entourage rigolent toujours. Paris joue l’Europe assiégée, Berlin la cool attitude. « Ils doivent rire de nous », s’inquiète un Français. ». Ah bon ! On en est là ? Mais il est vrai que Nicolas Sarkozy a ouvert le style au cours de cette réunion. Notamment en faisant publiquement des remontrances aux anglais et aux italiens. Ceux là doivent-ils dénoncer l’Europe française ?

Dans l’hémicycle à Strasbourg nous avons eu un retour assez énervé des parlementaires de droite de ces pays. Au hasard du récit de Quatremer on trouve une confidence stupéfiante attribuée à Nicolas Sarkozy : « La France colle donc à l’Allemagne depuis deux ans, de peur de la voir quitter le bateau : « Au début de la crise, la chancelière n’était absolument pas convaincue qu’il fallait sauver l’euro. Maintenant, cela ne fait plus aucun doute dans son esprit », se réjouit-on à l’Elysée. » Ainsi donc en début de partie elle était prête à lâcher l’Euro ! Est-ce que ce n’est pas là une information majeure ? Et maintenant ? Qui nous dit que tout ce qu’elle fait depuis n’est pas une mise en scène du même état d’esprit ? Quatremer va plus loin. Selon lui la chancelière n’est pas libre de ses choix. Au contraire tous sont contraints par les contraintes de politique intérieure. Si bien que les dirigeants français auraient en réalité couru derrière elle. « Il a fallu que la France avale de nombreuses couleuvres, écrit Quatremer, Berlin naviguant à vue entre une coalition gouvernementale gangrenée par l’euroscepticisme des libéraux du FDP et des juges constitutionnels souverainistes. »

Si j’ai fait ce passage par le reportage de « Libération », c’est qu’il apporte un éclairage qui me confirme dans mon intuition. Le moment de la crise mêle très intimement la géopolitique et l’économie. Peut-il en être autrement ? Les soubresauts de la crise financière atteignent les fondements de la société. La crise des sub-primes a failli emporter tout le système. Le sauvetage a été réalisé par des moyens inouïs qui sont la négation des primats du système. D’autres coups s’annoncent. Ils modifieront toute la hiérarchie des puissances. Dans la tempête chaque pays tâche de tirer son épingle du jeu. « Je suis tenue par mes fonctions d’éviter les dommages au peuple allemand, de faire ce qui est bon pour le peuple allemand. C’est ma ligne directrice dans les négociations » a déclaré madame Merkel. Avec cette façon de voir, inconnue du discours irréalistes des dirigeants français, chaque pays agit d’après la vision qu’il a de ses intérêts vitaux de long terme. Et cela quitte à faire porter par le voisin le poids des inconvénients de la situation. Or, sur le vieux continent, les français et les allemands sont dans des phases divergentes. Le projet européen qui les tenait joints en haleine n’est plus à la même place commune dans leur développement respectif. Ce n’est donc pas l’Europe allemande le problème, pour reprendre le titre du journal « La Tribune ».

Je comprends que, dans une négociation internationale, on soit prudent au point de concéder beaucoup et même parfois plus qu’il n’est raisonnable. Mais cela n’a de sens que si l’on sait soi même où l’on veut aller en le faisant. Ce n’est pas ce que je vois dans l’attitude du président Sarkozy. Ou va-t-il ? Que défend-il à part la fumée du bréviaire libéral ? Le problème des nations n’est jamais comptable. C’est un problème politique. Comment desserrer l’étau si l’on ne porte pas un projet alternatif, une offre différente, un axe de rassemblement différent. Et une stratégie et des alliances différentes ? Ce n’est pas seulement donc la pauvreté rustique de la vision d’Angela Merkel qui est en cause. C’est la pusillanimité de celle du président français. L’Europe n’est allemande qu’autant que prévaut le classement du meilleur élève de la classe libérale.


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