L’austérité, la Grèce et notre avenir commun (Par Jean-Christophe Le Duigou)

mercredi 27 juillet 2011.
 

Tout démontre que la crise économique et financière, en Europe, est loin d’être terminée. Ces dernières semaines, l’attention s’est portée sur la Grèce, mais la crise concerne tous les pays de l’Union, comme notre avenir commun d’Européens.

Cette prise de conscience est loin d’être générale. Le chacun-pour-soi semble même l’emporter sur une vision commune des problèmes. Certains pays croient s’en tirer mieux que d’autres. Les pays nordiques ont, depuis le début, considéré que la crise ne les concernait qu’indirectement. L’Allemagne de son côté s’est plu à donner des leçons, affichant son dynamisme économique, sa dette maîtrisée et son taux d’emploi en amélioration. La Grande-Bretagne fait cavalier seul en essayant de vendre ses derniers actifs publics. Les autres pays durement touchés, comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal, prétendent, après un premier plan d’austérité, être sortis du marasme, même s’il est évident qu’il n’en est rien. La France, quant à elle, « protégée par son modèle social, serait très vite sortie d’affaire », selon l’expression d’une ministre appelée récemment à de nouvelles fonctions internationales. Dans la ligne de ce que les gouvernements accréditent, le seul problème subsistant serait celui de la Grèce, qui, malgré ses bas salaires et ses petites retraites, est désormais traitée comme « l’homme malade de la zone euro ». Entre-temps, patronat et gouvernements se sont entendus pour vider de son sens le projet européen de construction d’un progrès social partagé. En témoigne le contenu des négociations européennes concrétisé par « l’agenda social » qui, bien avant la crise, s’était déjà réduit comme peau de chagrin. Les seules dimensions qui subsistaient étaient celles de la « flexsécurité » et des réformes visant à « restructurer » ce que d’aucuns continuent de nommer l’État providence. Ce dernier est critiquable sur de nombreux aspects. Mais le détricotage auquel il est soumis n’a rien à voir avec les principes de justice ou de progrès qui sont pourtant au coeur de l’adhésion citoyenne à l’idée européenne.

Désormais les peuples, non sans raison ni sans détermination, tirent dans un sens, les responsables politiques et financiers agissant dans un autre. La conséquence principale du système imbriqué de créances et de dettes qui relient entre elles des institutions financières des pays européens, réside dans cette rupture entre les intérêts des citoyens et ceux des responsables économiques et politiques. Du fait de cette déconnexion entre l’État et ses citoyens, nous assistons au spectacle de ministres des Finances, se réunissant chaque fin de semaine à Bruxelles, censés oeuvrer dans l’intérêt collectif mais prenant des décisions qui valident les contrats bancaires existants. Ces décisions n’ont rien à voir avec les aspirations du salarié, de l’argent public, de l’homme ou de la femme de la rue. Mais ce sont ces derniers qui, à la fin, paient l’addition.

Revenons alors à la crise grecque, quelles que soient en fin de compte les réponses qui lui seront finalement apportées, il nous faudra repenser notre futur commun d’Européens. Les révoltes sociales et des plans d’austérité sans équivalents font s’interroger sur le tour que prend l’intervention de l’Europe pour faire face à la crise. Quelle est la légitimité des accords que l’Union européenne, c’est-à-dire les 27 États membres réunis, la Commission, la Banque centrale européenne, composante à part entière du fait de son indépendance, parfois avec le concours du Fonds monétaire international, ont conclu avec les États soumis au plan de restructuration financière ?

Les mémorandums, textes et accords liés aux plans d’aide au Portugal, à la Grèce et à l’Irlande et à divers autres pays européens, comme le pacte euro plus, comportent de multiples éléments concernant les salaires, la sécurité sociale, la fiscalité, le statut des entreprises publiques, l’organisation de l’État ou la négociation collective. Tous ces domaines sont expressément hors de la compétence de l’Union européenne et vont très au-delà des-dits traités, tout en ignorant superbement certaines de leurs dispositions. C’est là sans doute la leçon politique qui doit être méditée. Cette harmonisation qui était politiquement impossible lorsque se posait la question de construire une Europe plus sociale devient praticable lorsqu’il s’agit d’imposer des reculs sociaux. Avec l’intervention des peuples, l’inverse ne deviendrait-il pas concevable ?

Jean-Christophe Le Duigou Économiste et syndicaliste.


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