Que re-vive la République !

mercredi 23 septembre 2015.
 

21 septembre 1792 2015 (Christian Picquet, Gauche Unitaire)

Je m’arrête ici sur un événement dont, significativement, nos élites auront négligé la célébration. Il aura pourtant marqué l’histoire de ce pays jusqu’à nos jours. Je veux parler du 21 septembre 1792, lorsque sous l’impulsion du petit peuple des faubourgs et des campagnes, préfiguration de ce qui ne devait pas tarder à devenir le prolétariat moderne, la Convention mettait un terme au despotisme royal pour proclamer la République.

225 ans après, le souffle de ce « lever de soleil révolutionnaire », comme le vieil Hegel baptisa un jour notre Grande Révolution, n’aura cessé d’agiter chaque soulèvement populaire contre l’oppression, chaque bataille pour l’émancipation. L’humain placé au cœur de l’action publique… La liberté cessant de se confondre avec le calcul égoïste des privilégiés de la naissance et de la fortune pour se réaliser pleinement dans le principe d’égalité… La fraternité et la solidarité assurant la cohésion d’une construction politique mise au service de l’intérêt général, autrement dit de celui du plus grand nombre… L’individu réconcilié avec le collectif en devenant citoyen, et libéré de sa servitude par le double truchement de l’objectif de justice sociale fixé à la société et de l’intervention volontaire de la puissance publique… Peut-on imaginer plus grande modernité ?

Depuis ses origines, le mouvement ouvrier y aura trouvé sa première source d’inspiration. Ses grands penseurs, Karl Marx et Friedrich Engels en tête, y auront puisé les éléments constitutifs de leur pensée politique, y louant les « idées qui mènent au-delà des idées de l’ancien ordre du monde » (Karl Marx, La Sainte Famille). Ses plus éminentes figures, à commencer par Jean Jaurès, en auront retiré l’intuition stratégique qui, partant du constat que la Révolution française était restée inachevée dans ses limites bourgeoises, se fixe pour objectif de la pousser « jusqu’au bout », jusqu’à cette République sociale s’affranchissant du respect du droit capitaliste de propriété et récusant toute déférence envers l’absolutisme patronal, la production elle-même ayant à être reconfigurée « selon le type républicain » (Jean Jaurès, Discours à la jeunesse). Ses grands moments d’affirmation auront tous, sans exception, remis à l’ordre du jour l’unité nécessaire de la démocratie politique et de l’égalité sociale : de la Commune de Paris relevant la République que des possédants effrayés par son potentiel révolutionnaire avait abandonnée à la faveur d’une guerre, à la grève générale de Juin 36 revendiquant d’un même mouvement le pain et la liberté ; d’une Libération dont la fameuse charte du Conseil national de la Résistance avait tracé en pointillé la dynamique sociale, au combat sans cesse recommencé pour la laïcité ; de l’explosion soixante-huitarde (au cours de laquelle « le citoyen, ouvrier, étudiant ou artiste, s’est fait connaître de cette sphère de politiciens technocrates peu réceptifs aux attentes de leurs électeurs », comme l’écrivit si bien Christine Fauré, dans son ouvrage Mai 68 en France, ou la révolte du citoyen disparu, aux éditions Les Empêcheurs de penser en rond) aux foules innombrables descendant dans la rue ou se mobilisant dans un référendum auto-organisé contre le dépeçage de services publics indissociables dans leur esprit de l’exercice de la démocratie et de la souveraineté populaire ; sans parler des innombrables engagements des dernières décennies contre tous les obscurantismes, le racisme, les réminiscences du fascisme, les ségrégations de toute sorte…

HAINE… DE CLASSE

Loin de l’image du dictateur aux tendances délirantes qu’une certaine historiographie cherche à lui accoler, depuis François Furet, pour mieux légitimer son ralliement à la pensée néolibérale dominante, Maximilien Robespierre avait jeté les fondements de cette permanence d’un fait républicain à la charge subversive sans cesse réamorcée. Dès le 25 janvier 1790, devant l’Assemblée constituante, il s’exclamait : « La loi est-elle l’expression de la volonté générale lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peuvent concourir, en aucune manière, à sa formation ? » Tout avait été résumé. C’est sans doute ce qui faisait écrire, près d’un siècle plus tard, le 1° novembre 1869 très précisément, à un Ernest Renan bien peu enflammé par un tel héritage, que « la Révolution est un événement si extraordinaire que c’est par elle qu’il faut ouvrir toute une série de considérations sur les affaires de notre temps. Rien d’important n’arrive en France qui ne soit la conséquence directe de ce fait capital, lequel a changé profondément les conditions de la vie de notre pays ».

Point n’est besoin de chercher plus loin l’origine de la haine inexpugnable de tout ce que ce pays compte de décideurs, d’Importants, d’élites installées ou de possédants envers l’immense secousse ayant fait bifurquer le destin de l’Europe à la fin du XVIII° siècle. D’un Hyppolyte Taine dépeignant le « parti jacobin » de 1793 comme le rassemblement du « rebut humain qui infeste les capitales » et d’une « canaille épileptique et scrofuleuse », à un Jean-François Copé se désolant au cours de la dernière campagne électorale que le peuple français baignât toujours dans le souvenir nostalgique de cette Nuit du 4 Août ayant aboli les privilèges ; de Bonaparte tenant à faire inscrire dans sa Constitution de l’an VIII que la Révolution était bel et bien « finie », à ce grand commis de la finance ayant un temps tenu les rênes du Medef, Denis Kessler pour ne pas le nommer, demandant que l’ère Sarkozy entreprît de « défaire méthodiquement » le Pacte social de la Libération (lequel avait justifié que l’on introduisît dans le préambule de la Loi fondamentale la reconnaissance de ces exigences que la Révolution avait regroupées sous le concept de « droit à l’existence »)… De Vichy ayant fait disparaître le triptyque républicain du fronton des bâtiments nationaux, à Le Pen père ayant placé l’ascension de son Front national sous l’égide de sa détestation de la notion d’égalité en vertu des « hiérarchies », des « préférences » et des « inégalités » distinguant les hommes entre eux…

L’ÈRE DE L’ARGENT-ROI ET DES DISCRIMINATIONS

Rien d’étonnant, à dire vrai, à ce que la ligne de fracture traversant la société française depuis la naissance de la I° République n’ait jamais été comblée, et même qu’elle se révèle présentement plus profonde que jamais. Ce que l’on a, à juste titre, désigné comme un « nouvel âge » du capitalisme a, en effet, vu le triomphe d’une nouvelle aristocratie, une aristocratie de l’argent retranchée à la tête des banques ou des fonds d’investissement, déployant son emprise à l’échelle de la planète tout entière sous les auspices de la mondialisation néolibérale. Sous l’impact des politiques de casse de l’État social, de dérégulation généralisée, de privatisation de tous les secteurs de l’économie relevant encore d’une gestion publique, de dumping fiscal, les inégalités se sont accentuées comme jamais depuis la Deuxième Guerre mondiale. Rien que dans notre Hexagone, entre 1998 et 2005, sur sept années seulement donc, les revenus des 1% les plus riches ont augmenté de 32%, les 01% les plus fortunés ayant même vu gonfler leurs portefeuilles de… 43%. Tandis que huit millions, au moins, d’hommes et de femmes doivent survivre avec 950 euros par mois, la moyenne de rémunération des cadors du CAC 40 atteint le niveau record de… quatre milliards d’euros. Nous vivons une époque où l’écart des revenus en revient à ce qu’il était… en 1785.

Dans le même temps, la démocratie régresse aussi rapidement que progresse le pouvoir absolu des « marchés ». Les États voient progressivement s’évanouir leurs souverainetés, leurs élus se trouvent dépossédés de tout moyen de peser sur les choix économiques et sociaux dont ils ont en théorie la charge, le suffrage populaire s’avère vidé de sa substance dès lors que la finance impose partout les mêmes critères, tendant en fin de compte à soustraire le capital à tout contre-pouvoir politique, à toute norme sociale progressiste, à toute régulation. Dans son dernier ouvrage, Joseph Stiglitz, le célèbre prix Nobel d’économie, trouve les mots justes pour décrire un authentique défi de civilisation : « De plus en plus, ce sont pas seulement les emplois qui sont délocalisés, mais aussi, en un sens, la politique. (…) La capitulation devant les diktats des marchés financiers ne concerne pas seulement les pays au bord du désastre, mais également tous ceux qui doivent lever de l’argent sur les marchés des capitaux. Si le pays en question ne fait pas ce qui plaît aux marchés financiers, ceux-ci le menacent de baisser sa note, de retirer leur argent, d’augmenter les taux d’intérêt sur ses prêts ; ces menaces sont en général efficaces. Les marchés financiers obtiennent ce qu’ils veulent. Il peut y avoir des élections libres, mais les options présentées aux électeurs ne leur laissent aucun choix réel sur les questions dont ils se soucient le plus – les problèmes économiques. (…) Quand la mondialisation ne circonscrit pas la démocratie par des accords mondiaux ou dans le cadre d’un ‘’renflouement’’ international, elle le fait par la concurrence. (…) Le domaine où la démocratie est la plus circonscrite, c’est la fiscalité, notamment la conception de systèmes fiscaux qui réduisent l’inégalité. Ce qu’on appelle la ‘’concurrence fiscale’’ – la course à l’impôt le plus faible entre les collectivités publiques – limite le champ de l’impôt progressif. » (Joseph Stiglitz, Le Prix de l’inégalité, Les liens qui libèrent).

Qu’ajouter à cet accablant constat ? Rien, si ce n’est, peut-être, que c’est dans cet univers glacé, sur fond de perte de repères et de démoralisation de secteurs entiers des populations, que se défont des solidarités mises au défi de l’essor des replis individualistes ou des pulsions identitaires, que s’épanouissent les pires régressions et les discriminations les plus odieuses, que renaissent d’un pays à l’autre les tentations autoritaires et les idéologies intégristes.

Ce n’est pas pour rien que le Front de gauche aura placé son programme, L’Humain d’abord, sous le signe de la refondation républicaine de la France, d’une VI° République mettant à bas une monarchie présidentielle dont les dérives ont totalement perverti la vie publique, du rétablissement de la souveraineté du peuple dans l’ensemble des domaines dont dépend son avenir, d’une révolution démocratique donnant à la communauté des citoyens le pouvoir de mettre au pas l’oligarchie comme de restaurer l’égalité politique et sociale, de la réorientation de l’Europe par la restauration de la démocratie et sur des critères répondant prioritairement à l’intérêt général. Il était par conséquent normal, pour ne pas dire indispensable, qu’il participât ce 22 septembre, place du Panthéon à Paris, aux côtés de la Société d’études robespierristes, à la célébration du 222° anniversaire de l’acte historique de la Convention révolutionnaire. Il est en revanche préoccupant qu’il ait, dans les faits, été à gauche le seul à vouloir entretenir la mémoire de ce qui constitue le mur porteur de l’identité réelle de ce pays…


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