Grèce : crise, agences de notation puis fascisme de 1930 à 1935

lundi 5 mars 2012.
 

La Grèce ne découvre pas la situation de poignardée par des agences de notation qu’elle connait aujourd’hui. Non. J’ai lu sous la plume de Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP-Europe, le récit d’un moment particulièrement fascinant de l’histoire de ce pays. La copie de cet article du Monde du 5 avril traine sur mon bureau depuis des semaines et des semaines et j’en reporte sans arrêt le résumé qui me permettra de le garder vraiment en mémoire. Dans l’Europe des années 1930, la Grèce a déjà été la victime des agences de notation. Cela parait à peine croyable. Voici le récit de Jean-Marc Daniel. On en est saisi d’effroi ! Ainsi les grands de ce monde savent tous que toute cette manœuvre a déjà été utilisée une fois ! Et ils en connaissent les conséquences !

« En 1930, en effet, le Trésor américain reproche à ces agences de n’avoir pas vu venir les faillites en chaîne des banques et la crise boursière de l’automne 1929. Celles-ci entreprennent de ce fait d’élargir leur champ d’action des entreprises aux Etats. Elles ont toutefois conscience que les dettes internes – celles exprimées dans la monnaie des Etats – ne doivent pas être notées, car les banques centrales, en tant que prêteurs en dernier ressort, sont là pour les monétiser et éviter la banqueroute. Elles notent donc les dettes en dollars et en livres sterling. Mais la chute des cours des matières premières provoque dans certains pays, notamment latino-américains, des déficits commerciaux qui assèchent leurs réserves en devises. Fin 1930, les agences baissent la note du Brésil et de la Bolivie et, en janvier 1931, la Bolivie fait défaut. Dans les couloirs des administrations de Washington, on reproche aux agences de se concentrer sur la zone américaine et d’ignorer l’Europe. Moody’s réagit au quart de tour et repère l’homme malade de l’Europe : la Grèce. A Athènes, le premier ministre est Elefthérios Vénizélos, leader du centre gauche et héros national depuis qu’il a associé la Grèce à la victoire des Alliés dans la première guerre mondiale.

Redevenu premier ministre en 1928 dans une Grèce républicaine depuis 1923, il mène une politique de réformes économiques fondée en particulier sur la réduction du nombre de fonctionnaires et l’augmentation des investissements publics. A l’opposition monarchiste qui l’accuse de ruiner l’Etat, il répond par la distinction entre la « bonne dette qui prépare l’avenir » et la mauvaise qui sert à payer des fonctionnaires, et qu’il a su écarter. Sauf que Moody’s ne l’entend pas de cette oreille et dégrade la Grèce. Le résultat ne se fait pas attendre : les taux d’intérêt grimpent, les capitaux fuient, la Société des nations refuse son concours. Le 25 avril 1931, Vénizélos impose un strict contrôle des changes. Quelques bons esprits lui conseillent de dévaluer la drachme pour relancer la croissance, accroître les exportations et permettre à l’Etat grec de trouver les devises dont il a besoin pour honorer ses engagements extérieurs. Il s’y résout et laisse la drachme suivre à l’automne 1931 la livre sterling dans sa chute par rapport au dollar.

Le 1er mars 1932, la Grèce, dont la dette en dollars a explosé du fait de la dévaluation, fait défaut. Les victimes de ce défaut sont d’abord les banques françaises et italiennes. Puis la population grecque : gangrenée par l’inflation due à la dévaluation, l’économie fragile du pays part à vau-l’eau, les émeutes se multiplient, et Vénizélos perd les élections fin 1932.

La monarchie est restaurée en 1935 et, en 1936, le général Metaxas s’empare du pouvoir par un coup d’Etat débouchant sur une répression brutale des syndicats et de l’extrême gauche. En 1940, quand Mussolini lance ultimatum sur ultimatum à Athènes, il réclame entre autres le remboursement des sommes annulées, avant d’attaquer la Grèce le 28 octobre. Entre-temps, Moody’s a été prise d’une sorte de vertige face au drame grec. En 1936, ses dirigeants expriment leur regret sur ce qui se passe et annoncent qu’ils arrêtent de noter les dettes publiques. Fitch suit en annonçant qu’elle cesse de noter… la dette allemande. » Et voici la conclusion de la main de l’auteur et non de la mienne : « Le temps passe. En 1975, les Etats se lancent dans une nouvelle vague d’endettement : les notations de leurs dettes reprennent, et la Grèce en fait les frais… »


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