7 octobre 1955  : la révolte des soldats de la caserne Richepanse

mardi 8 octobre 2019.
 

Dans la nuit du 6 au 7 octobre 1955, les jeunes réservistes rassemblés dans la caserne Richepanse de Rouen refusent de quitter leurs baraquements pour rejoindre l’Algérie. Ils s’opposent à la guerre coloniale menée par la France et à l’engagement des soldats du contingent dans les opérations.

À l’automne 1955, le gouvernement rappela de nombreux soldats réservistes pour aggraver son intervention militaire en Afrique du Nord, où il s’engageait dans les guerres coloniales. C’est ainsi qu’environ 600 jeunes de la région rouennaise furent incorporés dans le 406e RAA et rassemblés dans la caserne Richepanse, située dans un quartier populaire de Rouen, proche du port, des usines métallurgiques et de produits chimiques et d’ateliers de la SNCF.

Ces jeunes rappelés venaient de villes où l’action contre les guerres coloniales était vive. Les dockers du port de Rouen avaient refusé maintes fois de charger des armes destinées à la guerre du Vietnam. Dans les semaines précédentes, de nombreuses actions avaient été engagées pour l’ouverture de négociations au Maroc et en Algérie. Un meeting unissant sur ces objectifs les Jeunes communistes et les organisations de la jeunesse chrétienne venait de se tenir au Havre. Un appel venait d’être lancé, signé par de nombreux élus (dont un conseiller général SFIO) pour la négociation. Des pétitions circulaient contre le rappel des « disponibles ». Le 19 septembre, la fédération communiste de Seine-Maritime (dont j’étais le secrétaire) avait proposé publiquement à la fédération socialiste (dont le secrétaire était à l’époque Pierre Bérégovoy) une action commune « pour l’arrêt de la répression en Afrique du Nord, pour la négociation avec les représentants qualifiés du Maroc et de l’Algérie  ; pour le retour des soldats du contingent d’Afrique du Nord  ; pour la libération des rappelés ». La fédération socialiste avait refusé tout contact, le 6 novembre précédent, François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, avait déclaré  : « l’Algérie c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne  »

Les jeunes rappelés de la région rouennaise concentrés à la caserne Richepanse étaient pour beaucoup issus de la population ouvrière de la rive gauche de l’agglomération de Rouen. Parmi eux, quelques militants communistes et quelques militants des organisations de la jeunesse chrétienne agissaient ensemble pour défendre les rappelés. Ils avaient été amenés à agir contre la mauvaise nourriture et contre les brimades. Des soldats du contingent célibataires avaient accepté de remplacer pour le départ des réservistes pères de famille. Pourtant, malgré les promesses des gradés, ils se retrouvaient ensemble, appelés à partir. Les quelques militants communistes rappelés faisaient entrer dans la caserne et distribuaient le journal destiné aux soldats, journal édité, anonymement, par leur parti (1). La fédération départementale y ajoutait des tracts tenant compte de la situation particulière de la caserne.

Au moment où les soldats furent appelés à monter dans les camions pour le départ, ils restèrent d’abord dans leurs chambres, puis, rassemblés, deux sous-officiers réservistes sortirent des rangs et annoncèrent leur refus de départ. Au même moment, les travailleurs des entreprises proches de la caserne furent avisés par des prises de parole de militants syndicaux et communistes. Rassemblés autour de la caserne, ils manifestèrent activement leur soutien. Hissé sur les épaules d’un militant communiste, je pris la parole au mur de la caserne, m’adressant à la fois aux travailleurs et aux soldats. La nuit tombait, des forces de police nombreuses (on remarqua au moins deux compagnies de CRS) chargèrent brutalement. Le soir même, se tenait la réunion hebdomadaire du bureau fédéral du Parti communiste. Elle eut lieu, non au siège de la fédération, encerclé par des forces de police, mais dans un local proche de la caserne. Les forces de police se livrèrent à de violentes charges contre les travailleurs, jusque dans une fête foraine proche. Les soldats furent embarqués dans des camions vers 4 heures du matin. Une vingtaine d’arrestations furent suivies de procès d’urgence et de condamnations. Plusieurs soldats furent emprisonnés, l’Humanité du lendemain fut saisie dans tout le département sur ordre du préfet Robert Hirsch, qui devint peu de temps après directeur de la sûreté nationale. Le gouvernement fit annoncer des poursuites « pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État ». Mais, le lendemain après-midi, un puissant meeting eut lieu, organisé par le Parti communiste et la CGT. Le maire communiste de Petit-Quevilly fut suspendu de ses fonctions durant deux mois pour avoir apporté son soutien aux soldats.

Moins de trois mois plus tard, avaient lieu les élections législatives. Elles furent un succès important pour le Parti communiste, qui eut quatre élus dans le département. Ma première intervention de député fut d’interpeller le gouvernement Guy Mollet pour obtenir la libération de notre camarade Jean Meaux, l’un des rappelés, encore emprisonné. Ce fut le premier incident grave, le ministre quittant la séance en protestation contre mon intervention.

Le rappel de ces événements nourrit la réflexion nécessaire sur la justesse du vote des pouvoirs spéciaux en mars suivant, sur l’opportunité duquel je me suis déjà exprimé. Nous avons craint alors de ne pas être compris  ; il eût probablement mieux valu refuser et aller au-devant d’explications nécessaires.

(1) Il faudra bien un jour publier une histoire de 
cette activité dirigée par Raymond Guyot, secondé par Jacques Grosman, François Hilsum  ; activité à laquelle Claude Lecomte, Alfred Gerson et quelques autres prirent une part active. Y étaient actifs en Seine-Maritime 
Jean Malvasio, Jean-Pierre Engelhard, Marcel Baisnée.

Roland Leroy, dans L’Humanité du 9 octobre 2011

Complément Le refus de la guerre en Algérie

Les effectifs de l’armée française en Algérie passent de 50 000 hommes en octobre 1954 
à 65 000 en novembre 1954 (gouvernement de Pierre Mendès France) et à 80 000 début 1955. 
À partir de mai 1955 (gouvernement d’Edgar Faure), les réservistes sont rappelés et la durée 
du service militaire prolongée, pour atteindre trente mois en 1957 (gouvernement de Guy Mollet). 
De nombreuses manifestations de rappelés, soutenus par le PCF, la CGT et une partie de la population ont lieu. Le 11 septembre 1955, gare de Lyon, à Paris, 600 réservistes de l’armée 
de l’air refusent de monter dans le train pour Marseille. Le 7 octobre 1955, à Rouen, les soldats du 406e régiment d’artillerie anti-aérienne de la caserne Richepanse refusent d’embarquer. Le 18 mai 1956 à Grenoble, une manifestation contre la guerre est violemment réprimée (une cinquantaine 
de blessés, autant d’arrestations). D’autres manifestations se déroulent comme à Saint-Nazaire 
le 28 mai 1956, à Firminy le 31 mai 1956 mais aussi à Angers, Port-de-Bouc, Voiron, Brive,etc.


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