La grande crise financière – trois années déjà et ça continue

samedi 8 octobre 2011.
 

La grande crise financière a débuté durant l’été 2007 et trois après, en dépit d’une « guérison » présumée, elle produit encore de profonds effets aux USA, en Europe et dans la majeure partie du monde. Dans beaucoup de pays l’austérité est en train d’être imposée au monde du travail. C’est le cas particulièrement difficile de la Grèce, un pays contraint par les exigences des banquiers, y compris le Fonds Monétaire International, à pressurer ses travailleurs en échange de prêts de l’étranger afin de venir en aide au gouvernement pour rembourser ses dettes. Le taux officiel de chômage aux USA se situe encore autour de 10%, et le taux réel est bien plus élevé. Phénomène sans précédent : 44% des chômeurs sont sans travail depuis plus de 6 mois. Un nombre record de gens reçoivent des tickets d’aide alimentaire de même que des repas ou de la nourriture d’organismes caritatifs. Beaucoup d’Etats américains et de villes sont confrontés à des coupes dans leurs budgets à la suite des baisses de rentrées d’impôts ; ils suppriment des emplois et réduisent les dépenses d’éducation et les programmes sociaux.

Dans la recherche des causes de la crise, l’attention a surtout porté sur le rôle des prêts hypothécaires « subprime » aux USA, prêts qui étaient vendus à des gens détenteurs de faibles revenus et qui n’avaient presque aucune chance d’être en mesure de les rembourser. Beaucoup de ces prêts « subprime » accordés, l’avaient été assortis de clauses prédatrices particulièrement défavorables aux emprunteurs sans méfiance. Ces prêts étaient regroupés en paquets destinés à être vendus à des institutions dans le monde entier, ce qui servit à diffuser des risques importants tous azimuts.2

Jusque-là, en dépit de l’instabilité générée par ces prêts en question, et toute une foule d’instruments financiers exotiques qui leur étaient associés, la gravité même de la Grande Crise Financière suggère qu’au départ il ne s’agissait pas d’un produit destiné à des pratiques spéculatives. Il découlait de façon normale des facteurs structurels de long terme dont le reflet se trouvait être le déclin séculaire du taux de croissance économique ainsi que l’augmentation continue de la fragilité et de l’instabilité financière.

Les taux de croissance des pays riches situés au coeur du système capitaliste mondial ont décliné à petite vitesse depuis des décennies. Aux USA, la croissance moyenne du PIB, corrigée de l’inflation, est passée de 4,4% dans les années 60 à 3,3% dans les années 70, à 3,1% dans les années 80 et 90 et enfin à 1,9% dans les années 2000 (de 2000 à 2009). En réponse à ces conditions d’approfondissement de la stagnation économique à l’intérieur de l’économie « réelle »3, les excédents de capitaux engrangés par les agents économiques, affluaient vers le secteur financier, cherchant des rémunérations rapides. Cela a conduit à la création d’une superstructure financière considérable au sommet d’une base économique affaiblie. Ce recours à la finance spéculative, en tant que stratégie permanente d’enrichissement, donna lieu à l’essor d’énormes profits artificiels (et de gains en capital) apparemment au-delà de toute mesure – c’est-à-dire sans relation avec l’économie « réelle ».

Dans cette situation, une accumulation de plus en plus grande de dettes – celles des ménages, des entreprises et du gouvernement – s’est avérée nécessaire pour assurer un niveau donné de croissance. Au même moment le gonflement de la dette totale prendra de plus en plus le caractère d’une pyramide de Ponzi, ce qui va requérir de constantes adjonctions de liquidités pour différer l’écroulement final inévitable. 4 Le résultat fut une véritable explosion de dettes pour un total astronomique de 350% du PIB des USA en 2007.

Les bulles financières sont invariablement les symptômes de problèmes sous –jacents plus profonds. Le fait de simplement se focaliser sur les prêts subprime ou même sur la bulle immobilière elle-même, comme cause véritable de la crise – ainsi que ce fut le cas pour la plupart des commentateurs appartenant à l’orthodoxie économique –, consiste à prendre le symptôme pour la maladie. Si cela ne s’était pas produit avec la bulle immobilière aux Etats-Unis, cela aurait pu avoir lieu avec une autre bulle qui aurait mené essentiellement aux mêmes résultats. Depuis les années 70, l’économie a connu de plus en plus de crises du crédit, avec à chaque fois, les banques centrales se précipitant au premier signe de difficulté pour sauver les institutions financières en défaut. Cela a pourtant contribué à accroître la fragilité financière, tandis que le problème sous-jacent de la stagnation était laissé de côté.

Depuis le commencement de la Grande Crise Financière il y a trois ans, les choses ont tellement empiré qu’un Paul Krugman, lauréat du prix Nobel de Sciences Economiques décerné par la Banque de Suède, a déclaré que nous étions maintenant dans (ou en train d’entrer) dans une Troisième Dépression, c’est-à-dire, une troisième période de stagnation économique. Il suggère que cette Troisième Dépression ressemble à la fois à la stagnation qui commença en Europe et aux Etats-Unis dans les années 1870 – il la nomme Longue Dépression - et la stagnation des années 1930 qu’il nomme Grande Dépression. Ainsi Krugman écrit : « Je crains que nous soyons maintenant dans les premières étapes d’une troisième dépression. Elle ressemblera vraisemblablement plus à la Longue Dépression qu’à la beaucoup plus sévère Grande Dépression. Mais le coût – pour l’économie mondiale, et surtout pour les millions d’existences frappées par l’absence d’emplois– sera pourtant immense ». Krugman soutient que « cette troisième dépression sera avant tout le résultat d’un échec politique » : c’est-à-dire la poursuite, même assortie d’une importante modération de la politique néolibérale d’austérité, visant à effacer les déficits gouvernementaux, en lieu et place de l’adoption d’une politique keynesienne de forte stimulation de l’économie comme moyen de sortir de la crise.5

Il est vrai qu’une mauvaise politique économique néolibérale, axée sur la lutte contre les déficits pendant la crise, hypothèquera les perspectives économiques. Mais la stimulation keynesienne n’est pas non plus une véritable solution. Nous soutenons pour notre part, que le véritable problème ne relève pas de la politique économique mais du développement du capitalisme lui-même. Notre thèse, exprimée de la façon la plus ramassée possible, est que les économies capitalistes avancées sont prises dans une tendance à la stagnation résultant d’un double processus de maturité industrielle et d’accumulation de type monopoliste. La financiarisation (le déplacement du centre de gravité de l’économie capitaliste de la production vers la finance) doit être considéré comme un mécanisme compensatoire qui, dans ces circonstances, a aidé au maintient le système économique mais au prix d’une plus grande fragilité. Le capitalisme est ainsi pris dans ce que nous appelons une « trappe de stagnation-financiarisation ».

Tout ceci est en relation étroite avec la structure monopoliste du capital financier, laquelle a provoqué des inégalités sans précédent dans le monde capitaliste avancé. Ce que l’on nomme le « Forbes 400 », les 400 familles étatsuniennes les plus riches, possèdent autant de richesse que la moitié la moins fortunée de la population totale, c’est-à-dire 150 millions de personnes. Quelques analystes de Citigroup6 ont soutenu récemment que le sommet de la pyramide de la richesse sociale pèse à l’heure actuelle d’un tel poids aux Etats-Unis et dans les autres économies riches, en termes de richesses et de distribution de revenus, qu’il convient de les nommer « ploutonomies » où de petites fractions de classes étendent leur contrôle sur une grande partie de la richesse sociale.7

Il est certain que les économies émergentes et notamment la Chine et l’Inde n’ont pas encore acquis les maladies de la maturité et de la monopolisation à l’instar des pays capitalistes avancés et échappent ainsi aux maladies chroniques qui ont paralysé les pays du centre du système. Mais les pays émergents sont loin de d’être protégés de la venue de ces problèmes. En effet, on a toute raison de croire qu’eux aussi vont connaître de bien des façons les effets de la globalisation contemporaine comme conséquence de l’affaiblissement du noyau central du système. Il faut noter que la Longue Dépression fut suivie par une grande vague d’expansion impérialiste qui devait mener à la Première Guerre Mondiale, tandis que la Grande Dépression amena le conflit inter-imperialiste de la Seconde Guerre Mondiale. L’actuelle Troisième Dépression est déjà comme un mauvais augure, en train de déboucher en un conflit impérialiste particulièrement centré sur le Golfe Persique, ce qui pourrait mener à des conséquences désastreuses pour l’humanité dans son ensemble.

Comme si tout cela n’était pas suffisant, le monde est de nos jours confronté à un péril encore plus sérieux : une accélération rapide de la crise écologique planétaire : si des changements radicaux ne sont pas entrepris dans la prochaine décade ou la suivante, c’est la menace d’un effondrement éventuel de la plus grande partie des écosystèmes mondiaux pris ensemble avec la civilisation humaine elle-même.

Il n’y a seulement qu’une solution possible à cette crise planétaire globale : c’est l’euthanasie du capitalisme, en le remplaçant par une nouvelle économie orientée vers le développement humain durable, la plénitude écologique et une culture de véritable communauté humaine. Le plus tôt nous commencerons à construire ce nouveau système qualitatif à travers nos luttes de masses, le mieux ce sera pour les perspectives à long terme de l’humanité et de la terre.

par John Bellamy Foster and Fred Magdoff

Eugene, Oregon

Burlington, Vermont

30 juin 2010

article traduit par Jean Pierre Juy (PG Isère) tiré de la revue socialiste indépendante Montthly Review éditée à New York


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