Si j’étais riche... néolibéral... banquier... ministre de l’éducation... socialiste… (Jean-Marie Harribey, ATTAC)

dimanche 25 septembre 2011.
 

Si j’étais riche…

Je demanderais à « mon » président un peu plus de hauteur. Comment, on m’assujettit, moi et mes honorables pairs en richesse, à payer une taxe exceptionnelle de 200 millions d’euros parce que chaque part de mon ménage dépasse 500 000 euros de revenu annuel ! Mais je donne déjà beaucoup plus et serais prêt à donner encore bien davantage si on me laissait libre d’agir charitablement : le mécénat est en France de 2,5 milliards d’euros par an. Le mécénat entre dans la catégorie du don désintéressé alors que l’impôt est confiscatoire. Dans « confiscatoire », il y a « fisc ». D’ailleurs, j’aurais tiqué en lisant que Maurice Lévy, PDG de Publicis, qui gagne environ 300 fois le SMIC par an, était prêt à payer plus d’impôt. Je conseillerais à « mon » président de lire la dernière étude de l’INSEE sur les niveaux de vie. En 2009, le plancher du dixième décile n’était que 3,4 fois supérieur au plafond du premier décile alors qu’il était de 3,5 en 1996. Donc ça va mieux. « Mon » président pourrait s’en tenir là, car le reste de l’étude ignore les écarts entre les extrêmes et le fait qu’elle ne peut mesurer l’élargissement de l’éventail quand on regarde le contenu du décile le plus riche.

Certes, je soufflerais dans l’oreille de « mon » président que si l’on prend les niveaux moyens à l’intérieur du pre-mier et du dernier déciles, l’écart grimpe à plus de 6 fois, sans parler de l’écart entre le niveau d’un RSA pour per-sonne seule et celui des plus hauts revenus qui atteint environ 1000 fois. Mais, comme les pauvres comptent pour zéro puisqu’ils ont moins de 954 euros par mois, ils ne savent pas compter les zéros qui figurent sur les fiches de paie des plus riches.

Je tairais à « mon » président le fait que plusieurs millions de salariés (surtout des femmes) travaillent à temps partiel et que cela contribue à aggraver les inégalités dans la société : l’indice de Gini qui les mesure est passé de 0,279 en 1996 à 0,29 en 2009. Je tairais cela parce que cela le fâcherait, lui le président du « travailler plus pour gagner plus ».

L’Humanité, 6 septembre 2011

Si j’étais néolibéral…

Je recommencerais mes études d’économie. Quoi, j’entends aujourd’hui le contraire d’hier ! La taxe Tobin sur les transactions de change était stupide, impossible à mettre en oeuvre sans l’accord unanime de 192 pays, et surtout inefficace. A fortiori pour une taxe sur toutes les transactions financières. Or, Merkel et Sarkozy ont assuré à l’issue de leur dernière rencontre qu’elle était nécessaire, possible et efficace, et le richissime Maurice Lévy qui veut payer plus d’impôt trouve que ce n’est pas une mauvaise idée. On attend Mme Parisot sur la question, qui ne devrait pas tarder à se prononcer, dès que son fantasme de complot américain l’aura quittée.

Je relirais mes manuels d’économie pour savoir si oui ou non l’austérité est capable de relancer l’économie. Parce que j’ai un vague souvenir que la preuve y est. Si on baisse les impôts des riches, cela n’a aucun effet sur la dy-namique économique car ils épargnent davantage, donc ils prêtent à l’État dont le déficit s’accroît pour leur per-mettre justement de prêter avec intérêt et la rente grossit le déficit, la dette, et ainsi de suite : le rendement des obligations grecques à deux ans atteint 46 %. Si on baisse la dépense publique ou si on augmente les impôts des pauvres, la consommation privée diminue et la récession s’installe. Tout ça parce que la propension à consommer des pauvres est proche de 1 et que celle des riches qui épargnent est plus faible.

Je m’inquiéterais donc. Au fur et à mesure que les impostures sont dévoilées, la légitimité de la dette publique s’effrite puisqu’elle n’existe qu’en raison des politiques de défiscalisation menées depuis trente ans et de l’endossement public des dettes privées. Cela risque de donner une ampleur à l’initiative que prend l’association Attac qui propose à toute la société de lancer un audit sur la dette publique. Il se pourrait bien qu’à cette occasion surgisse le spectre de la destruction de la finance mondiale. En imposant la « règle d’or », le néolibéralisme prouve qu’il a du plomb dans l’aile.

L’Humanité, 7 septembre 2011

Si j’étais banquier…

Je me frotterais les mains car le politique me les laisse libres. Toutes les annonces de régulation financière sont restées lettre morte. Du G20 au FMI, en passant par l’Union Européenne et le Comité de Bâle, le mot d’ordre est de ne toucher à rien puisque les marchés sont omniscients. Et il y a toujours un chef d’État ou de gouvernement pour s’opposer à la répudiation même partielle des dettes publiques des États les plus fragiles, même lorsqu’elles sont largement illégitimes, au nom de la préservation du capital des banques. Quant aux euroobligations, j’en achèterais bien à condition que tous les États soient aussi vertueux que l’Allemagne ou bien imposent l’austérité à leur population.

Mais je rirais jaune parce que les nuages s’accumulent. Les créances sur les États sur lesquels s’est déchaînée la spéculation à laquelle j’ai participé sont déjà dévalorisées. Et plus j’exige des taux d’intérêt exorbitants, plus elles se dévalorisent. La route est ouverte vers un nouveau krach d’ampleur inégalée. Les stress-tests auxquels mes confrères et moi-même avons été soumis ne valent rien car ils testent la solvabilité des banques (c’est-à-dire le solde des capitaux propres et des dettes) et non pas leur liquidité (le solde courant des recettes et des dépenses qui dépend de la durée et de la nature des ressources et des emprunts).

Or la crise a montré la fragilité des banques à ce dernier niveau, à tel point que les règles dites de Bâle III projet-tent d’imposer un ratio de couverture de liquidité en fonction des actifs de bonne qualité possédés. Mais cela ne suffira pas si l’addiction à l’effet de levier perdure : augmenter le taux de rentabilité financière en empruntant pour réduire la part des fonds propres, tout en profitant des structures permettant la spéculation (confusion des activités de dépôt et de placement, marchés de gré à gré, titrisation, produits dérivés, CDS…).

Je tremblerais donc car le jeu de la roulette russe se termine toujours mal.

L’Humanité, 8 septembre 2011

Si j’étais ministre de l’éducation…

J’avalerais mon stylo en lisant la pétition des quatre-vingts députés UMP réclamant la suppression d’un manuel de classe de première de SVT la théorie du genre. Alors que j’ai tant de peine à faire avaler la suppression de 16 000 postes et la disparition de la formation des maîtres, Christine Boutin déclare sur France Info qu’elle refuse « l’idéologie du gender néomarxiste-existentialiste ». Elle dit gender pour stigmatiser l’étranger, en l’occurrence une étrangère, Judith Butler, théoricienne du genre. Et Lionnel Luca lui fait écho sur toutes les radios pour récuser cette théorie au nom d’Adam et Ève sans qui « nous ne serions pas là pour en parler s’ils avaient suivi cette théorie, qui veut légitimer à terme la pédophilie, voire la zoophilie ».

Je consulterais le manuel incriminé : la théorie du genre explique que les êtres humains naissent pourvus d’un sexe, mais que leur identité d’homme ou de femme, c’est-à-dire leur rapport à eux-mêmes, leur rapport aux autres, leur imprégnation des rôles, sont une construction sociale et culturelle. Pas de quoi s’alarmer puisque nous savons depuis Simone de Beauvoir qu’« on ne naît pas femme, on le devient ». Quelle mouche a donc piqué les intégristes ?

Ils appliquent aux comportements humains le principe thatchérien néolibéral : « la société n’existe pas ». Il n’y aurait donc que des individus « naturels », sans culture, sans histoire, sans mémoire, descendants invariables d’Adam et Ève. S’ils obtenaient la suppression de la théorie du genre, leur prochaine demande serait d’introduire dans l’enseignement le créationnisme, en opposition à la théorie de l’évolution.

En tant que ministre, je m’arracherais les cheveux pour contenir les élucubrations de cerveaux reptiliens n’imaginant pas autre chose que des instincts vieux de 400 millions d’années nourrissant la peur et la haine de l’autre et abandonnant notre destinée dans la main providentielle du marché, ce dieu si naturellement bienfaisant.

L’Humanité, 9 septembre 2011

Si j’étais socialiste…

Je voterais très certainement aux primaires, marquant mon attachement à désigner le champion capable de battre Sarkozy. Mais je sonderais les candidats sur leur projet avant de peser leur prestance.

Je demanderais à Martine Aubry quelques précisions sur la sécurité, pas la sécurité marseillaise, mais la sécurité sociale. Par exemple, comment la promesse de revenir au droit à la retraite à 60 ans pourrait-elle être tenue si la durée de cotisation restait fixée à 41,5 ans, voire devait augmenter encore ? Est-ce la raison pour laquelle toute idée de RTT est absente du projet socialiste et que seule la croissance est vue comme une solution pour l’emploi ?

Je demanderais à François Hollande en quoi la réduction du déficit public à 3 % du PIB en 2013 se distingue du critère de Maastricht et de l’inscription d’une « règle d’or » d’équilibre budgétaire dans la Constitution ? Imiter le gouvernement Zapatero est-il un gage de socialisme ?

Je poserais la même question à Ségolène Royal, surtout qu’elle compte battre cette fois-ci Sarkozy en proposant la même chose que lui : adopter cette « règle d’or », à la seule différence que ce sera après l’élection au lieu de le faire avant. La conditionner à une fiscalité plus juste n’ôtera pas le fait qu’elle bloquera la politique économique.

J’interrogerais Arnaud Montebourg pour vérifier s’il pense que nous avons affaire à une somme de crises nationales qui l’amèneraient à proposer des solutions nationales. Car si la crise est une crise capitaliste mondiale dou-blée d’une crise écologique, on voit mal comment voter pour sa démondialisation isolée nous sortirait de l’ornière. Imposer des droits de douane unilatéraux nous maintiendrait à l’intérieur du paradigme de la concurrence.

Dès que j’aurai trouvé une question à poser à Manuel Valls, je l’indiquerai…


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