Facebook. Les ressorts psychologiques d’un succès planétaire

samedi 29 octobre 2011.
 

Les chiffres donnent le vertige. 750 millions de membres, dont 23 millions en France, 1,6 milliard de dollars de chiffre d’affaires au premier semestre 2011… En l’espace de quelques années, Facebook, premier réseau social planétaire, n’a cessé de s’étendre. Jeudi 22 septembre, ses dirigeants ont annoncé, lors de leur conférence annuelle (sobrement baptisée le F8, en référence au G8), une nouvelle plate-forme de partage de musiques et de vidéos en temps réel qui augmente l’interactivité entre « amis ».

Initialement réservé aux étudiants de l’université de Harvard, le Facebook créé par Mark Zuckerberg en 2004 était destiné à améliorer le dialogue entre élèves. Ouvert en 2006 au public, le réseau comptait déjà 30 millions d’utilisateurs un an et demi plus tard  ! Des chiffres qui ont poussé de nombreux chercheurs à questionner les ressorts psychologiques de cette réussite hors norme. « Facebook satisfait les trois désirs humains qu’aucune réalité numérique n’était parvenue à satisfaire, explique Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste et directeur de recherches à l’université de Nanterre. Ne jamais être oublié  ; valoriser son expérience personnelle  ; se cacher et se montrer quand on le souhaite. » Trois désirs qui reflètent une nécessité profonde de visibilité, autrement dit le besoin du regard d’autrui pour « accréditer » sa vie et la rendre bien réelle.

« Je suis assez à bloc sur Facebook, j’ai grandi avec, sans complexe, et maintenant je l’utilise même professionnellement », confie Marc, étudiant en BTS communication de vingt ans, qui possède pas moins de 1 090 « amis » sur le réseau. Sur son compte, le jeune homme mêle actualités personnelles et professionnelles. On y découvre les photos de ses dernières vacances, de ses soirées entre amis, de festivals de musiques, d’expos, ses derniers tatouages… « Je n’ai pas grand-chose à cacher, explique Marc. Et puis, dans les faits, je ne montre pas tant de choses que ça. » L’idée est donc de se montrer sans réellement se dévoiler et partager avec autrui.

Exhibition libératrice pour certains, dérangeante pour d’autres, l’émergence de Facebook prend racine, selon Laurent Remy, auteur d’une étude de sociologie clinique sur le réseau social, dans « le besoin du sujet contemporain à vouloir donner une consistance à sa vie en la rendant visible via les espaces de paroles qu’offre Facebook ». Dans cette société de la modernité où « ce qui existe est forcément visible, l’être humain a besoin, pour avoir l’impression de se connaître et d’exister, d’être vu par autrui ». Facebook procurerait ainsi à chacun l’impression de maîtriser ses humeurs, ses sentiments, en projetant cette réalité initialement impalpable sur son « mur ».

Sous un autre angle, la journaliste Éloïse Fontaine pointe aussi ce besoin de visibilité, qualifié de « marketing de soi ». Dans son dernier ouvrage (1), qui dresse un catalogue des statuts Facebook les plus insolites, elle n’est pas tendre avec les habitués du réseau. « Il procure un sentiment d’appartenance qui rassure les gens, explique-t-elle. C’est une manière de combler leur vide existentiel. Les personnes ayant le moins de vie sociale sont aussi celles qui sont les plus actives et les plus visibles sur le réseau. Ils créent une agitation pour oublier la torpeur de leur vie sociale réelle. » Et la journaliste de citer quelques « statuts » (ces phrases postées sur le réseau) repérés sur Facebook  : « Plus que deux heures de travail, vidange de la voiture, épilation, valise, ménage… et c’est parti, samedi, sur les plages de Normandie, avec la pluie »  ; « Facebook c’est le concours international des gens heureux… Je vous annonce que j’ai perdu… »

Pour Serge Tisseron, cette visibilité, autrefois réservée à l’entourage proche, passe directement du privé au public, sans s’encombrer des espaces de parole intermédiaires que sont, par exemple, la famille. Cette « intimité surexposée », comme la nomme le psychanalyste, redéfinit ainsi les rapports entre individus, en faisant émerger des « nouvelles formes de liens affectifs sans corps ».

Face aux risques de violation de la vie privée que peut engendrer le réseau social, Facebook tente de donner des gages. L’entreprise vient de durcir les paramètres de confidentialité afin de renforcer le contrôle, par les utilisateurs, de leurs données personnelles. Pourtant, cela n’a pas empêché les dirigeants du réseau social de lancer, il y a peu, une nouvelle fonction permettant de suivre les actualités publiées par des personnes n’appartenant pas directement au cercle d’amis de l’internaute… 
Un pas de plus dans le dévoilement.

(1) Les statuts Facebook que vous n’auriez jamais voulu lire  : le pire de Facebook (coécrit avec Frédéric David et Diane Larramendy), éditions Michalon, octobre 2011.

Du réseau social à « ma vie en ligne »

Facebook a dévoilé le 22 septembre les nouvelles fonctionnalités de son réseau social. Au menu, la possibilité d’écouter directement de la musique, de regarder des programmes télévisés ou de lire des articles de presse. Ou encore de faire défiler, via une nouvelle application baptisée « Timeline », toute son activité en ligne depuis le premier jour de connexion. Ce n’est « plus seulement un site social en ligne, mais votre vie en ligne », résume un observateur.

Johanna Sanson, L’Humanité


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