Portraits de communards Édouard Vaillant (1840-1915) L’ homme de l’école laïque, gratuite et obligatoire (20)

dimanche 10 janvier 2016.
 

21 décembre 1915 Mort d’Edouard Vaillant

« La Commune l’avait saisi tout entier », écrit de lui dans les colonnes du journal, Marcel Cachin, directeur de l’Humanité, ce 21 décembre 1915, jour de l’enterrement d’Édouard Vaillant, alors qu’à quelques centaines de kilomètres de là l’on se massacre entre Français et Allemands depuis plus d’un an. Mais Vaillant, à la Commune de Paris de 1871, cela aura été moins le fusil et la barricade – même s’il s’est engagé au 88e bataillon de la garde nationale au moment du siège de Paris par les troupes prussiennes de Bismarck –, que l’école gratuite, laïque et obligatoire.

Vaillant est l’un des intellectuels de la Commune. Ancien interne au lycée privé Sainte-Barbe à Paris (1848-1857), il obtient son baccalauréat « ès sciences » à l’âge de dix-sept ans. Il entre à l’École centrale et en sort en 1862 avec le diplôme d’ingénieur des arts et manufactures. Il poursuit ses études, prépare une thèse de médecine et une autre de science. Docteur en médecine, en 1866, il part faire des études de philosophie de l’autre côté du Rhin. Il en revient au déclenchement de la guerre de 1870. Il assiste au congrès de Lausanne et adhère à l’Association internationale des travailleurs fondée par Marx.

Il prend part à l’insurrection parisienne du 4 septembre 1870, devient membre du comité de défense constitué par la section française de l’Association internationale des travailleurs, membre du comité central des vingt arrondissements parisiens, contribue à la création de la Ligue de défense à outrance (novembre 1870) et il est l’un des promoteurs de la réunion générale de la garde nationale. C’est à cette époque qu’il noue des relations avec Blanqui, dont il deviendra un fidèle admirateur. Face aux hésitations et aux atermoiements de certains, il s’affirme comme l’un des dirigeants les plus déterminés de l’insurrection parisienne. Le 5 janvier 1871, il est des quatre rédacteurs de l’Affiche rouge qui appelle à la formation de la Commune de Paris.

Le 21 avril, il devient le délégué à l’enseignement de la Commune. Dès le 23, il décide de s’entourer de « toutes les personnes qui ont étudié la question de l’enseignement intégral et professionnel » et associe à son activité le peintre Gustave Courbet, l’écrivain Jules Vallès, le militant laïque Jules Miot, l’instituteur Augustin Verdure et le poète et chansonnier Jean-Baptiste Clément. La commission se préoccupe avant tout du recrutement des maîtres du primaire, avec le souci de libérer les écoles communales de la poigne de fer du clergé. Dans une circulaire adressée aux municipalités de la capitale, Vaillant y précise bien qu’« il est essentiel surtout qu’il soit pourvu dans les écoles communales et dans un bref délai au remplacement du personnel religieux par un personnel laïque très actif et très dévoué ».

L’idée laïque est très forte chez les Communards. Ainsi, la commission à l’enseignement de la mairie du 20e arrondissement de Paris propose à « l’autorité 
les dispositions suivantes »  : « L’enseignement public est délivré de tout ce qui est contraire à sa sincérité, à sa loyauté, à sa véracité (…). L’enseignement religieux demeure exclu dans l’enseignement public. » Le 16 avril 1871, le 3e arrondissement, après avoir chassé tous les congréganistes des écoles de l’arrondissement informe les parents d’élèves « qu’à l’avenir toutes les fournitures nécessaires à l’instruction seront données gratuitement ». La mairie du 10e prévient le public que « tous les enfants de six à quinze ans, quelles que soient leur nationalité et la religion qu’ils professent, seront admis » à l’école. Pour autant, le projet a bien du mal à s’appliquer. C’est ainsi que dans ses Mémoires d’un communard, Jean Allemane raconte qu’à l’école des filles de la rue des Bernardins, « des mégères envahissaient les classes, se ruaient sur les institutrices, leur relevaient les jupes, les fouettaient jusqu’au sang. Et cela pour la plus grande gloire de la sainte religion ».

Vaillant a en outre deux autres préoccupations. Il entend multiplier les écoles de filles et veut rénover le contenu de l’enseignement, l’ouvrir à la formation aux techniques modernes. De sa formation d’ingénieur et de sa fréquentation de l’Association internationale des travailleurs, il en tire l’idée de mettre sur pied un enseignement polytechnique. Pour lui, l’école doit assurer « à chacun la véritable base de l’égalité sociale, l’instruction intégrale à laquelle chacun a droit, et lui facilitant l’apprentissage et l’exercice de la profession vers laquelle le dirigent ses goûts et ses aptitudes ». Dès le 6 mai, le délégué à l’enseignement fait placarder sur les murs de la capitale un avis annonçant que, dans un établissement jusque-là tenu par les jésuites et possédant l’équipement nécessaire, ouvrira la première école professionnelle. Le 21 mai, l’ouverture des portes est annoncée pour le lendemain au no 18 de la rue Lhomond, dans le 5e arrondissement. Elle ne se fera pas. Ce jour-là les versaillais entrent dans Paris.

Vaillant parvient à s’enfuir, gagne Londres où il siège au Conseil général de l’Internationale. Le 22 juillet 1872, Vaillant est condamné à mort par le conseil de guerre de Versailles. Entré en relation avec Marx, il commence à être influencé par le marxisme qui va supplanter le proudhonisme, jusque-là prédominant dans ses idées sociales. En 1880, après l’amnistie, il revient à Paris et fonde avec Blanqui le journal Ni Dieu ni maître  ! En 1884, il est élu conseiller municipal de Paris pour le quartier du Père-Lachaise puis, en 1889, député du 20e arrondissement, siège qu’il occupera jusqu’à sa mort. De l’affaire Dreyfus à la déclaration de guerre, en 1914, il sera l’adepte d’un socialisme radical avant de s’égarer, lui aussi, dans les marécages de l’union sacrée en faveur de la guerre, après l’assassinat de Jaurès.

Ingénieur, docteur en médecine, philosophe, cet intellectuel de la Commune voyait dans l’école « la véritable base de l’égalité sociale ».
Il voulait multiplier les écoles de filles.

Pierre Ivorra

B) Édouard Vaillant  : patrie et Internationale, République et révolution

HISTOIRE

Vendredi, 4 Décembre, 2015 L’Humanité p19-histoire_ven.jpg Édouard Vaillant (au centre) fut l’un des grands noms du socialisme français de l’avant-1914, mais il reste méconnu (1840-1915). Photo : Albert Harlingue/Roger-Viollet Le plus grand honneur de cet infatigable militant socialiste fut de participer à la Commune 
de Paris. Il consacra toute son existence à transformer profondément la société. À la fin de 
sa vie, son ralliement à l’Union sacrée en 1914 a sans doute durablement affecté son image.

Vaillant fut un des grands noms du socialisme français de l’avant-1914, mais il reste méconnu. Sans doute était-il un homme modeste, parfois timide, orateur moyen  ; mais c’est son ralliement à la défense nationale, en 1914, qui a souvent affecté son image. On ne saurait ici évoquer tout ce que pensa et fit Vaillant. Il fut socialiste, républicain, révolutionnaire, patriote, internationaliste, unitaire, ouvert aux autres et ferme sur ses idées. Ainsi il fut un des plus chauds partisans de la totale indépendance du syndicalisme, tout en défendant la primauté du parti dans l’action politique. Ainsi fut-il un athée convaincu, et matérialiste attaché tant à la laïcité la plus radicale qu’à l’humanisme qui lui paraissait indissociable de l’idéal socialiste.

Beaucoup vient sans doute du double attachement de Vaillant au Berry et à Paris. On ne peut s’étendre ici sur la Commune (voir notre article dans l’Humanité du 6 mars 2015), mais cette expérience fut décisive pour Vaillant. Lors d’une séance à la Chambre en 1894, il déclara  : «  Le plus grand honneur de ma vie, c’est d’avoir participé à la Commune…  » Ainsi, jamais Vaillant n’a reculé sur l’objectif de transformation sociale profonde, auquel il avait adhéré sous la double influence – complexe – de Marx et Blanqui. Jamais, il ne cessera de dire que l’objectif du socialisme, c’est «  la suppression du régime et de l’État capitaliste, qui achèvera l’émancipation concrète du prolétariat  » (1908). En même temps, Vaillant pense que toutes les conditions qui peuvent permettre d’avancer sont bonnes à prendre. On le voit en 1899, où il s’abstient lors du vote de confiance au gouvernement de Waldeck-Rousseau (qui comprenait pourtant Gallifet, un des bourreaux de la Commune  !) pour que celui-ci puisse s’installer. C’est que, pour lui, la République, «  même nominale  » comme il dit, est une de ces conditions fondamentales de l’avancée socialiste.

On pourrait multiplier les cas de Vaillant soutenant les projets qui constituent des marches vers la démocratie et le socialisme. Et l’école professionnelle d’art industriel pour jeunes filles créée par Vaillant sous la Commune en est un des premiers signes. Un autre exemple de la méthode Vaillant  : en pleine «  grande dépression  », en 1885, Vaillant analyse la crise comme tenant fondamentalement au régime capitaliste, puis il propose «  des mesures palliatives urgentes  » tendant à «  augmenter la faculté de consommation des travailleurs  », mais aussi à prévenir «  les excès de la production, à la proportionner aux facultés et besoins  ». Mais pour lui ces mesures ne peuvent être prises dans un seul pays et il demande d’urgence une législation internationale du travail qui comprendrait la journée de huit heures.

Revenons à cette question clé. En 1904, Édouard Vaillant écrit  : «  Il n’est rien qui ne soit préférable à la guerre. Plutôt l’insurrection que la guerre  !  » Mais, le 2 août 1914, il déclare que «  les socialistes accompliront leur devoir, pour la patrie, pour la République, pour la révolution  ». L’écart semble immense entre ces deux affirmations. Pour autant la continuité de la pensée de Vaillant depuis la guerre de 1870 est forte. Lors d’une enquête de 1905, sur le thème «  Socialisme et patriotisme  », que répond Vaillant  ? «  La nation telle que sa formation et son histoire la déterminent est un élément essentiel du progrès humain.  » Et  : «  Un socialiste ne pourra admettre (…) qu’une des nations puisse (…) être menacée, attaquée, spoliée, mutilée, dominée par un État, par une autre nation (…). » Lorsque la question devient concrète  : «  Il n’y a pas de formule, a priori, qui dicte au socialisme, au prolétariat leur attitude (…) en toute occurrence.  » De là découle sa position  : tout faire pour la paix, mais une nation agressée doit pouvoir se défendre/s’adapter aux circonstances. Ainsi, en 1910, devant la menace de la guerre, Vaillant propose au congrès de l’Internationale, avec Keir Hardie, ce célèbre amendement, qui fut renvoyé  : «  Entre tous les moyens à employer pour prévenir et empêcher la guerre, le Congrès considère comme particulièrement efficace  : la grève générale ouvrière, surtout dans les industries qui fournissent à la guerre ses instruments…  »

On sait que le congrès du Parti socialiste français, 
de juillet 1914, adopta cette proposition, enrichie par Jaurès. Ainsi Vaillant a-t-il d’abord le sentiment que le socialisme français a tout fait pour éviter la guerre  ; puis quand viennent les jours tragiques de l’été 1914, il a le sentiment que c’est le seul militarisme allemand qui porte la responsabilité de la guerre. Mais, sans doute, peut-on dire que Vaillant a ignoré largement l’évolution de l’impérialisme, que la guerre révèle aussi des tensions économiques nouvelles. Il s’en trouve d’autant plus en porte-à-faux avec la jeune opposition qui se développe.«  Oh, cette guerre, c’est l’écroulement de tout mon être  », déclare-t-il quelques jours avant sa mort, en 
décembre 1915.Le plus grand hommage lui vint alors de Rosa Luxemburg  : «  J’ai profondément et sincèrement vénéré ce vieillard, et mon sentiment à son égard demeure, malgré tout, inaltéré.  » (1) Le 9 décembre 2015 aura lieu une journée d’études Édouard Vaillant à l’hôtel de ville de Paris. Inscription obligatoire par mail, à journeevaillant@laposte.net. 
Le programme détaillé sur le site www.commune1871.org

Jean-Louis Robert, historien

Une chronologie expresse

29 janvier 1840  : naissance à Vierzon, d’un père notaire.

1862  : ingénieur de l’École centrale.

1862-1866  : études 
de sciences et de médecine.

1864  : s’engage dans l’action républicaine et socialiste.

4 septembre 1870. 
Édouard Vaillant prend 
part à l’insurrection parisienne puis participe aux soulèvements en octobre 1870 
et en janvier 1871.

5 janvier 1871. Il est des quatre rédacteurs de l’Affiche rouge, qui appelle à la formation d’une Commune à Paris.

1871  : élu à la Commune, 
en sera le «  ministre  » de l’Enseignement.

1871-1880  : 
exil à Londres.

1881  : fonde le Comité révolutionnaire central, qui deviendra le Parti socialiste révolutionnaire. 1884-1893  : conseiller municipal de Paris.

1893-1915  : député de Paris.

1899  : opposition au ministérialisme. 


1901  : fusion du PSR et du POF en une Union socialiste révolutionnaire qui deviendra Parti socialiste de France.

1905  : actif partisan de l’unité socialiste. 1910  : 
présente à la IIe Internationale un texte en faveur de 
la grève générale contre la guerre.

2 août 1914  : se rallie à l’Union sacrée.

18 décembre 1915  : mort à Paris.


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