La « guerre des monnaies » : une nouvelle étape de la crise capitaliste, par Robert Rollinat

dimanche 9 octobre 2011.
 

Aux prophéties de tous ceux qui entrevoyaient, il y a quelques mois encore, la reprise de l’économie mondiale et discutaient déjà des différents « scénarios » de sortie de crise, l’aggravation brutale de la situation monétaire et financière mondiale ainsi que les conséquences des révolutions arabes sur le cours des matières premières sont venues, en ce début de 2011, apporter un cinglant démenti.

Les déboires électoraux de OBAMA aux Etats-Unis, l’échec de toute tentative de « régulation des changes » lors de la dernière réunion du grands pays du G.20 à Séoul, la crise de l’Irlande ( après celle de la Grèce), les menaces sur le Portugal, l’Italie, l’Espagne et même la France, tout a contribué à aggraver la situation, déjà difficile de l’économie mondiale, à éloigner la perspective du retour à une économie productrice d’investissements et d’emplois. Le développement des conflits sociaux en Europe suite à la mise en place de nouvelles mesures d’austérité (en France, au Portugal, en Angleterre), la situation de l’Irlande au bord de la faillite, l’incapacité du « Groupe des 20 » à proposer un quelconque consensus international « entre Grands » pour faire face à la situation, ont ébranlé la confiance « des marchés » et refroidi l’optimisme convenu des politiques et des « experts » en tous genre (1). La révolution tunisienne, l’insurrection du peuple en Egypte, les derniers évènements en Algérie, au Yémen, en Jordanie, la révolution en Libye révèlent la dimension mondiale de la crise et ses conséquences économiques et sociales : hausse des prix spectaculaire des matières premières et des produits alimentaires, chômage massif, extension de la précarité et de la pauvreté. Dans leurs prévisions, les économistes n’avaient oublié, selon leurs propres termes, qu’une seule variable : le « risque géo-politique », c’est-à-dire les développements concrets de la lutte de classes.

Dans cette situation chaotique et incertaine, une nouvelle « guerre » se serait développée, celle des monnaies avec, comme dans toute guerre, des « gagnants » et des « perdants ». Les gagnants seraient les pays qui, pour se protéger de la concurrence, laisseraient se dévaluer leur monnaie pour récupérer des parts de marché au détriment des autres (forme beaucoup plus « subtile » que le protectionnisme « classique » de droits de douane sur les marchandises) ; les perdants, des pays qui, pour maintenir la stabilité monétaire, contenir l’inflation et limiter le creusement des déficits prôneraient des plans drastiques de redressement budgétaire. Bien que concurrents entre eux, les Etats-Unis et la Chine appartiendraient à la première catégorie, les pays européens lésés par l’euro « fort » et « l’orthodoxie allemande » à la seconde.

Les leçons encore actuelles de la crise de 1929

En fait, la « guerre des monnaies » (des changes) n’est pas nouvelle. Dans le cadre du capitalisme, elle a toujours existé. Elle n’est que le sous-produit logique du capitalisme de libre concurrence et de la lutte pour les parts de marché. Historiquement c’est l’Angleterre qui, depuis la fin du XIXème siècle, grâce à la domination de la Livre et de la place financière de Londres, s’était assuré la « gestion » mondiale de l’étalon-or, assurant ainsi son hégémonie industrielle et commerciale. Les choses ont changé dans l’entre-deux guerres, notamment avec l’avènement de la Grande Dépression en 1929.

Même si l’économie était moins mondialisée qu’aujourd’hui, la crise de 1929 avait montré que derrière les parités de changes, il y avait déjà la lutte des différents pays pour s’assurer leur part dans le commerce international et les exportations. Cette lutte s’était accentuée avec le krach de la Bourse de New York et elle était d’autant plus rude que les Etats-Unis étaient entrés dans une longue et profonde récession de type déflationniste. Dès 1930, les Républicains avec Hoover font adopter la loi tarifaire Smoot-Hawley avec des droits de douane institués sur la plupart des produits importés. Mais la dévaluation de la livre sterling en 1931 ( abandon de fait de l’étalon-or par l’Angleterre), oblige les Etats-Unis à envisager des mesures plus « radicales ». Les républicains avec Lewis Douglas et Andrew Mellon préconisent la compression des dépenses de l’Etat, seul moyen selon eux de revenir à la prospérité et plaident pour le maintien de l’étalon-or. Ils ont le soutien de la finance de NewYork qui rejette le « commodity dollar » (le dollar-marchandise). Les démocrates qui arrivent au pouvoir en mars 1933 avec l’élection de Roosevelt à la Présidence décident, quant à eux, de suspendre l’étalon-or, de « remonétiser » l’argent et l’or. Malgré les protestations de la finance « orthodoxe » (mais avec le soutien du clan Morgan et d’une partie de la finance « éclairée »), le Congrès abolit la clause-or et donne force libératoire à la monnaie légale, le dollar.

Cette dévaluation de fait du dollar dont l’objectif était de sortir de la « spirale » de la déflation devait permettre, grâce à l’émission monétaire et au crédit, de financer la politique du New Deal. Elle aura une grande importance au plan international au moment de la convocation, en juin 1933, de la Conférence monétaire de Londres. Alors que l’on semblait s’orienter vers une réduction négociée des droits de douane et une vague « concertation monétaire » entre les Etats-Unis et l’Angleterre d’une part et les pays du bloc-or de l’autre (dont la France), les Etats-Unis décident à Londres de rompre unilatéralement les négociations car hostiles à toute « stabilisation » des monnaies et des changes qui aurait eu pour effet, selon Roosevelt, d’empêcher la hausse des prix mondiaux nécessaire au redressement de l’Amérique. Presque quatre ans après le début de la crise, l’échec de la Conférence de Londres en 1933 montrait déjà que l’aggravation de la situation économique rendait difficile toute négociation, les intérêts économiques et politiques des différents pays, soucieux défendre les intérêts de leur propre bourgeoisie, n’étant pas conciliables. Les impasses du G20 aujourd’hui n’ont pas d’autre cause : l’exacerbation des rivalités économiques entre les uns et les autres.

En fait, en 1933, la rupture avec l’étalon-or, mesure « monétaire » constituait une mesure à caractère protectionniste, exprimant les intérêts nationaux des Etats-Unis face à ses principaux concurrents. L’objectif de la France et des pays du « bloc-or » était alors de tenter de stabiliser les changes, les Britanniques essayant de maintenir un taux de change « faible » de la Livre par rapport au dollar (quatre dollars par Livre). Pour les partisans de Roosevelt (qui à l’époque n’avaient pas encore lu Keynes), ce n’était pas seulement un problème monétaire, il s’agissait du niveau des prix mondiaux. Les Etats-Unis, pour sortir de la déflation, devaient relever leurs prix intérieurs. Mais, en période de dépression, tenter de ranimer l’économie, c’était aussi augmenter le volume de la monnaie légale, émettre du papier-monnaie. Comme le disaient déjà à l’époque lucidement les partisans de cette « théorie inflationniste », il fallait choisir entre la « reflation » et la révolution.

Aux Etats-Unis, la politique du New Deal se traduira par l’augmentation importante de l’endettement de l’Etat et contribuera à un redémarrage partiel de l’économie, mais sans résoudre la question centrale d’une relance durable : celle du chômage et des revenus salariaux. Le projet néo-corporatiste du New Deal visant à intégrer le syndicalisme « officiel » à l’Etat sera finalement un échec compte tenu du regain de combativité du mouvement social (dont la transformation en 1935 de la « vieille » American Federation of Labor (AFL) de Lewis en AFL-CIO sera une des expressions). La « radicalisation » du discours rooseveltien à partir de 1935 permettra sa réélection en 1936 mais n’empêchera pas une nouvelle grave crise en 1937-38 (2). C’est la reconversion organisée de l’économie américaine en économie de guerre qui permettra finalement de relancer la production à partir de 1941. Le coût humain de cette reconversion et de la guerre elle-même seront évidemment considérables (3).

Depuis 1945 : le dollar « monnaie universelle » sous hégémonisme américain

En 1944, l’affirmation à Bretton Woods du dollar comme monnaie « universelle » se mène fondamentalement sous l’hégémonisme politique et monétaire des Etats-Unis. Les propositions de Keynes d’instituer le « bancor », panier de devises commun aux principaux pays, dont le cours pourrait se définir par rapport à une valeur « réelle », celle de certaines matières premières, sont rejetées par les américains. En 1971, la fin du consensus fragile institué à Bretton-Woods est unilatéralement remis en cause par les Etats-Unis. Le dollar est une nouvelle fois dévalué. On passe des taux de changes fixes au taux de change flexibles (ou flottants) ouvrant la voie à l’instabilité des changes et aux manipulations monétaires, selon les besoins politiques et en fonction des rapports de force entre les principaux Etats.

L’accord du Plaza à New York en Septembre 1985 est une étape importante de cette rivalité. Il avait pour objectif de réduire le déficit croissant du commerce extérieur américain (3,5% du Produit intérieur brut à cette époque). Aux Etats-Unis, on avait alors des taux d’intérêt élevés (7,5% en moyenne imposés par Volcker et la Federal Reserve pour lutter contre l’inflation entre 1981 et 1985), ce qui contribuait à la récession de vastes secteurs industriels et à l’afflux de placements spéculatifs faisant monter le dollar. On considère « l’accord » du Plaza comme le dernier exemple de la coopération monétaire internationale de l’après-guerre mais il est en fait imposé par les Etats-Unis aux autres pays du G5 de l’époque (Royaume-Uni, France, Japon, Allemagne). Il va conduire à une baisse spectaculaire du dollar qui avait « flambé » en 1983-84. Une décision très efficace puisqu’en moins de deux ans, le billet vert perd près de la moitié de sa valeur, revenant 9 à 5 francs et de 260 à 150 yens, retrouvant son plus bas historique depuis 1979. C’est incontestablement, du point de vue des échanges mondiaux et des flux d’investissements et de capitaux, un « avantage » considérable pour les Etats-Unis qui contribuera, pour un temps, à la relance de son économie. Mais, pour le Japon, cette décision conduisant au doublement du yen sur le marché des changes, hypothéquera durablement la masse et la valeur de ses exportations, au profit, notamment en Asie, des autres pays émergents et des groupes financiers américains. Elle contribuera à générer dans ce pays une « bulle » spéculative dans l’immobilier et en Bourse, le faisant entrer dans une longue phase de crise et de déflation.

Début 1987, lors des accords du Louvre à Paris, le groupe des Cinq estimera alors que le repli du dollar avait été suffisant et qu’il fallait s’orienter vers une nouvelle stabilisation des changes. Le dollar remonte à nouveau, mais lorsque le Secrétaire américain du Trésor James Baker dénonce la politique de la Bundesbank, le dollar décroche et l’on considère que cette chute a contribué au krach boursier d’Octobre 1987. Par la suite, la baisse continue de la valeur du dollar ne sera plus suffisante pour freiner la tendance au déclin et à l’endettement du capitalisme américain.

De plus, l’impact des interventions des dirigeants des banques centrales pour tenter d’influer sur les changes va devenir de plus en plus limité. La raison en est simple : la mondialisation des économies se traduit par une libéralisation grandissante des échanges de marchandises, de services mais aussi des transactions sur devises. Les volumes « traités » sur les marchés des changes (où les grandes banques, rappelons-le, sont les principaux intervenants) explosent littéralement, une bonne part correspondant à de la spéculation pure et simple (4).

Ces exemples démontrent que le « désordre des changes » n’est que l’expression « monétaire » des contradictions de l’économie mondialisée de concurrence. Mais, comme nous le verrons plus loin, ces contradictions se sont exacerbées depuis 2008. Les circuits habituels des échanges commerciaux connaissent des déséquilibres croissants alimentant de nouveaux mécanismes spéculatifs qui conduiront nécessairement à de nouvelles crises.

Pour ce qui est d’une maîtrise concertée des variations de change considérée comme moyen pour atténuer la « guerre des monnaies », la dernière réunion du G20 à Séoul à la mi-novembre 2010, n’a pas permis d’élaborer le moindre consensus. Certes, les dévaluations compétitives des monnaies ont été solennellement condamnées mais le communiqué final se limitera à souhaiter « un renforcement de la flexibilité des taux de change afin qu’ils puissent refléter de manière plus précise l’activité des différentes économies ». Autant dire que tout risque de continuer comme avant : ce sont les mécanismes du marché, plus ou moins déterminés par les rapports de force politiques, qui fixeront les taux de change entre les monnaies.

L’impossible régulation bancaire

Depuis 2008, en dépit des engagements de certains hommes politiques, d’experts et d’institutions préconisant une profonde réforme des banques, aucune mesure sérieuse de « régulation » financière n’a été prise que ce soit par les Etats ou par les institutions internationales. Le terme même de régulation a été si galvaudé qu’il a perdu tout contenu interventionniste et que les keynésiens eux-mêmes rechignent à l’utiliser. Non seulement il n’y a pas eu régulation mais on peut même considérer que l’approfondissement de la crise, en exacerbant les mécanismes de la concurrence a permis de poursuivre la dérégulation de la Banque et de la Finance engagée avant 2008. Ce qui a changé ce sont essentiellement les rythmes et les formes de ce processus.

On n’insistera guère sur les résultats de la « lutte » contre les paradis fiscaux dont certains politiciens avaient annoncé la disparition définitive. Un « classement » de ces places « off-shore » avait été établi en 2009 afin de faire disparaître les zones les plus voyantes de blanchiment de capitaux ou d’évasion fiscale. Mais l’on sait aujourd’hui que les réseaux de « fuite » des capitaux se sont restructurés et qu’en l’absence d’un véritable contrôle de ces mouvements, l’évasion fiscale continue. Ce sont d’ailleurs les banques « officielles » elles-mêmes qui, grâce à leurs filiales à l’étranger et par le biais de leurs départements de gestion de fortune et le développement de nouvelles structures juridiques ( notamment les « trusts » et les fiducies) ont contribué à réorganiser les circuits internationaux de placement financier, permettant ainsi de garantir l’anonymat de leurs clients (5). Pour les blanchisseurs d’argent sale mais aussi pour les gestionnaires de capitaux, les « paradis » fiscaux n’ont évidemment pas disparu.

Les « hedge funds » (fonds dits « alternatifs », en fait directement spéculatifs) avaient , à juste titre, été considérés comme un des maillons essentiels de cette « banque fantôme » aux activités opaques orientée vers les rachats des entreprises en difficulté afin, après restructuration (et souvent licenciements) en tirer le bénéfice maximum. Bon nombre d’entre eux ont été balayés par la crise, ne serait-ce que parce qu’une partie des souscripteurs avaient retiré leurs fonds. Mais les survivants semblent encore avoir un bel avenir devant eux. En effet, le projet de « régulation » adopté, fin octobre 2010, par l’Union européenne consistera essentiellement à créer un « passeport européen » pour commercialiser les nouveaux « hedge funds » (6). En fait, le lobbying de « l’industrie financière, notamment anglo-saxonne, a joué à plein : les hedge funds et leur activité spéculative ne sont pas remis en cause. On peut même considérer que le « passeport » équivaut pour eux à une reconnaissance de fait, facilitant leur retour au premier plan (7).

Les bonus exorbitants des « traders » et les rémunérations princières des banquiers ont, à juste titre, scandalisé les opinions publiques, surtout dans un contexte où les Etats (donc les citoyens) étaient appelés à la rescousse pour renflouer les banques. La fonction même des traders avait été remise en question ainsi que leur système de rémunération. En effet, fonder les rémunérations de ces intervenants sur les marchés de l’argent et de la spéculation sur l’importance des risques pris ne pouvait qu’encourager la spéculation elle-même. En France, « l’affaire » Kerviel et de la « Société Générale » a montré jusqu’où pouvait aller la logique du système : d’énormes gains mais aussi des pertes en capital, voire des faillites bancaires en cas de « retournement » des marchés. L’indécence de cette spéculation éhontée, l’énormité des pertes subies par certaines banques plaidait en faveur de la suppression de l’activité même de trader ou, à défaut, d’une réforme radicale du système.

Dans la plupart des pays, au sein des membres du G 20, des discussions ont donc été engagées pour tenter « réguler » les abus du système. Mais à aucun moment les activités de « trading » n’ont été remises en cause . Dans certaines banques, des « comités d’approbation des rémunérations » ont été créés et le versement des « bonus » a été parfois étalé dans le temps. Mais, aux Etats-Unis, en France, en Angleterre, des responsables de grandes banques qui avaient pourtant essuyé de lourdes pertes et avaient du être massivement renflouées par des fonds publics ont pu démissionner ou se retirer avec les plus-values gagnées sur les actions de la banque, les bonus, rémunérations et autres retraites-chapeau.

Dès l’instant où la finance de marché et la spéculation bancaire continuaient à être partie prenante, sinon initiatrices des processus de restructuration du capital, dès lors que les banques ont pu poursuivre toutes leurs activités d’émission et de placement d’actions ou d’emprunts, servant même d’intermédiaires obligés pour le placement des emprunts publics ou de dette souveraine, aucun discours « régulationniste » ne pouvait empêcher l’économie du profit de reprendre toute sa place. Cette période a d’ailleurs été marquée par un retour spectaculaire des profits des banques, profits essentiellement dus à la gestion de portefeuille et aux commissions plutôt qu’à un redémarrage de l’activité de crédit. L’activité de banque est donc restée une activité rentable et la crise n’a fait que freiner ou seulement différer le versement des bonus et des primes (8).

Qu’est-ce qui a permis à la plupart des grandes banques de renouer avec les profits ? Tout d’abord les masses d’argent public qui les ont sauvées de la faillite (9) ainsi que les dépréciations massives d’actifs « toxiques » qu’elles ont permis. Ainsi, en 2010, les banques françaises ont pu réaliser 21,2 milliards d’euros de bénéfices, en partie parce que, entre 2007 et 2009, une partie de leurs actifs « toxiques » (en fait des prêts irrécouvrables) ont été « effacés » de leurs bilans (10).

Autre facteur de retour des profits : la « purge » et la concentration des banques au niveau mondial qui s’est engagée après 2008. De nouvelles synergies se sont développées et la productivité de ces banques s’est fortement accrue. De nouveaux mastodontes bancaires se sont constitués qui ont recentré leurs opérations sur les activités de conseil, la gestion de patrimoine et le trading d’actions, cherchant aussi à assurer leur développement dans les pays dits émergents (11), là où la réglementation est supposée la plus laxiste et les tribunaux moins sensibles aux plaintes des clients et des créanciers qui se sont partout multipliées.

Ainsi, aux Etats-Unis, une partie des banques d’affaires, les éclopées de la crise ont été absorbées par leurs concurrents : Bear Sterns par JP. Morgan, Lehman Brothers par Barclays Capital et Nomura ; d’autres se sont rapprochées : Bank of America et Merrill Lynch, etc. Ces restructurations qui ont permis aux plus grands groupes de renouer, parfois de façon spectaculaire, avec les bénéfices. Elles se sont faites aussi au détriment de toutes les banques, petites et moyennes, qui ont disparu ou ont été absorbées. Aux Etats-Unis, beaucoup de banques locales, surtout engagées dans les crédits à l’immobilier ont déposé le bilan (près de 150 en 2010 et plus d’un millier étaient encore considérées comme malades par les autorités de tutelle fin 2010) (12).

En Amérique et dans les pays européens ces concentrations ont été, la plupart du temps, « trans-frontières ». En France, la hiérarchie des banques a été bouleversée par les fusions : celle entre BNP Paribas et Fortis, celle entre les Banques populaires et les Caisses d’épargne (menacées pendant un temps par les énormes pertes de leur filiale Natixis) donnant naissance au groupe BPCE. Notons que les concentrations se sont toujours faites au nom de la « banalisation » des circuits de l’épargne et de financement, c’est-à-dire de la privatisation-absorbtion des secteurs de financement public subsistants dans le secteur privé. Ainsi en France, les Caisses d’épargne, les chèques postaux (désormais Banque postale), les organismes publics de financement des collectivités locales, les institutions de financement du commerce extérieur, tous ont été, totalement ou partiellement, « déconnectés » du circuit du Trésor et de la Caisse des dépôts, circuit « régulé » dont le rôle avait été essentiel pour le financement de l’économie depuis la guerre. Des municipalités, des départements ont ainsi été conduits à souscrire auprès de banques privées des emprunts à taux usuraires (emprunts toxiques) qu’ils ne peuvent plus aujourd’hui rembourser. Le secteur de financement du logement social (financement HLM) est lui aussi menacé par la restriction des crédits de l’Etat et la concurrence des banques privées (13).

Dans le secteur bancaire, la crise a donc renforcé la logique du marché et, dans les faits, contribué à accentuer encore la dérégulation financière. Autant dire que le discours autour de la régulation n’est qu’une hypocrisie destinée à rassurer les déposants et les emprunteurs. Car les mêmes causes qui ont conduit aux faillites bancaires en 2007-2008 perdurent et risquent de rendre purement factice ce retour aux bénéfices bancaires. La principale raison est ces bénéfices n’ont pas vraiment été fondés sur des financements d’activités productives et de prêts à la production générateurs d’une nouvelle accumulation et de profits futurs. D’un point de vue capitaliste, cette « prospérité » ne peut donc être qu’aléatoire et temporaire. De nouvelles bulles spéculatives sont en cours de constitution car des activités n’ayant pour seule finalité que le commerce de l’argent pour l’argent ne peuvent conduire qu’à de nouvelles crises du système bancaire et financier.

Un des objectifs-clé de la récente réforme « Obama » aux Etats-Unis, la loi Dodd-Frank sur la législation bancaire, était justement, pour éviter de nouvelles crises, de limiter l’activité pour compte propre des banques (source avérée de spéculation) et de réduire le volume de leurs investissements dans les fonds spéculatifs ou dans le capital-investissement. Cette proposition, venue de Paul Volcker, ancien Président de FED, n’avait rien de subversif mais, dans la pratique, les financiers de Wall Street ont déjà estimé qu’il sera facile de déguiser les opérations pour compte propre en transactions pour le compte de clients, donc de contourner la règle. Un lobbying effréné a été engagé par les banquiers et les « politiques » pour limiter les effets de cette loi (14).

En fait, on ne peut tenter de réguler le secteur bancaire sans, dans le même temps, contrôler et réglementer les activités de Bourse et les marchés financiers. Comme l’indiquait le un éditorialiste américain à propos de cette réforme : « La loi Dodd-Frank et ses 2200 pages crée un salmigondis orwellien d’agences, d’autorités de surveillance et de bureaux divers censés nous protéger contre nous-mêmes. Le problème, c’est que dans la mesure où la nouvelle législation ne change pas d’un iota les incitations visant Wall Street, nous ne sommes toujours pas mieux prémunis contre le comportement irréfléchi des banquiers » (15).

Les nouvelles formes du capitalisme parasitaire et prédateur

On peut aujourd’hui considérer qu’au niveau américain, Wall Street a repris toutes les activités d’avant-crise (après cependant quelques faillites d’intermédiaires de Bourse et le licenciement d’une partie des traders et des employés). En Europe, les projets de « supervision financière » des marchés n’ont pas manqué. Dès 2000, un Plan d’action sur les services financiers (PASF) avait été décidé par le Conseil de Lisbonne et de nombreuses « directives » ont été depuis lors adoptées pour mettre en place un « marché unique des services financiers ». Des autorités supranationales de supervision ont été prévues, intégrées dans un Système européen des superviseurs financiers (SESF) (16) mais, à ce jour, elles n’ont guère permis de contrecarrer les logiques de marché et de spéculation qui, dans tous les pays européens, se sont de nouveau imposées.

Car les tentatives de « régulation » de la Bourse ont, elles aussi, fait long feu. En 2008, sur la place de Paris, avait été interdite la vente à découvert de titres (vendre un titre que l’on ne possède pas pour le racheter ensuite et tirer profit de sa baisse) . L’AMF (l’Autorité des Marchés Financiers) a levé assez rapidement cette interdiction. Les principaux produits « dérivés » qui amplifient, à la hausse comme à la baisse, « l’effet-levier » sur les titres cotés en bourse (et donc la spéculation) ont retrouvé toute leur place sur les marchés.

Au niveau international, un fort processus de concentration boursière s’est également engagé depuis le début de la crise. En 2007, le New York Stock Exchange (NYSE) avait racheté Euronext (société gérant les Bourses de Paris, Bruxelles, Lisbonne et Amsterdam). Or, début de 2011, ce même Stock Exchange sera racheté par la Bourse allemande Deutsche Börse (17). Que le « temple du capitalisme », vieux de plus de 200 ans, puisse être en partie détenu par des capitaux étrangers indique bien les effets de la mondialisation et de la libéralisation extrême des mouvements de capitaux. Les Bourses « nationales » avaient déjà été plus ou moins livrées aux banques mais désormais ce sont les grands investisseurs internationaux qui seront propriétaires des sociétés de Bourse et des bourses elles-mêmes. Contrôle des transactions et, en même temps, organisation des cotations. Les réglementations du marché et les règles de « transparence », déjà bien réduites au niveau national, encore dans les limbes au niveau européen, compte tenu de la nature de la Banque Centrale européenne, ne semblent plus guère ne mesure d’influer sur des marchés financiers désormais totalement extra-territorialisés.

D’autant que, à côté des marchés boursiers « officiels », parfois même comme filiales de ces marchés, se sont depuis quelques mois développés des marchés parallèles qualifiés de « dark pools », des « bourses de l’ombre ». Il s’agit de plates-formes électroniques permettant aux investisseurs et spéculateurs de vendre ou d’acheter des actions et des titres de façon anonyme. Puisque, depuis 2007, une directive européenne « Marchés d’instruments financiers » avait mis fin au monopole des opérateurs traditionnels de Bourse déjà évoqués (London Stock Exchange, Euronext) pour ouvrir le marché boursier à la concurrence, rien n’empêchait plus la constitution de ces « réseaux », généralement animés par les salles de marché des banques, pour développer des transactions . Alors que l’on prône partout la transparence et la régulation, les banques et les opérateurs de marché sont entrés sur ces « marchés de l’ombre » (18), ouverts en continu, 24 heures sur 24. Depuis 2009, ces marchés occultes sont en pleine expansion.

Entre les discours lénifiants sur la régulation et les réalités de l’évolution des systèmes de banque et de bourse depuis bientôt trois ans, l’écart est devenu considérable. Dans les pays du « centre », les difficultés à valoriser le capital dans la sphère productive, les faiblesses de l’investissement industriel et du crédit à la production, ont contribué à étendre encore le rôle de la Finance et des banques, accentuant encore leur caractère ouvertement parasitaire car permettant d’agir sans contrôle, en toute impunité . Ce parasitisme gangrène tous les secteurs de l’économie, impose sa loi en parfaite connivence avec le politique, contribuant à l’endettement massif des Etats, organisant chômage, précarité et baisse des salaires. Les causes profondes découlent des impératifs généraux de la mise en valeur du capital et de la nécessité de poursuivre, par tous les moyens, l’extorsion de la plus-value et des profits, condition nécessaire de la reproduction du capitalisme comme système.

Le parasitisme financier s’exerce dans tous secteurs. Ainsi, dans un secteur aujourd’hui crucial, celui des matières premières industrielles, énergétiques ou agricoles, la spéculation a pris une ampleur considérable. En l’absence de réglementation et de toute législation fiscale coordonnée, les opérations « de marché » imposent les prix internationaux. Très sensibles aux incertitudes « géopolitiques » (aujourd’hui la révolution arabe), ces prix ne dépendent pas seulement des stocks physiques réels de marchandises, des gisements ou des récoltes ou même de la demande, il sont objet de spéculations et de manipulations de la part des sociétés de négoce et des traders mais aussi des banques et des financiers . L’importance des capitaux en quête de valorisation, la recherche de placements rentables dans un contexte mondial de taux d’intérêt bas, a poussé les gestionnaires de fonds et les banques à utiliser les matières premières comme une nouvelle catégorie d’actifs financiers, au même titre que les obligations, les actions, les devises ou l’immobilier. Ce phénomène engagé dès 2003-2004 s’est amplifié depuis 2008.

La caractéristique première de ces marchés est qu’ils sont véritablement « apatrides », même si certaines places (Londres, Genève, Chicago, Hong Kong ) jouent un rôle prédominant. En théorie, il suffit désormais de quelques ordinateurs, d’une ligne de crédit et de bonnes compétences financières (certains ex-traders de banque licenciés se sont reconvertis dans ce nouveau « business ») pour entreprendre des activités de négoce sur matières premières. L’objectif est simple : acheter et vendre au meilleur prix. Les transactions portent surtout sur des contrats à terme, par nature incertains, sur des achats et des ventes à découvert sur stocks de marchandises, instruments qui amplifient les variations de prix, contribuant généralement à leur hausse. Les bénéfices, comme les pertes, peuvent être énormes. Dans les faits cependant ce sont de gros opérateurs (banques, fonds de pension, assurances et autres investisseurs « institutionnels) qui tendent à dominer les opérations car il faut en assurer « la couverture », c’est-à-dire chercher à maîtriser les risques (19).

Le parasitisme bancaire et financier s’est aussi affirmé dans de nouveaux secteurs d’activité, ceux de l’économie illégale. La poursuite de la dérégulation des marchés, la dématérialisation et l’accélération des transferts de fonds internationaux ont été pour les multiples mafias (du crime, du trafic de drogues, de la prostitution, de la contrefaçon, etc) une véritable aubaine. Selon les chiffres très approximatifs du Fonds Monétaire International, de 600 à 1800 milliards de dollars feraient, chaque année , l’objet de blanchiment. Or qu’est-ce que le blanchiment d’argent sinon la réintégration des profits illicites dans l’économie légale ? Dans une période où le crédit bancaire s’est fortement réduit, surtout après 2008, l’argent « sale » est venu contribuer, à sa manière, au financement des économies. Il gangrène des pans entiers des sociétés en Afrique, en Asie, dans les Balkans et ailleurs. Il est au cœur du trafic mondial des armements et de l’économie criminelle. Malheureusement, ni les banquiers, ni les Etats, ni le G20 n’ont encore véritablement mis à l’ordre du jour d’action contre la blanchiment d’argent car il faudrait aussi impliquer les banques elles-mêmes et les marchés financiers qui en sont nécessairement un des supports (20).

L’impunité des banquiers, leur cynisme et leur voracité en termes de bonus et de rémunérations (aux Etats-Unis, on a parlé des « banksters »), ont suscité, à juste titre, l’indignation des opinions publiques. Alors que la crise devait nécessairement, selon certains, conduire à la réglementation des opérations de banque et de bourse, à la mise en place d’ une véritable transparence financière, la spéculation et parfois les malversations ont continué (21). C’est souvent en période de crise que les scandales financiers apparaissent au grand jour (affaire Madoff par exemple), que les pratiques illicites s’appuyant sur les failles du système sont révélées. L’insuffisance de données statistiques fiables et vérifiables, les pratiques bancaires « hors bilan », les énormes « trous noirs » de l’économie planétaire, permettent à des financiers avisés, grâce au clientélisme et à la corruption, de poursuivre impunément leurs activités dans toutes les zones « grises » de l ‘économie mondiale. Ces zones ne sont ni légales, ni illégales, elles n’existent pas. Elles peuvent donc être le lieu privilégié d’exécution des transactions illégales, puis grâce à des montages financiers sophistiqués, « raccordées » aux institutions « officielles » de banque et de bourse.

Le premier objectif des détenteurs de grosses fortunes, de certains hommes d’affaires et spéculateurs, c’est d’abord « d’échapper » aux services fiscaux des différents Etats. Les anciens « paradis fiscaux , zones franches hors législation, étaient devenus, après 2007, trop visibles. Il a donc fallu trouver d’autres moyens. Ce sont désormais les services de « banque privée » des grandes institutions de banque qui, grâce à des montages juridiques plus élaborés, ceux de la fiducie et des « trusts » de type anglo-saxon, ont pris en charge les gros patrimoines et trouvé les moyens ( création de sociétés-écran, achats et ventes de sociétés, de foncier ou d’immobilier à l’étranger) d’échapper en grande partie aux services « nationaux » du fisc aux moyens de plus en plus réduits. La City de Londres serait ainsi devenue le premier paradis fiscal au monde car disposant des structures de banque susceptibles de « mondialiser » les opérations sur patrimoine et les transferts de fonds (22).

Dans cette période de près de trois ans qui a suivi la « rupture » de l’automne 2008, le capitalisme comme système global s’est donc adapté aux nouvelles conditions de l’accumulation du capital. Les banques et les marchés financiers ont été un des principaux supports de cette mutation. Dans la crise, les groupes financiers et bancaires les plus puissants, aiguillonnés par les logiques du profit se sont « reconstruits » au détriment des plus faibles ou de ceux qui ont disparu, reconstituant leur rentabilité. D’autres ont su tirer le maximum de bénéfices des désordres monétaires ou bancaires, des menaces de solvabilité de certains Etats, de leur endettement (Irlande, Grèce) pour spéculer sur les devises ou les différentiels de taux d’intérêt. Le « boom » du prix des matières premières ne découle pas seulement des déséquilibres entre l’offre et la demande mais aussi de la volonté des financiers de dominer de nouveaux marchés. Certes, derrière la Finance, l’économie « réelle » reste présente mais il est apparu que la spéculation n’était pas une anomalie temporaire ou une excroissance perverse du capitalisme mais bien une composante inhérente de son fonctionnement.

Comme nous le verrons plus loin, cette caractérisation doit conduire les travailleurs et le mouvement social à rejeter résolument toute illusion quant à la « régulation » financière ou à la réforme du système de banques , à formuler, l’exigence d’un changement radical de régime social et politique.

Fin de la Première partie

Notes :

1 D’ailleurs les « anticipations » de tous ceux qui s’étaient extasiés devant le prétendu « rebond » de 2010 semblent s’être retournées. Dans « Le Monde », on considère maintenant qu’en France « le gros de la crise sociale reste à venir » car les mesures de rigueur vont maintenant produire leur plein effet, notamment vis-à-vis de la classe moyenne qui ne bénéficie pas de transferts sociaux et dont les déductions fiscales seront fortement réduites (« Le Monde de l’Economie », 11 Janvier, page 4).

La Banque mondiale prévoit toujours un taux de croissance mondial positif de 3,3% mais ce taux « a peu de chance d’être suffisant pour éliminer le chômage et la sous-utilisation des ressources dans les économies les plus touchées ». Elle craint une crise de la dette publique et une flambée du cours des matières premières (retour à l’inflation) « dont les conséquences pour les citoyens et les pays peuvent être graves », dépêche AFP, 13 Janvier 2011.

Le FMI, par la bouche de Strauss-Kahn, dénonce maintenant « l’aggravation des déséquilibres mondiaux qui menace de faire dérailler la fragile reprise économique ». Cette « reprise », émaillée de tensions et de pressions, pourrait même « semer les graines de la prochaine crise ». En effet, les pays « émergents », moteur de la croissance mondiale en 2010, risquent maintenant d’entrer en surchauffe et le chômage s’est partout accru. Le protectionnisme commercial et financier peut s’aggraver , « l’accroissement des tensions au sein d’un pays peut favoriser une instabilité sociale et politique et même la guerre ». Conférence de Singapour, AFP, 1er Février 2011.

2 Léon Trotsky sera particulièrement sévère avec le New Deal et son bilan. Il écrit en 1937, de manière prémonitoire : « La politique du New Deal avec ses résultats fictifs et son accroissement réel de la dette nationale doit inévitablement aboutir à une féroce réaction capitaliste et à une explosion dévastatrice d’impérialisme. En d’autres termes, elle conduit aux mêmes résultats que le fascisme ». Léon Trotsky : « Le marxisme et notre époque” , Ecrits », Tome 20, p.147.

3 Sur toute cette période, voir notre contribution au Congrès « Marx International VI » : « Les Etats-Unis du New Deal à l’économie de guerre : quelles leçons pour la crise d’aujourd’hui ? », Université Paris X-Nanterre, 22-25 Septembre 2010.

4 Au moment du « Plaza », en 1985, les transactions journalières sur le marchés des changes étaient d’environ 600 milliards de dollars, à la fin de 2010, elles sont estimées à près de 4000 milliards de dollars. Plus inquiétant encore : en 2010, cette dernière somme représente quatre fois la valeur des stocks de devises cumulés des Etats-Unis et de la zone euro. Autant dire que si l’on s’en tient aux seules « réserves » de change, la capacité d’action des banques centrales resterait assez limitée en cas de « tsunami financier ».

5 Un exemple parmi d’autres : celui de BNP Paribas (« Le Canard Enchaîné », 17 Nov. 2010). Pour leur part, la banque suisse UBS et la banque HSBC, maintenant anglo-chinoise, ont fermé certains bureaux des anciens « paradis » pour en ouvrir d’autres à Jersey, à Hongkong et Singapour.

6 Les managers de ces fonds, la plupart implantés jusqu’à présent dans des paradis fiscaux, devraient en particulier s’enregistrer dans un pays européen pour obtenir ce « passeport ». Mais tout dépendrait alors du rôle d’une autorité « paneuropéenne » de régulation encore dans les limbes. Voir « Breakingviews », Le Monde, 22 Octobre 2010 et aussi Claire Gatinois : « Avec des profits record, les fonds spéculatifs ont bien tourné la page de la crise de 2008 », Le Monde, 8 mars 2011, p.14.

7 Souvent liés aux banques, les hedge funds, ne se pas contentent pas en effet de reprendre les entreprises en faillite ou d’investir dans certains secteurs , ils ont aussi spéculé à la hausse comme à la baisse, sur les titres de Bourse mais aussi sur les émissions d’Etat (obligations), les devises, les matières premières. Ce sont eux, selon les experts, qui ont « joué » contre la Grèce au bord de la faillite en prenant des positions à la baisse sur les obligations du pays.

8 Ainsi, selon une enquête du « Wall Street Journal » du 2 Février 2011 portant sur les 25 plus grandes banques d’affaires et maisons de courtage de New York, la masse des rémunérations, bonus et primes a atteint en 2010 un niveau record (en hausse de 5,6 % par rapport à 2009). Une part de cette hausse a été due au versement simplement « différé » des bonus, en application des nouvelles « pratiques » recommandées par le G20. Au dernier « Davos » de Janvier 2011, rendez-vous annuel du capitalisme mondial, les banquiers sont réapparus et réclamé « qu’on cesse de les casser ». Ils ont remercié les « régulateurs » (banques centrales, ministres des finances) d’avoir permis à l’industrie bancaire « d’opérer maintenant dans un système plus sain et plus sûr » mais dénoncé les dangers de surrégulation de leurs banques. Monsieur Sarkozy les a gentiment sermonnés en oubliant l’essentiel : son projet de taxation des transactions financières. Madame Lagarde les a conseillés : « renforcez vos fonds propres et distribuez-vous des rémunérations qui ne soient pas insensées » (« Le Monde, 1er Février 2011). Nul doute quelle ait été entendue.

9 Selon le Ministre des Finances allemand, W. Schäuble, le coût net du sauvetage aurait, dans sa première phase, atteint, pour les pays du G20, 905 milliards de dollars. Si l’on ajoute, pour chacun des Etats de la zone euro, les autres « stimulants » à la production, on aboutit ainsi, entre 2008 et 2009, pour cette zone, à une augmentation de la dette publique par rapport au PIB de près de 10 points, soit de 69,3 % à 78,7% du PIB de ces pays.

10 Soit pour le Crédit Agricole, 9 milliards d’euros ; pour la Société Générale, 8,9 milliards (à rapprocher des 4,9 milliards de la « perte Kerviel ») ; pour BNP-Paribas, 4,5 milliards ; pour Banques Populaires-Caisses d’Epargne, 9,8 milliards, etc. Données Banque de France, Sociétés, 2010.

11 « La crise a fortement transformé le modèle économique des banques d’affaires » , « Le Monde », 4/1/2011.

12 En 1933, aux Etats-Unis, F.D Roosevelt avait imposé, pour rétablir la confiance, « le banking holiday », période de fermeture obligée des banques. Plus d’un tiers des banques « hors statut » n’avaient pas rouvert leurs portes. La « purge » paraît aujourd’hui moins spectaculaire mais peut-être encore plus profonde.

13 En Espagne, le réseau des Cajas de Ahorro (Caisses d’Epargne), déjà fortement réduit en 2010, puisque passé de 45 à 17 groupes provinciaux, est directement menacé par le gouvernement socialiste. Une loi récente, censé le « renforcer », va organiser sa « recapitalisation », l’obligeant à recourir à des capitaux privés. L’aide « provisoire » de l’Etat doit l’aider à se restructurer afin d’en faciliter, au final, le transfert aux intérêts privés. A.REIN : « España : sobre còmo privatizar las Cajas a paso forzado o el llamado « Plan de reforzamiento del sector financiero », Sinpermiso.info, 27 Février 2011.

14 Pour les Etats-Unis, l’étroite symbiose entre la finance et le pouvoir politique, la relation organique entre l’un et l’autre, se sont révélées particulièrement évidentes depuis le début de la crise. L’élection d’OBAMA n’y a rien changé. Le film américain de Charles FERGUSON : « Inside Job » , sorti fin 2010 à Paris analyse et documente brillamment cette complicité. La connivence entre l’administration démocrate d’Obama et les milieux d’affaires a de nouveau été illustrée, début 2011, par la nomination comme Directeur de Cabinet de la Présidence OBAMA de William Daley, haut responsable de la Banque JP Morgan Chase.

15 William D. COHAN, éditorial du “New York Times” , 15 Octobre 2010.

16 Voir F. LEFRESNE, C. SAUVIAT [2010] : « La crise comme révélateur des enjeux de l’Union européenne », Chronique Internationale de l’IRES, n°127, novembre

17 En 2010, la valeur des actions européennes échangées sur NYSE-Euronext et Deutsche Börse a été de 5600 milliards de dollars. Le London Stock Exchange (Bourse de Londres ) n’en avait négocié que 3400 dollars (sommes à rapprocher du montant des soutiens étatiques apportés aux Banques). 18 Cette activité secrète des marchés utilise des ordinateurs surpuissants et la profitabilité des opérations de Bourse se joue sur les énormes volumes et la vitesse vertigineuse des transactions. Cette pratique représenterait déjà 38% des volumes d’échanges sur les Bourses européennes. « Ces traders éclair qui menacent l’intégrité des marchés financiers » Le Figaro, 7 janvier 2011, p.18.

19 Là encore, la puissance financière de ces opérateurs est déterminante. On se rappellera, dans les années 1970, le « coup » des Frères Hunt qui avaient pu, en 5 ans, accaparer la moitié des stocks mondiaux d’argent. Après leur faillite en 1980, ils finiront par être condamnés en 1988 pour manipulation des cours. Plus récemment, en juillet 2010, Anthony Ward achète la plus grande part des stocks européens de cacao pour 1,2 milliards de dollars ; en décembre dernier, JP Morgan s’empare de la moitié des stocks de cuivre du London Metal Exchange pour 1,5 milliards de dollars (à plus de 10.000 dollars la tonne, le cours du cuivre a triplé en deux ans).

20 Dossier : « La lutte antiblanchiment reste insuffisante », Le Monde, 1er mars 2011.

21 Ainsi, fin 2010 aux Etats-Unis, le « Foreclosure Gate » (scandale des saisies) a révélé les méthodes de saisie des logements par les banques et officines de crédit qui avaient consenti, sans retenue, des prêts immobiliers hypothécaires à des ménages insolvables (les subprimes). Certaines des banques qui avaient racheté ces « prêts pourris » ont entrepris, de saisir, pour les revendre, les logements impayés, en ce toute illégalité, car sans présenter les documents originaux de propriété attestant de leurs hypothèques. Usage de faux, falsification de documents, recours à des avocats sans scrupule, autant de moyens qui ont permis cette fraude majeure , la plus « grande escroquerie » de l’histoire selon certains experts. Elle révèle l’étendue du pouvoir des financiers et de l’impunité dont ils bénéficient. Rappelons qu’aux Etats-Unis, depuis le début de 2008, près de 11 millions de procédures de saisie, concernant 20 millions de personnes, ont été engagées par les organismes de prêt immobilier. Fin 2010, plus de 2,8 millions de personnes avaient déjà été expropriées de leurs logements. 22 Voir : Anne MICHEL : « Pourquoi le fisc échoue t’il à réprimer les grands fraudeurs ? » . Le Monde, 17 juillet 2010 et aussi Nicholas SHAKSON [2010] : « Treasure Islands : Tax Havens and the Men Who Stole the World » , Ed. Bodley Head, Londres.


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