A gauche, le débat ne pourra pas faire l’économie de la stratégie face aux banques et au système financier international (interview de Jean-Luc Mélenchon dans Le Monde)

jeudi 19 janvier 2012.
 

Jean-Luc Mélenchon en est persuadé : face à la crise, il faut une rupture. Le candidat du Front de gauche - alliance du PCF, du Parti de gauche et de la Gauche unitaire - estime que la crise économique est " porteuse d’une crise de civilisation " sans précédent. Le défi de 2012 est donc de " hisser les réponses au niveau de l’enjeu ", assure le député européen, qui en fait " une exigence morale et politique ". Foin de compétition de personnes et de chapelles ; il faut des réponses pour sortir de la crise " la 5e puissance économique du monde ".

M. Mélenchon fustige la politique de Nicolas Sarkozy qui conduit, selon lui, à plonger le pays dans la récession. Il se démarque aussi des principaux leaders socialistes en dénonçant leur " logique de soumission " aux règles du marché.

Après l’échec du sommet européen, la dépression boursière se poursuit. Comment analysez-vous la situation ?

C’est tout le système qui est en crise. Mais, à cet instant, l’Europe a les moyens d’éteindre l’incendie spéculatif. Il suffit que la Banque centrale européenne (BCE) prête aux Etats aux taux où elle prête aux banques. Les Etats ne seraient alors plus obligés de faire appel aux marchés financiers à des taux prohibitifs. Ensuite, il faut instaurer l’harmonisation sociale et fiscale et le protectionnisme européen.

Je propose en particulier la mise en place des visas sociaux et écologiques pour toute marchandise entrant dans l’Union et l’instauration d’une souveraineté économique qui interdise les délocalisations dans tous les cas où cela aboutit à la perte d’un savoir-faire ou à la destruction d’une zone de production. Tel est le prix de la survie pour l’Union européenne. Sinon elle s’effondrera.

Vous ne croyez pas que les eurobonds peuvent être un moyen de sortir de la crise ?

C’est une solution de temps calme qui peut servir à financer les grands travaux ou des outils de développement. Pas en pleine crise spéculative : ils ne peuvent la juguler. Et puis c’est une dépendance de plus à l’égard des marchés.

La crise bancaire a révélé l’ampleur de l’endettement de la France. Comment s’en défaire ?

La dette est un prétexte. De même qu’on a attaqué les retraites en produisant des chiffres invraisemblables, la description de la dette ne cherche qu’à faire peur. Les indicateurs proposés nous présentent le stock de la dette française - 1 640 milliards d’euros - en rapportant cette somme à la richesse produite annuellement. C’est un calcul aberrant qu’on ne fait pour aucune entreprise ou ménage.

Imaginez qu’on compare ce que vous devez pour l’achat de votre appartement à votre revenu annuel ! Selon les statistiques du Trésor public, un titre de dette français a une durée moyenne de sept ans et trente et un jours. Il faut donc rapporter la dette française à la capacité de production du pays pendant cette durée : 14 000 milliards d’euros. Alors le stock de la dette rapporté au PIB sur sept ans est de 12 %.

Ce qui pèse, c’est le service de la dette, les 50 milliards payés chaque année par la France. Et là il n’y a aucun risque qu’il ne soit pas honoré car l’Etat collecte 250 milliards d’impôts par an.

Vous refusez toute règle d’or. Pourtant les socialistes semblent se résoudre à un retour à un déficit ne dépassant pas les 3 %...

Bien sûr que je suis contre ! C’est une règle rigide qui oblige à une purge sans précédent pour le pays. Le ralliement des socialistes à cette politique d’austérité est une capitulation sidérante.

Alors que le projet socialiste prévoyait un retour aux 3 % de déficit public sur une mandature, François Hollande a annoncé qu’il voulait ramener le délai à 2013 et Martine Aubry lui emboîte le pas. C’est la ligne Papandréou : aucune résistance face au capital et à la spéculation ! Ils ouvrent une fracture dans la gauche qui va la diviser.

Fort heureusement, il y a des voix qui s’opposent. J’ai entendu Europe Ecologie-les Verts, qui dénonce comme nous l’oligarchie ou la politique de la BCE. Ou le socialiste Arnaud Montebourg, dont la résistance est précieuse.

A gauche, le débat ne pourra pas faire l’économie de la stratégie face aux banques et au système financier international. Aucun engagement n’a de sens si on ne dit pas comment on va empêcher le système financier, par la dégradation de la note de notre pays, d’interdire toute politique autre que celle de l’austérité.

Mais il faut bien sortir de l’endettement. Comment faites-vous ?

Soit on comprime les dépenses, soit on augmente les recettes. La première solution, qui serait de réduire les dépenses de l’Etat de 50 milliards d’euros, signifie un appauvrissement général du pays et une contraction de l’activité économique - dans la mesure où l’Etat est le premier financeur -, donc une baisse de recettes et donc un endettement plus grand.

C’est ce qui arrive aux Grecs comme nous l’avions annoncé. Les voilà condamnés à une austérité sans fin. Ici, c’est pareil : les partisans de l’austérité sont en train d’annoncer au peuple une génération de sacrifices absurdes. Avec l’argument de la dette, les libéraux ont trouvé un moyen de surexploitation inouïe des peuples.

Comment trouvez-vous de nouvelles recettes en période de récession ?

En prenant l’argent là où il est : on augmente les impôts des plus riches et des grandes sociétés.

Premièrement, nous taxerons les revenus du capital comme le sont ceux du travail. Aujourd’hui, les revenus du travail sont imposés à 40 % contre 18 % pour ceux du capital. L’égalité de contribution de tous les revenus au bien commun est pour moi la piste centrale. Selon les prévisions de Patrick Artus, de Natixis, cela rapporterait 100 milliards d’euros supplémentaires, soit deux fois le service de la dette.

La deuxième piste, c’est l’augmentation très forte des tranches supérieures de l’impôt. Je rappelle que sous Roosevelt, la dernière tranche était taxée à 90 % et à 65 % en France en 1981. Aujourd’hui, elle est tombée à 40 % ! Je propose donc la création de quatorze tranches d’imposition (contre cinq aujourd’hui) et que la dernière tranche soit taxée à 100 %. Nous posons ainsi la règle qu’il y a une limite à l’accumulation. Cette dernière tranche toucherait les revenus de 360 000 euros annuels, c’est-à-dire 20 fois le revenu médian du pays et ne concernerait que 0,05 % des contribuables... Aucune société humaine ne peut vivre dignement si une partie de ses membres sont des prédateurs sans borne.

Enfin, l’harmonisation de la taxation des entreprises dans notre pays. Il n’est pas juste que les grands groupes du CAC 40 soient taxés au quart de ce que payent les petites sociétés. Avec ces propositions, je veux m’adresser à tous les productifs : les petites entreprises menacées de mort par les conditions léonines des prêts bancaires et l’asphyxie de l’activité économique. Et les salariés agressés dans leur quotidien par la politique d’austérité. Le Front de gauche s’adresse à tous pour protéger et développer notre France, celle du travail.

Propos recueillis par Sylvia Zappi


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message