Los Indignados : une réaction saine aux désastres du capitalisme financier transnational

vendredi 1er juillet 2011.
 

3) Ivan Olmedo, la voix des Indignados

Il a vingt- deux ans et s’apprêtait à quitter un « pays sans avenir ». Il est devenu une voix de l’espoir, le porte-parole de Démocratie réelle, maintenant !

Il règne comme un joyeux bordel dans la Cour des merveilles. Voué à la destruction, ce vieil immeuble déglingué a été réquisitionné par une ribambelle d’associations alternatives. Dans cette ruche sociale, qui bourdonne d’activités, il est difficile de se frayer un chemin. Et d’arrêter le mouvement. Ivan Olmedo raconte, répond. Vite, très vite. Vingt-deux ans au compteur, l’étudiant en tourisme ne regarde plus sa montre. Les heures manquent. C’est un Indigné débordé, mais heureux. À l’évidence, dans sa vie, il y a eu un avant et un après 15 mai.

Ce jour-là, à l’appel du collectif cybernétique Démocratie réelle, maintenant ! (DRY), dont il est le porte-parole de Madrid, 200 000 ­Espagnols ont manifesté dans les grandes villes du pays pour dire aux politiques et aux banquiers qu’ils ne paieraient pas la facture de la crise financière. « On n’espérait pas autant de monde. » Ivan ne relate pas  ; il débite  : « J’étais dans le camion à lancer des slogans. En arrivant à la Puerta del Sol, je me retourne, et je me rends compte qu’on ne voit pas la fin du cortège. C’était noir de monde. Rien que d’en parler, j’en ai la chair de poule. »

Depuis, la vie du jeune homme nouvellement engagé, c’est de « la folie ». Boucle d’oreille, pantalon baggy dégoulinant sur ses jambes, et grosses baskets noires, Ivan affiche un look de « djeun » décontracté. La communication coule. Il n’a pourtant pas le profil de l’expert. Quelques expériences sporadiques dans « différents mouvements » parce qu’il n’a « jamais toléré les injustices sociales ». Mais sans plus. Depuis trois mois, il est pourtant aux premières loges d’un mouvement que certains médias ont un peu vite baptisé de « spanish revolution »…

Concours de circonstances  ? À écouter Ivan Olmedo, pas franchement. Hier encore, il envisageait de migrer en Belgique en vue d’« un avenir meilleur qui n’existe pas ici ». Comme nombre de diplômés espagnols, il se voyait contraint de s’expatrier. « Cette société m’exaspérait avec tous ces gens qui ne se mobilisaient pas », reconnaît-il avant d’ajouter  : « Ici, on ne travaille plus pour vivre, mais l’inverse. » C’était avant donc. Depuis, il a « croisé des gens merveilleux ». Dans les manifs, les assemblées générales, les réunions de la DRY, entrecoupées de quelques heures de cours, et de petits boulots, la précarité étant bien souvent le point de départ et d’arrivée des jeunes Espagnols.

« Aujourd’hui, je n’ai plus aucune envie de partir. On vit des instants magnifiques, et à force d’efforts, j’espère que plus personne ne voudra chercher un avenir à l’extérieur », lance Ivan. Et le jeune homme milite tous azimuts. Un jour contre les expulsions, un autre contre la privatisation de l’eau dans la capitale. Le reste de la société regarde encore, mais sympathise avec le mouvement. « Cette prise de conscience des gens vient d’une somme de mécontentements sociaux, historiques. » Une saturation héritée des politiques menées par le Parti socialiste et la droite  : 20% de chômage, dont la moitié des chômeurs ont moins de vingt-cinq ans, le surendettement des familles, la réforme des retraites (soixante-sept ans), et celle dite du marché du travail qui, dans les faits, allège les conditions et les coûts des licenciements, les privatisations, la corruption des élus, l’impunité des crimes franquistes, la déconnexion des dirigeants politiques…

Mise bout à bout, la frustration s’est muée en indignation. « J’ai toujours pensé que l’Espagne n’était pas une véritable démocratie, affirme Ivan. La démocratie, c’est le peuple qui gouverne. Mais dans ce pays, on n’élit pas le chef de l’État, on vit l’héritage de la famille », en allusion à la monarchie de Juan Carlos de Bourbon que le dictateur Franco avait désigné de son vivant comme son successeur. « Les gens ont cassé un système dictatorial, mais il s’est transformé en un système de monarchie parlementaire », très insuffisante aux yeux du porte-parole de la DRY, qui précise  : « Nous n’avons que la liberté d’élire des représentants tous les quatre ans, mais ils ne remplissent même pas leur obligation. » Quant à leurs orientations politiques, l’étudiant répond par l’image  : « Ces partis ne gouvernent pas une société, ils la pensent comme une corporation. Et on nous dit que c’est ça la démocratie  ? C’est du bla-bla. D’ailleurs, tout le monde est indigné, à gauche comme à droite, parce que, finalement, ce que veulent les gens, c’est vivre. »

Pas content de la gauche. Mécontent de la droite, le Mouvement du 15 mai ambitionne-t-il de combler le vide, en créant un parti  ? Ivan fronce son front et secoue la tête. À droite. Et à gauche. « Non, jamais il n’en a été question, martèle-t-il. Nous sommes un mouvement d’indignation sociale, mais pas apolitique parce que, justement, nous voulons influencer la politique. » Trois mois après le lancement de leur appel à prendre les rues, les médias ont, peu à peu, tourné le dos aux Indignés. Il y a une certaine couverture des marches populaires, à travers le pays, de leurs coups de gueule, efficaces, contre les expulsions, mais le redéploiement dans les quartiers a refroidi le landerneau journalistique. « Les médias, s’exclame Ivan Olmedo, n’ont pas intérêt à répercuter le fait que des citoyens pensent collectivement les problèmes, leurs problèmes, qu’ils en débattent de manière consensuelle, et cherchent des solutions pour que ces mêmes solutions deviennent réalité. » Et demain  ? Le jeune homme hausse les épaules et sourit, l’air de dire « Qui sait  ? »  : « Avec les propositions de notre manifeste, nous voulons changer le système politique et économique pour que la politique cesse d’abdiquer devant l’économie. En fait, nous voulons la démocratie réelle. Ça peut paraître idyllique, mais c’est de ça dont il s’agit. » Dans la Cour des merveilles, on s’agite. Un groupe est prêt à partir en collage. Ivan en est, bien sûr.


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