20 et 21 juillet 2001 : Quand l’Etat italien lâche sa police pour casser les mobilisations altermondialistes

lundi 28 février 2011.
 

Gênes 2001 : dix ans après, la mémoire indignée ANTENTAS Josep Maria, VIVAS Esther 15 juillet 2011 n°22389 Cela fait dix ans maintenant qu’a eu lieu le sommet du G8 à Gênes, en juillet 2001, où s’écrivit une des pages les plus significatives de l’histoire du mouvement altermondialiste. Les protestations de Gênes ont représenté un moment culminant dans la phase de croissance linéaire de ce mouvement depuis la Rencontre ministérielle de l’OMC de novembre 1999 à Seattle, qui avait ouvert un nouveau cycle international de mobilisations. Gênes se déroula peu de temps après la tenue du premier Forum Social Mondial de Porto Alegre, en janvier 2001, sous le slogan désormais célèbre d’“Un autre monde est possible” et dont la pertinence est encore plus évidente aujourd’hui, en pleine crise globale.

Le 10e anniversaire des journées de Gênes arrive au moment où l’Union européenne traverse de fortes turbulences et où les vents qui ont électrisé le monde arabe depuis la fin de 2010 soufflent avec de plus en plus d’intensité sur le Vieux continent. Les mobilisations soutenues en Grèce et l’irruption du mouvement des indignéEs dans l’Etat espagnol, sans oublier la victoire dans le référendum sur l’eau en Italie même, sont parmi les symptômes les plus significatifs de la montée d’une nouvelle période de luttes, où l’objectif est d’internationaliser et d’”européaniser” les résistances émergentes.

Il y a 10 ans, les événements dans cette ville italienne avaient capté l’imaginaire de millions de personnes et de multiples mouvements et luttes sociales dans toute la planète, qui se sont identifiés avec le message de critique radicale de la globalisation capitaliste d’une protestation vécue comme étant la leur.

Le caractère massif de cette dernière, sa radicalité et le niveau de confrontation élevé entre les manifestantEs et le pouvoir ont caractérisé la dynamique de journées décisives, où le temps historique semblait s’accélérer de manière très intense, au rythme des tentatives des activistes de “libérer” la ville, d’entrer dans la “zone rouge” interdite et de déstabiliser le sommet officiel. “Nous sommes des millions, vous n’êtes que 8”, tel était le sentiment général de ceux et celles qui sont arrivés dans cette ville portuaire historique, déterminés à faire plier les maîtres du monde.

L’assassinat par balles du jeune Carlo Giuliani au cours de la journée d’action directe du 20 juillet et l’assaut de la police contre l’Ecole Diaz furent les épisodes les plus douloureux de mobilisations marquées par une répression féroce. Organisée comme un lieu de repos et de réunion pour une partie des manifestants étrangers, l’Ecole Diaz est devenue dans la nuit du 21 juillet la scène d’une vendetta policière qui laissa derrière elle 63 blessés et des dizaines d’arrestations, provoquant un scandale politique et médiatique ainsi qu’un long procès.

Gênes marqua le début d’une période de fortes protestations sociales contre le gouvernement Berlusconi. C’est une véritable “génération Genova” qui naquit en Italie à cette occasion. Ensemble avec le mouvement altermondialiste, des syndicats majoritaires, et en particulier la CGIL, ont joué un rôle important dans ces luttes - après leur absence remarquée lors des premières journées du contre-sommet du G8 - en organisant plusieurs grèves générales et des mobilisations, mais en n’abandonnant pas pour autant leur orientation de syndicalisme de concertation.

En partie comme résultat de ce long processus, en avril 2006, les forces du centre-gauche sont arrivées au pouvoir, après une victoire électorale à l’arrachée face à la droite menée par Berlusconi. Mais les deux années de gouvernement Prodi ont laissé derrière elles un triste bilan en politique économique, sociale et étrangère, provoquant la désillusion, la démoralisation et la démobilisation sociale... qui ont pavé le chemin pour le retour au pouvoir triomphal d’Il Cavaliere en avril 2008. Ce dernier fête aujourd’hui, en pleine décadence et dans une atmosphère de fin de règne, la boucherie provoquée par les carabinieri il y a dix ans.

Peu après les événements de Gênes, les attentats du 11 septembre à New York ont signifié à leur tour le début d’une nouvelle période internationale marquée par la “guerre globale contre le terrorisme”. La protestation contre la guerre allait prendre force au sein de la critique de la globalisation, ouvrant la voie au développement d’un mouvement anti-guerre massif dont le point culminant fut la journée internationale de mobilisations du 15 février 2003, à la veille de l’invasion de l’Irak. A partir de là, le mouvement altermondialiste entra dans une nouvelle phase, marquée par la perte de centralité de ses mobilisations, de sa capacité d’articulations et par une plus grande dispersion des luttes sociales, dans un contexte très défensif dans l’ensemble de l’Union européenne. Cela a duré jusqu’à l’éclatement de la “grande crise” de 2008, qui détermine la situation internationale depuis trois ans et face à laquelle on assiste aujourd’hui à une remontée des luttes sociales.

Dix ans après le sommet de Gênes, le cycle ouvert par le mouvement altermondialiste s’est terminé, mais un autre s’ouvre devant nous. Ce n’est donc pas un anniversaire nostalgique d’un mouvement qui fut, mais qui n’est plus. C’est un anniversaire dont la mémoire indignée de ces journées mythiques nous permet de remémorer le passé pour regarder l’avenir. Où le souvenir de l’assaut contre la “zone rouge” se mélange avec ceux très récents des occupations des places, des assemblées de quartiers et du blocage du parlement Catalan. Et où la mémoire de Carlo Giuliani ne fait qu’augmenter la rage et l’indignation de ceux qui, avec encore plus de raisons qu’il y a dix ans, continuent à affirmer qu’un “autre monde est possible” et que “nous ne sommes pas des marchandises dans les mains des politiciens et des banquiers”.

Josep Maria Antentas et Esther Vivas

Gênes, pour toujours (videos) de : Roberto Ferrucci mercredi 20 juillet 2011 - 00h06 > Bellaciao TV > Carlo Giuliani > Italie > Mouvement > Thomas Lemahieu 3 commentaires

Cela faisait six ans que je n’étais pas allé à Gênes quand, en mars 2007, j’ai effectué les dernières retouches sur Ça change quoi, le roman qui, quelques mois plus tard, allait être publié par Marsilio. Depuis le 18 juillet 2001, jour de mon arrivée à Gênes pour suivre et participer à l’autre G8, celui d’Un monde différent est possible, je n’en suis plus parti. Il y a eu les jours suivants, là-bas, passés au milieu des rues enfumées et incendiées et violentées de Gênes, puis, tout de suite après, à peine rentré, ma Gênes de papier, de notes, d’écriture, d’images, de récit. Une Gênes qui me suivait partout.

Pendant des années, je n’ai jamais abandonné la Via Tolemaide, le piazzale Kennedy, la piazza Alimonda. Et, naïvement, je croyais qu’il s’agissait de quelque chose de personnel, d’intime. J’écrivais un livre sur ces journées, c’est pour cela, me disais-je, que Gênes ne me lâchait jamais, c’est pour cela que je continuais d’être dans la via del Campo, à l’école Diaz, à Bolzaneto. Tu verras, je me le répétais, une fois le livre terminé, tu t’en iras enfin de là. De cette Gênes. Mais il s’agissait d’une pure autosuggestion.

Cette conviction qui était la mienne était une fiction plus grande que le roman lui-même. Parce qu’aujourd’hui, je le sais. Tous ceux qui ont été, là, à Gênes, en 2001, n’en sont jamais vraiment revenus. Cette blessure collective (au-delà des blessures individuelles, physiques, terribles) ne cicatrisera plus. Elle fera partie de nous, pour toujours. Gênes était devenue un sentiment. Un lieu de l’âme, pour tous ceux qui y ont été. Ça n’avait rien à voir avec le livre, pas seulement, au moins. Ça a à voir, en revanche, avec la conscience – résignée, à présent – que justice ne sera pas faite, qu’il n’y aura jamais une vérité tenue pour acquise, reconnue, une vérité vraie. Et donc, nous voilà, de nouveau, ici. Comme toujours. A commémorer, à nous souvenir. Comme pour la piazza Fontana, la piazza della Loggia, la gare de Bologne. Une habitude parfaitement italienne, celle de célébrer des mystères, des demi vérités, des diversions.

Nous sommes des milliers, à n’avoir jamais quitté Gênes, et ce n’est pas clair à mes yeux, désormais, s’il s’agit d’une forme de résistance, malgré tout, ou si ce n’est qu’un témoignage résigné et conscient de son inutilité. Et nous sommes tellement encore tous là, avec le cœur, avec l’âme, qu’ensuite, en ce qui me concerne, ça devient chaque fois plus difficile d’y retourner physiquement. Comme cela l’a été pour le narrateur de Ça change quoi, revenu à Gênes, des années plus tard, pour chercher à comprendre si quelque chose avait changé. Si, de ces journées tragiques, ce désastreux pays avait tiré un enseignement. Si tout ce sang, cette violence inouïe avaient, à la fin, servi à quelque chose.

Je ne sais pas où il est passé, mon narrateur. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’aurait jamais imaginé que, dix ans plus tard, l’Italie en aurait été réduite à ce qu’elle est aujourd’hui. Que les responsables de la boucherie de Gênes seraient encore tous au gouvernement, ou qu’ils auraient été récompensés, promus, absous. Dans un recoin caché de soi, il espérait que, dix ans après ces faits, tout aurait été porté à la lumière. Vérité et justice, en somme. Ou au moins que le pays (minuscule, c’est un pays minuscule, l’Italie, à présent) commencerait à prendre de nouvelles directions. Mais la chance des personnages de roman, c’est qu’ils vivent seulement à l’intérieur de leurs histoires et dans l’imaginaire des lecteurs. Sur un disque dur (les seules mémoires sûres dans ces parages), j’ai trouvé ce vieux fichier. Un morceau de Ça change quoi qui n’a pas fini dans le livre, et je ne me souviens pas pourquoi. Je le recopie ici, dans la Gênes de 2011, d’où nous ne sommes plus partis.

Aujourd’hui, des années après, la carte de la ville est étendue sur le lit, mais le quartier Nervi à Gênes est en dehors, lui aussi, au-delà de la direction de mon petit doigt, en dehors des bords de la carte, sur le couvre-lit, vers le coussin de gauche, plus ou moins. Et quand, plus tard, je descendrai, quand je découvrirai alors le moyen de la rejoindre d’ici, la pension Marinella, je m’approcherai de la rambarde, les mains dans les poches du manteau, la mer tumultueuse fera couler presque tout le rocher où se serait étendue Angela, si elle était venue avec moi, il y a des années. Si je ne lui avais pas dit je m’en vais. Ils sont si nombreux à me l’avoir demandé, régulièrement, pendant des années. Pourquoi t’en es-tu allé ? Angela, non, elle ne l’a jamais fait, elle. Je n’ai même pas dû lui laisser le temps de le faire. Je n’ai pas dû me le laisser à moi-même, ce temps.

J’ai donné mille réponses différentes aux autres, pendant des années. Et, plus tard, là, immobile en regardant la mer couvrir le rocher d’Angela, celui où j’ai écrit ce jour-là, ça pourra me sembler le moment fatal, le lieu adapté pour m’écouter révéler finalement le pourquoi. Un de ces pourquoi dans lequel se reconnaître. Un de ces pourquoi clarificateurs que, des années après, il est juste, dit-on, de mettre en branle, parce que le temps te change, dit-on, les choses changent, et toi, tu arranges ton être au monde, tu le réétalonnes, et le monde aussi change, dit-on, il s’arrange, se réétalonne avec toi. Il devrait. Tu devrais.

Et si ce n’est pas ça, trouver au moins une petite formule consolatoire quelconque. Une de ces phrases gluantes, prêtes à l’emploi, qui aident à se faire une raison, qui remettent de l’ordre dans ce décollement entre la recherche de l’amour éternel et le doute perpétuel sur son existence. Et Gênes ? Pourquoi j’y suis retourné, à Gênes, des années après, reparcourant la mémoire, revivant la terreur, le désarroi, la rage de ces journées de juillet 2001 ?

Je me le demanderai plus tard, quand je serai là-haut, immobile, les mains dans les poches, sur la Promenade Garibaldi, un peu avant qu’une giclée d’eau, poussée par la mer tumultueuse, détournée par un ricochet sur le rocher, m’atteigne, et alors, cent quatre-vingts degrés, le mouvement de mon corps et, s’il y avait quelqu’un pour me regarder, là, dans peu de temps, il ne verrait que ce demi tour sur moi-même, avant de me voir partir, sans même y passer devant la pension Marinella – même pas un coup d’œil de loin -, certainement fermé, cet endroit, en hiver.

Thomas Lemahieu (traduction)

http://www.humanite.fr/19_07_2011-g...


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