Le Projet du Parti socialiste Enseignement et recherche.

mardi 9 septembre 2014.
 

Le 28 mai dernier, le Parti socialiste a adopté son projet pour 2012. Une partie est consacrée à la question de l’enseignement et de la recherche, que l’on analysera ici à partir de la version « intégrale » de ce projet. (Article du 11 juillet 2011)

Précisons que ce projet est bien évidemment plein de promesses vagues destinées à rassurer les militants et les électeurs. Car le PS ne peut oublier que ses militants et électeurs se sont engagés en masse dans les mobilisations contre la politique de Sarkozy, en particulier contre les réformes détruisant l’école, l’université et la recherche. Mais à y regarder de plus près, les objectifs du PS, qui peuvent sembler un moindre mal par rapport à l’actuelle politique de Sarkozy, sont néanmoins souvent dangereux.

La question des postes, question décisive

On connaît l’ampleur des destructions de postes dans la fonction publique, et en particulier dans l’éducation nationale.

Le PS entend mettre fin à cette politique. Mais pour l’enseignement, il ne promet pas le rétablissement, même partiel, des 60 000 postes supprimés dans l’éducation nationale en 5 ans, alors qu’il annonce un « rattrapage des moyens » pour la justice, et le rétablissement de « 10 000 postes de gendarmes et de policiers de proximité » ( 10 700 postes ayant été supprimés dans les forces de l’ordre depuis 2007 , selon le PS) .

Or, il prévoit en même temps le renforcement de « l’encadrement pédagogique » dans le primaire et dans les premiers cycles universitaires, deux secteurs jugés prioritaires. Il promet aussi de rendre « l’école maternelle obligatoire dès l’âge de trois an » et de faire « en sorte, dès lors que les parents le souhaitent, que tout enfant, à partir de l’âge de deux ans, soit accueilli en école maternelle dans des conditions adaptées ». Cela en complément du développement des crèches sous la forme d’un « véritable service public de la petite enfance ».

Comment donc réaliser tout cela sans commencer par rétablir – au minimum – tous les postes supprimés ?

Des « encadrants » ou des enseignants ?

La méthode consiste à économiser d’un côté pour redistribuer de l’autre. Ainsi, le PS projette « une refonte des rythmes scolaires pour alléger les journées de travail (les plus lourdes d’Europe) et mieux les répartir dans l’année ». Bruno Julliard, chargé de l’éducation au PS, annonce « un allongement de l’année scolaire de deux semaines l’été » (Le Monde de l’éducation 9 mars). Cette réorganisation est inséparable, dans le texte du PS, du renforcement de « l’encadrement » et de « la personnalisation des réponses éducatives avec des pédagogies différenciées ».

On pourra ainsi améliorer l’encadrement dans quelques écoles sans créer un seul poste d’enseignant (réduire de trois heures hebdomadaires la durée de cours en classe complète tout en rajoutant deux semaines de travail permet de dégager 66 heures par poste, sur une base annualisée). Et les plages horaires libérées pourront être utilisées par des intervenants qui ne seront pas des enseignants.

Bruno Julliard annonce, dans Libération du 9 mai, « le gel des suppressions de postes » (ce qui est bien la moindre des choses) et « des recrutements d’urgence, notamment dans les ZEP et à l’école primaire ». Mais tout en affirmant qu’ « il faut augmenter le nombre des encadrants », il précise aussitôt la nature de ces « encadrants » : « Une demi-journée pourrait être assumée (sic) par des intervenants "hors école", collectivités locales, associations… ». On peut donc utiliser des vacataires, des animateurs, des étudiants stagiaires, ou bien recourir au service civique....

Moduler, répartir…

Une autre méthode consiste à « moduler » : « nous mettrons en place une modulation de la dotation de moyens, non par zones, mais par établissement en fonction des catégories sociales. Les taux d’encadrement de ces établissements seront augmentés, ce qui permettra de baisser les effectifs des classes ». Mais la « modulation » permettra t elle aussi de réduire une dotation ? Interrogé par Le Point du 21 janvier sur le coût des projets du PS, Bruno Julliard répond : « Pour ces priorités, nous avons identifié des sources d’économies ». Et notamment « une meilleure répartition des moyens (…) grâce à une réforme de la dotation qui prenne en compte la situation scolaire et sociale des établissements. Il faut individualiser la dotation en fonction d’un certain nombre de critères, et notamment celui de la mixité sociale ». Ainsi, on dépouillerait Pierre ou Paul pour habiller Bruno…

Réformer les réformes

Le Parti socialiste refuse d’abroger les réformes gouvernementales contre lesquelles il y eut d’importantes mobilisations. Il ne veut que les corriger à la marge. Ainsi de la réforme des lycées : « nous évaluerons la réforme imposée par la droite afin de procéder aux adaptations nécessaires ».

Concernant l’enseignement professionnel, ce sera une remise« à plat des formations professionnelles du CAP au bac professionnel, en étroite concertation avec les représentants du monde professionnel et les régions ». Mais « remettre à plat » n’implique pas d’abroger la réforme des bacs pro en trois ans.

Quant à l’école primaire, le PS reprend à son compte les objectifs et le langage du gouvernement Sarkozy : « garantir à tous les élèves l’acquisition d’un socle commun de savoirs et de compétences (lire, écrire, compter, cliquer) », alors même que les notions de « compétences » et de « socle commun » font l’objet de sévères et légitimes critiques.

Il reprend cette notion de compétences pour l’enseignement secondaire, tout en rajoutant la nécessité de « solides bases disciplinaires » pour de « nouveaux programmes annoncés ». Mais rien n’est dit concernant les volumes horaires attribués aux disciplines, qui ne peuvent pas augmenter si on ne rétablit pas les postes supprimés en collèges et lycées. Pire : pour ces nouveaux programmes, il est annoncé des « modules adaptés ». On se souvient qu’il s’agit d’un aspect majeur de la précédente réforme Darcos des lycées, auquel le gouvernement dut finalement renoncer au vu des mobilisations contre notamment ces modules semestriels.

Soumettre l’école aux besoins patronaux

L’un des objectifs du ministère, c’est de disloquer les programmes nationaux, pour mettre en pièce les diplômes nationaux et qualifications pris en compte dans les conventions collectives. Un « diplôme » doit se réduise à une énumération de compétences individuelles enregistrées sur ce nouveau livret de travail qui s’appelle livret personnel de compétence.

Cela passe par la promotion de la pédagogie dite « individualisée », et des projets pédagogiques différents selon les établissements. Le PS préserve cette politique : « nous engagerons la personnalisation des réponses éducatives avec des pédagogies différenciées ».

Certes, il observe que « l’école publique se fragmente de plus en plus ».

Mais il n’en propose pas moins de confier aux équipes pédagogiques « une part de la dotation en heures d’enseignement ». Selon les quartiers, on aura donc des parcours et des niveaux différents.

Parfois, le rapport avance masqué. Ainsi écrit il : « Nous améliorerons la transition à l’entrée en sixième, aujourd’hui traumatisante (sic) car trop brutale ». Mais comment ? On rappellera que le rapport parlementaire d’avril 2010 défendu par l’UMP Grosperrin : demande la bivalence des enseignants de collège, source d’importantes économies, et prévoit que les enseignants de sixième iraient enseigner quelques heures en CM2 tandis que les enseignants du primaire assureraient des cours en sixième.

Craignant un tollé, le PS choisit de ne rien dire…

D’autres fois, le rapport est très clair. Ainsi, alors que le gouvernement oblige déjà les élèves de collège et lycée à faire des stages et des visites en entreprise, qui se font au détriment des cours et visent à assujettir l’école et les enfants à l’entreprise privée, le PS annonce qu’il organisera « la découverte des métiers dès l’école primaire, la revalorisation de l’image sociale de certains métiers (notamment industriels), la réalisation pour tous les élèves d’au moins un projet scolaire en lien avec le monde du travail ».

Mais si l’on voulait vraiment revaloriser l’image des métiers de l’industrie, il faudrait commencer par créer des emplois dans l’industrie, ne pas disloquer les diplômes professionnels, et augmenter les salaires.

Dans le même sens, le PS projette de régionaliser l’orientation scolaire, en l’articulant à l’activité de Pôle emploi et des centres de bilan de compétences.

Le PS va même jusqu’à reprendre à son compte la politique sécuritaire de Sarkozy, avec ses caméras et ses policiers dans les établissements scolaires : « Les dispositifs de sécurité seront renforcés dans les établissements qui l’exigent ».

« Revaloriser » le métier d’enseignant ?

Le PS dit vouloir revaloriser le métier d’enseignant. Mais il ne propose ni d’améliorer les conditions de travail en procédant à des recrutements massifs, ni de rattraper la perte de leur pouvoir d’achat.

Bruno Julliard (Libération du 9 mai) précise les choses. Il faut « revaloriser leur métier, y compris en termes de salaire. Mais avec des contreparties : redéfinition de leurs missions, plus de suivi individualisé et de lien avec les familles ». Les « contreparties », c’est l’équivalent du « travailler plus pour gagner plus » de Sarkozy.

Quant à la formation initiale des enseignants, qui mobilisa étudiants et enseignants, c’est le flou complet. On promet simplement de « rétablir une véritable formation initiale ». Car chacun sait les désaccords qui opposent les directions syndicales sur cette question, y compris au sein de la FSU. Le projet annonce donc « une large concertation avec les enseignants et l’ensemble de la communauté éducative afin d’élaborer une réforme » qui devra être prête pour la rentrée scolaire 2013.

Désagréger les statuts

Pour les enseignants en activité, la formation continue « deviendra obligatoire, et sera valorisée dans les carrières ». Cette formation se tiendra t elle durant l’année ou pendant les vacances ? Son contenu de sera-t-il défini par le Recteur ou par le chef d’établissement ? Comment, cette formation obligatoire sera t elle validée, et valorisée ? Cela n’est pas dit. Mais cela tendra à dévaloriser les diplômes et concours nationaux, sur lesquels sont fondés les statuts des enseignants. Ce dispositif, qui n’a rien à voir avec une formation choisie, fondée sur le volontariat, payée par l’employeur sur le temps de travail, ouvre la voie à la dislocation des statuts.

Un autre biais permettra d’avancer vers la destruction des statuts. Pour les établissements réputés difficiles dans les « quartiers populaires », les professeurs seront recrutés en dehors du mouvement national et académique : « des contrats professionnels seront élaborés, intégrant temps de travail en équipes, avancements de carrières, primes salariales afin que des enseignants expérimentés exercent dans ces établissements » » (page 24) Mais un « contrat professionnel », c’est la stricte négation du statut de fonctionnaire. Et ce dispositif n’est qu’une variante des établissements CLAIR actuels, avec recrutement sur profil. Bruno Julliard, (le Monde de l’éducation du 9 mars) vise au-delà. Il affirme que le PS est favorable « à ce que les établissements publient leur projet pédagogique et à ce que dans le cadre du mouvement national, les enseignants puissent eux-mêmes choisir de contribuer à mettre en oeuvre ce projet ». Que restera t il alors de l’éducation « nationale » ? Et des statuts nationaux ?

Préservation du financement des établissements privés

Par ailleurs, le PS n’entend pas remettre en cause la loi Debré et le financement des écoles privées, ni le statut d’Alsace Moselle, etc…Tout au plus est-il écrit : « nous reviendrons sur les dispositions récentes qui privilégient l’accès à l’enseignement privé, comme l’obligation faite aux communes de financer la scolarité d’enfants qui n’y habitent pas ». Certes, on ne s’en plaindra pas, mais cela reste marginal par rapport à la masse des financements du privé par l’impôt public.

Et surtout, le projet du PS comporte quelques redoutables ambiguïtés, comme celle-ci : « Une nouvelle sectorisation sera établie, qui prendra en compte un indice de mixité sociale et impliquera l’enseignement privé » (p. 26). Mais comment « impliquer » le privé dans la carte scolaire ? Voudrait on, par ce biais, organiser une répartition « privé-public », comme cela s’applique maintenant dans la santé, entre hôpitaux publics et cliniques privées ? Voudrait on nous faire franchir un premier pas vers une nouvelle version du projet Savary-Mauroy de service public unifié de 1984, intégrant public et privé ? En tout cas, ce point méritera une sérieuse clarification.

Enfin, on aura vainement cherché trace, dans ce document, des revendications qui concernent les droits des enfants et qui mobilisent nombre de parents et d’enseignants, en particulier le refus de Base élèves et du Livret personnel de compétences.

Université et recherche : Préserver la LRU et les PRES

La démarche du PS concernant l’université et la recherche prolonge celle visant l’école : il ne s’agit que d’ « adoucir » les réformes du gouvernement Sarkozy, de les nuancer…. pour les rendre plus efficaces.

En ce qui concerne le premier cycle universitaire, le PS promet d’améliorer « le volume horaire et le taux d’encadrement ». C’est pour le moins imprécis.

La loi d’autonomie des universités (LRU) ne sera pas abrogée, mais aménagée : « nous réformerons la loi LRU ». Mais il est rajouté quelques promesses vagues, comme « l’égalité de traitement des personnels », et (dans la version finale) « l’attribution de moyens matériels et humains accrus pour faire vivre cette autonomie dans de bonnes conditions ». En effet, pour le PS « l’autonomie permet un meilleur pilotage » des « établissements publics ».

Concernant les pôles universitaires, les PRES, la version finale du projet a été réécrite, mais l’essentiel demeure : plutôt que d’être « réformés », les PRES seraient remplacés par un dispositif analogue, les « Réseaux territoriaux de la connaissance (RTC) » regroupant universités, grandes écoles et classes préparatoires, dans une logique de concurrence à l’échelle internationale, et d’économies budgétaires (« mutualisation de missions, d’objectifs et des moyens correspondants »).

Préparer la fin des classes prépa

Le PS prévoit de mettre en œuvre ce qui est en train d’être élaboré (discrètement) par l’actuel gouvernement : la liquidation des classes préparatoires, réputées coûteuses, et qui ont le tort d’être organisées sur la base d’un strict programme national, ce qui est insupportable pour tous ceux qui veulent disloquer programmes et diplômes nationaux. Il s’agit donc d’avancer vers « le rapprochement des classes préparatoires et des universités ». On pourra ainsi « saupoudrer » l’université de quelques moyens fort limités en « rentabilisant » les professeurs de classes préparatoires et en réduisant horaires et programmes des élèves de prépa. Cela au nom de l’égalité….

Des « assises » pour corriger à la marge les réformes Pécresse

Quant à la recherche, le PS ne peut pas ignorer les mobilisations massives qui ont eu lieu contre les diverses réformes gouvernementales. Il promet donc « de remettre à plat l’ensemble des textes contestés adoptés par la droite ». A cette fin ; il annonce que « nous réunirons dès 2012 des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, afin de préparer avec l’ensemble des acteurs l’élaboration d’une loi de programmation, définissant le cadre, les orientations et les moyens de l’ESR ».

Néanmoins, le cadre de ces Assises est fixé : « Nous fondrons (sic) notre politique sur la coopération, la mise en réseau plutôt que la concurrence.

Nous réduirons la part des financements sur appel à projets et augmenterons les financements directs et récurrents des laboratoires ».

Cela signifie que le PS ne prévoit pas de démanteler l’ANR et tous les dispositifs qui assujettissent les chercheurs en finançant la recherche sur appels à projets. Il s’agit seulement de « réduire la part » de tels financements. En clair : réformer les dispositifs actuels et non les abroger.

Une recherche au service des entreprises privées

La préoccupation principale du PS est d’aider les entreprises. Le projet le dit clairement : « seule la compétitivité « par le haut », par l’innovation, produira une croissance durable et riche en emplois. Nous défendons l’esprit d’entreprendre, c’est-à-dire la volonté d’innover ».

Ainsi, « nous soutiendrons les projets collaboratifs entre entreprises, laboratoires de recherche, universités, Instituts universitaires technologiques (IUT), école d’ingénieurs et de design, Centres hospitaliers universitaires (CHU). Nous multiplierons les passerelles entre formations et les possibilités de mise en disponibilité pour les chercheurs, sur le modèle de la loi de 1999, pour faciliter les créations d’entreprises, les dépôts de brevets, les collaborations avec l’industrie. L’emploi des docteurs sera développé dans le privé et le public. Les établissements d’enseignement supérieur seront systématiquement associés aux pôles de compétitivité ».

Comme l’explique fort justement le document du Parti socialiste, « le débat entre la droite et nous ne porte pas sur la nécessité de renforcer la compétitivité de l’économie française et européenne, mais bien sur la manière d’y parvenir »…..

D’autres mobilisations en perspective

C’est ainsi que le programme du PS ne remet pas en cause l’essentiel des réformes sarkozystes, car il répond lui-même à un objectif précis : aider le capitalisme français à faire face sur le marché mondial.

Mais si le PS devait revenir au gouvernement, la mise en œuvre d’un tel programme se heurterait certainement à de fortes résistances, y compris parmi ses militants et électeurs qui se mobilisent contre les fermetures de postes et se sont mobilisée contre les réformes réactionnaires du gouvernement. Ces militants et électeurs voudront d’abord se débarrasser de Sarkozy. Mais on peut escompter qu’il rejetteront également toute politique qui découlerait du projet ci dessus évoqué. C’est en tout cas ce à quoi il faut les encourager.

Serge Goudard, juin 2011


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