(Mauvais) conte de Noël Par Jean-Pierre Rozenczveig ( Juge des enfants au Tribunal de Bobigny)

samedi 23 décembre 2006.
 

Ambiance Noël au tribunal de Bobigny en cette fin d’après midi de vendredi. Une fin de semaine un peu particulière. On est loin du Noël chaleureux et festif, c’est le moins qu’on puisse dire, quand vers 17 h j’appelle la situation M. qui va rapidement tourner au scénario-catastrophe.

Ma greffière me fait observer que je dois me hâter car des parents sont détenus et doivent donc attendre au dépôt que je les fasse extraire. Je sors d’une situation déjà délicate où j’ai amené une mère espagnole détenue pour deux ans à accepter que je confie son enfant de 4 ans le temps de sa détention au père dont elle est séparée depuis des années.

Premier problème : Mr. M. n’est pas présent au Dépôt quand je demande à ce qu’on le fasse monter. On ne sait pas pourquoi il manque à l’appel en provenance de Villepinte. En revanche, sa femme s’y trouve bien . Deux policiers la conduise dans mon cabinet. Ils la démenotte. Une jeune femme fragile dans un vêtement d’hiver certes, mais relativement léger pour la saison.

Deuxième problème : elle ne parle pas un mot de français ni d’anglais et l’interprète solicité n’est pas présent. La femme policier parle bien arabe, mais n’est pas sûre d’être comprise. Ma greffière a l’idée d’aller chercher l’un des personnels de l’accueil. Bingo, elle revient avec l’homme idoine.

Troisième problème : l’aide sociale à l’enfance n’est pas présente, ni excusée. A fortioiri les deux enfants M. sont absents. Le petit garçon aura deux ans le 1er janvier 2007, la fillette a quatre ans et demi. Ils sont au foyer de l’enfance.

Le dossier judiciaire est scandaleusement vide : le parquet a bien pris il y a un mois une ordonnance de placement des enfants à l’aide sociale à l’enfance, mais on ne sait toujours pas pourquoi. Sa décison n’est pas motivée. Aucune enquète de police. Au vu d’une référence à la PAF sur l’ordonnance du parquet et sachant que j’ai à faire à des parents palestiniens, j’en déduis que l’on tourne autour d’une infraction au séjour. Mais pourquoi ces gens sont-ils passés devant le tribunal, d’habitude on recourt à la rétention administrative et on tente d’expulser les interessés. Là, on pourrait croire que ces personnes ont refusé de partir et donc on les a condamnés. Mais ce n’est qu’une hypothèse.

Effectivement, la jeune femme me confirme avoir été condamnée à un mois de prison, ainsi que son mari.

Elle dit sortir demain samedi. Mais lui où est-il ? Elle avait l’argent et lui le contact. Ils sont aujourd’hui séparés.

Coup de fil à la prison de Villepinte : il est sorti hier .. sans laisser d’adresse !!!! Villepinte et Fleury ne décomptent pas de la même manière un mois de prison.

L’inspectrice ASE de permanence jointe au téléphone n’a aucune information utile. Aucun rapport social n’est au dossier judiciaire, comme s’il ne s’était rien passé depuis un mois que les enfants sont à l’ASE. L’inspectrice va donner des instructions pour que la mère voit les enfants pendant ce week-end de Noël ! Mardi on verra pour joindre la Croix Rouge me dit-on ! Il faudra préparer la restitution des enfants à leur mère.

Avec mes deux interprètes improvisés j’interroge la jeune femme : ils allaient en Allemagne, mais lui seul avait le contact avec l’oncle qui devait les recevoir ; elle a bien 300 dollars sur elle mais lui n’a pas d’argent. Elle dit n’avoir aucun moyen de joindre quiconque en Palestine.

On est au coeur du problème : cette femme est seule, incarcérée et libérable demain avec 300 malheureux dollars, son mari disparu et sans argent, les enfants sont confiés à l’ASE. Apparemment rien n’a été fait pour mettre ces deux parents en relation, pour prévoir leur sortie et leur permettre de recupérer leurs enfants.

Et si on regarde de près , on les a punis d’un mois de prison pour avoir voulu rentrer sur le territoire européen, cette sanction effectuée ils peuvent circuler quitte à ne pas disposer de titre de séjour régulier !

Dossier judiciaire vide, manque d’humanité minimum, incohérence ... mais surtout manque total de perspectives. Que va-t-il advenir pour ces deux parents aujourd’hui séparés et pour leurs enfants ? Sans vraiment y parvenir, Madame essaie régulièrement de pleurer au fure et à mesure où nous explorons sa situation. Elle est convaincue que je ne lui rendrai pas ses enfants. Je la rassure.

Pour autant, les deux policiers, l’interpréte, ma greffière et moi sommes dans la perplexité la plus complète : que décider ? que lui proposer ? Toutes les pistes explorées débouchent sur des impasses. Au fur et à mesure chacun se met dans le bain pour refléchir à la solution à trouver pour venir en aide à cette frêle et finalement très jeune femme, mais le sentiment d’impuissance l’emporte et inexorablement l’heure avance en vendredi soir : 18 h , 18 h 30, 19h ... et rien toujours pas d’issue.

Il faudrait que le père se manifeste, mais sans argent, ne parlant pas français et sans savoir où sa femme se trouve que peut-il faire ? Peut être a-t-il joint son contact en Allemagne qui est venu le chercher ? Mais pourquoi n’a-t-il pas chercher à savoir où était ses enfants ? Le lui a-t-on dit durant sa détention comme on se devait de le faire ? Apparemment on l’a laissé sortir sans soutien ni orientation. Et quand on pense qu’il était détenu à quelques centaines de mètres du foyer où étaient ses enfants ! L’a-t-il su au moins ?

Un week-end prolongé s’annonce qui sera un grand moment de joie pour beaucoup de familles. Apparemment pas pour cette petite famille M. éclatée en région parisienne. Qui va accueillir Madame ? Ses 300 dollars constituent un bien maigre matelas. Qui va l’aider durant ces trois longs jours où l’ambiance sera plus à festoyer qu’à gérer la misère humaine ? Une immense machine administrative et judiciaire semble avoir - provisoirement - broyé cette famille

Seule piste : permettre à cette femme de revoir rapidement ses enfants et pourquoi pas dès demain. Mais comment peut-elle imaginer se rendre de Fleury à Villepinte ? Le greffe de Fleury joint propose de mobiliser les Petites Soeurs pour la conduire au foyer auprès de ses enfants. Un petite lueur apparaît.

Regulièrement la jeune femme demande si elle peut reprendre ses enfants.

Dit-elle la vérité ? Est-elle vraiment dans l’incapacité de joindre un proche ou son mari ? Elle semble sincère. Mais qui sait ?

Je lui donne des numéros de téléphone à joindre durant le week-end. Le foyer de l’enfance et le juge des enfants de permanence avec, par chance, le nom d’une greffière également de permanence qui parle arabe.

Si elle retrouve son mari ou l’adresse où se rendre à Berlin nous donnerons immédiatement main-levée .

Grand moment d’émotion, au moment de sortir de la pièce ma greffière s’avise de la tenue somme toute légère de Mme M. au regard de la température extérieure. La femme policier confirme que Mme M. n’a pas d’autres vétements à disposition. Ma greffière prend alors l’initiative de lui offrir son grand châle noir en lui mettant autour du cou. Les deux femmes tombent dans les bras ; les deux policiers sont d’autant plus dans l’émotion que le règlement veut qu’ils remenottent Mme M. Réglement, règlement ! On touche à l’incongru.

Bref, une bonne dose de révolte à la veille des dégoulinades de Noël ! L’optimisme veut de penser que la famille M. ayant relativement touchée le fond, les jours à venir ne peuvent qu’être meilleurs. M. M. peut réapparaître ; le nom de l’oncle de Berlin peut se réécrire dans la mémoire de Mme M. ou apparaître associé un numéro téléphone sur un annuaire quelconque de Berlin.

On peut croire aussi aux miracles de Noêl ! On peut déjà se dire que deux enfants retrouveront demain leur mère perdue depuis un mois. Un beau cadeau de Noël pour deux loupiots palestiniens égarés au fin-fond du 93 !

(La suite et la fin de ce mauvais conte peut être avant 2007)


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