Seconde guerre mondiale : L’Union soviétique par pertes et profits (par Annie Lacroix-Riz)

samedi 17 décembre 2011.
 

Il y a soixante ans, 57 % des Français considéraient l’URSS comme le principal vainqueur de la guerre. En 2004, ils n’étaient plus que 20 %. Amplifié par les médias, cet oubli progressif du rôle de Moscou tient aussi aux polémiques sur la politique de Staline entre 1939 et juin 1941, que des travaux historiques récents éclairent d’un jour nouveau. Mais, quoi qu’on pense du pacte germano-soviétique, comment nier que, trois ans durant, les Russes ont porté une grande partie de la résistance, puis de la contre-offensive face à la Wehrmacht ? Au prix de 20 millions de morts.

Deux ans après sa victoire sur le nazisme, l’Armée rouge devint, pour les peuples de l’Ouest, pour cause de guerre froide, une menace (1). Six décennies plus tard, l’historiographie française, sa mutation pro-américaine achevée, voue l’Union soviétique aux gémonies tant pour la phase du pacte germano-soviétique que, désormais, pour celle de sa « grande guerre patriotique ». Nos manuels, assimilant nazisme et communisme, surenchérissent sur les historiens d’Europe orientale (2). Mais les recherches originales qui nourrissent cette mise au point dressent un tout autre tableau de l’URSS dans la seconde guerre mondiale.

Le principal acte d’accusation contre Moscou concerne le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 et, surtout, ses protocoles secrets : de fait, la victoire fulgurante et écrasante remportée sur la Pologne par la Wehrmacht donna le signal de l’occupation par l’URSS de la Galicie orientale (est de la Pologne) comme des pays baltes (3). Volonté d’expansion, Realpolitik ou stratégie défensive ?

Reprenant la thèse des prestigieux historiens Lewis B. Namier et Alan John Percivale Taylor, ainsi que du journaliste Alexander Werth, les nouveaux travaux d’historiens anglophones éclairent les conditions dans lesquelles l’URSS en est arrivée à cette décision. Ils montrent comment, encouragé par les Etats-Unis, l’entêtement de la France et de la Grande-Bretagne dans leur politique d’« apaisement » – autrement dit de capitulation face aux puissances fascistes – a ruiné le projet soviétique de « sécurité collective » des pays menacés par le Reich. D’où les accords de Munich (29 septembre 1938), par lesquels Paris, Londres, et Rome permirent à Berlin d’annexer, dès le surlendemain, les Sudètes. Isolée face à un IIIe Reich ayant désormais les mains libres à l’Est, Moscou signa avec Berlin le pacte de non-agression qui l’épargnait provisoirement.

Ainsi s’achevait la mission franco-britannique envoyée à Moscou (du 11 au 24 août) pour calmer des opinions réclamant – après l’annexion allemande de la Bohême-Moravie et la satellisation de la Slovaquie – un front commun avec l’URSS. Moscou exigeait l’alliance automatique et réciproque de 1914, qui devrait associer la Pologne et la Roumanie, fiefs du « cordon sanitaire » antibolchevique de 1919, et les pays baltes, vitaux pour la « Russie d’Europe (4) ». L’amiral britannique Drax et le général français Doumenc devaient faire porter à Moscou seule le chapeau du fiasco : il fallait simplement « laisser l’Allemagne sous la menace d’un pacte militaire anglo-franco-soviétique et gagner ainsi l’automne ou l’hiver en retardant la guerre ».

Quand le chef de l’Armée rouge Klement Vorochilov, « précis, direct », leur proposa, le 12 août, « l’“examen concret” des plans d’opérations contre le bloc des Etats agresseurs », ils s’avouèrent sans pouvoirs. Paris et Londres, résolus à ne fournir aucune aide à leurs alliés de l’Est, avaient délégué la tâche à l’URSS tout en la lui rendant impossible : Varsovie (surtout) et Bucarest avaient toujours refusé un droit de passage à l’Armée rouge. Ayant « garanti » la Pologne sans la consulter, Paris et Londres se dirent ligotés par le veto (encouragé en sous-main) du germanophile colonel Josef Beck, qui invoquait le « testament » de son prédécesseur Josef Pilsudski : « Avec les Allemands nous risquons de perdre notre liberté, avec les Russes, nous perdons notre âme. »

L’affaire était plus simple. La Pologne avait arraché aux Soviets, en 1920-1921, avec l’aide militaire française, la Galicie orientale (5). Aveugle depuis 1934 aux appétits allemands, elle tremblait que l’Armée rouge ne s’emparât aisément de ces territoires. La Roumanie, elle, redoutait de perdre la Bessarabie prise aux Russes en 1918 et gardée grâce à la France. L’URSS n’obtint pas non plus de garantie des pays baltes, dont l’indépendance de 1919-1920 et le maintien de l’influence allemande devaient tout au « cordon sanitaire ».

Depuis mars et surtout mai 1939, Moscou était courtisée par Berlin, qui, préférant – d’expérience – une guerre sur un seul front, lui promit, avant de se jeter sur la Pologne, de respecter sa sphère d’influence en Galicie orientale, en Baltique et Bessarabie. Elle céda, au dernier moment, mais pas à un fantasme de révolution mondiale ou de « Drang nach Westen » (cette poussée vers l’Ouest chère au publiciste allemand d’extrême droite Ernst Nolte) : elle refusa, Londres et Paris cajolant toujours Berlin, d’« être impliquée toute seule dans un conflit avec l’Allemagne » – selon les termes du secrétaire au Foreign Office, Charles Lindsley Halifax, le 6 mai 1939. L’Occident mima la stupeur devant « la sinistre nouvelle explosant sur le monde comme une bombe (6) » et dénonça une trahison. En réalité, Français et Britanniques en poste à Moscou jouaient les Cassandre depuis 1933 : faute de Triple Entente, l’URSS devrait composer avec Berlin pour gagner le répit nécessaire à la mise sur pied de guerre de son économie et de son armée.

Le 29 août 1939, le lieutenant-colonel Luguet, attaché aérien français à Moscou (et futur héros gaulliste de l’escadrille Normandie-Niémen), certifia la bonne foi de Vorochilov et posa Staline en « glorieux successeur (...) d’Alexandre Nevsky et de Pierre Ier » : « Le traité publié est complété par une convention secrète, définissant, à distance des frontières soviétiques, une ligne que les troupes allemandes ne devront pas dépasser et qui serait considérée par l’URSS en quelque sorte comme sa position de couverture (7). »

L’Allemagne ouvrit le conflit général, le 1er septembre 1939, en l’absence de l’Entente qui avait, en septembre 1914, sauvé la France de l’invasion. L’historien Michael Carley incrimine la politique d’apaisement née de « la peur de la victoire contre le fascisme » des gouvernements britanniques et français, effrayés que le rôle dirigeant promis à l’URSS dans une guerre contre l’Allemagne n’étendît son système à tous les belligérants : l’« anticommunisme », décisif à chaque phase-clé depuis 1934-1935, fut donc « une cause importante de la seconde guerre mondiale (8) ».

Le 17 septembre, l’URSS, inquiète de l’avance allemande en Pologne, proclama sa neutralité dans le conflit, non sans occuper la Galicie orientale. Elle exigea en septembre-octobre des « garanties » des pays baltes, « occupation “déguisée”, accueillie avec résignation (9) » par Londres, que le Reich inquiétait désormais autant que « la poussée russe en Europe ». Et, ayant demandé – en vain – à Helsinki, alliée de Berlin, une rectification de frontière (contre compensation), elle entra en guerre contre la Finlande et fit face à une sérieuse résistance. La propagande occidentale plaignit la petite victime et exalta sa vaillance. Weygand et Daladier planifièrent – « rêve », puis « délire », selon l’historien Jean-Baptiste Duroselle – une guerre contre l’URSS dans le Grand Nord, puis dans le Caucase. Mais Londres applaudit le compromis finno-soviétique du 12 mars 1940, ainsi que la nouvelle avance de l’Armée rouge qui suivit l’effondrement français (occupation à la mi-juin 1940 des pays baltes, fin juin de la Bessarabie-Bucovine du Nord). Après quoi elle envoya à Moscou Stafford Cripps, seul soviétophile de l’establishment : Londres préférait désormais une avance soviétique en Baltique à une allemande.

Après des décennies de polémiques, les archives soviétiques ont confirmé qu’environ 5 000 officiers polonais, dont les cadavres furent découverts par les Allemands en 1943 à Katyn (près de Smolensk), avaient bien été exécutés en avril 1940 sur ordre de Moscou. Féroces avec les Polonais, les Soviétiques sauvèrent plus d’un million de juifs des zones réannexées et en organisèrent l’évacuation prioritaire en juin 1941 (10).

Cette période, qui va du 23 août 1939 au 22 juin 1941, fait l’objet d’un autre débat, qui concerne la mise en œuvre par Staline du pacte germano-soviétique. Certains spécialistes soulignent, par exemple, la fourniture de matières premières soviétiques à l’Allemagne nazie, le changement de stratégie imposé à l’été 1940 au Komintern et aux partis communistes invités à dénoncer la « guerre impérialiste », etc. Les historiens cités ici minorent, voire contestent cette interprétation (11). Notons que les Etats-Unis – même après leur entrée en guerre contre Hitler en décembre 1941 – et la France, officiellement belligérante depuis le 3 septembre 1939, assurèrent au Reich d’abondantes livraisons industrielles (12).

En crise depuis juin 1940, les rapports germano-soviétiques frôlèrent la rupture en novembre. « Entre 1939 et 1941, l’URSS avait considérablement développé ses armements terrestres et aériens et massé de 100 à 300 divisions (soit de 2 à 5 millions d’hommes) le long ou près de ses frontières occidentales (13). » Le 22 juin 1941, le Reich lança l’assaut annoncé par l’entassement de ses troupes en Roumanie. Alexander Werth parle d’un « effondrement militaire de 1941 », auquel aurait succédé (en 1942-1943) « un sursaut du régime et de la société ».

Mais, le 16 juillet, le général Doyen annonçait à Pétain, à Vichy, la mort du « Blitzkrieg » : « Si le IIIe Reich remporte en Russie des succès stratégiques certains, le tour pris par les opérations ne répond pas néanmoins à l’idée que s’étaient faite ses dirigeants. Ceux-ci n’avaient pas prévu une résistance aussi farouche du soldat russe, un fanatisme aussi passionné de la population, une guérilla aussi épuisante sur les arrières, des pertes aussi sérieuses, un vide aussi complet devant l’envahisseur, des difficultés aussi considérables de ravitaillement et de communications. (...) Sans souci de sa nourriture de demain, le Russe incendie au lance-flammes ses récoltes, fait sauter ses villages, détruit son matériel roulant, sabote ses exploitations (14). »

Le Vatican, meilleur réseau de renseignement mondial, s’alarma d’ailleurs, début septembre 1941, des difficultés « des Allemands » et d’une issue « telle que Staline serait appelé à organiser la paix de concert avec Churchill et Roosevelt » : il situa donc « le tournant de la guerre » avant l’arrêt de la Wehrmacht devant Moscou (fin octobre) et bien avant Stalingrad. Fut ainsi confirmé dès l’invasion le jugement que portait l’attaché militaire français à Moscou Auguste-Antoine Palasse depuis 1938 sur la puissance militaire soviétique inentamée, selon lui, par les purges qui avaient suivi le procès et l’exécution du maréchal Mikhaïl Toukhatchevski et du haut état-major de l’Armée rouge, en juin 1937 (15).

L’Armée rouge, écrivait-il, se renforçait et développait un « patriotisme » inouï : le statut de l’armée, la formation militaire et une propagande efficace « mainten[aient] tendues les énergies du pays, et lui donne[aient] l’orgueil des exploits accomplis par les siens (...) et la confiance inébranlable dans [s]a force défensive ». Palasse avait relevé, depuis août 1938, les défaites nippones dans les affrontements à la frontière URSS-Chine-Corée. La qualité de l’Armée rouge ainsi attestée servit de leçon : à la fureur de Hitler, le Japon signa à Moscou, le 13 avril 1941, un « pacte de neutralité » libérant l’URSS de son obsession – depuis l’attaque contre la Mandchourie (1931) puis toute la Chine (1937) – d’une guerre sur deux fronts. Après avoir plié, pendant de longs mois, sous l’assaut de la formidable machine de guerre nazie, l’Armée rouge allait à nouveau pouvoir passer à l’offensive.

Si, en 1917-1918, le Reich fut défait à l’Ouest, et surtout par l’armée française, de 1943 à 1945, il le fut à l’Est et par l’Armée rouge. Pour soulager celle-ci, Staline réclamait, depuis août-septembre 1941, un « second front » (envoi de divisions alliées en URSS ou débarquement sur les côtes françaises). Il dut se contenter des louanges du premier ministre britannique Winston Churchill, bientôt suivi du président américain Franklin D. Roosevelt, sur « l’héroïsme des forces combattantes soviétiques » et d’un « prêt-bail » américain (remboursable après-guerre), qu’un historien soviétique a évalué à 5 milliards de roubles, soit 4 % du revenu national en 1941-1945. Le refus de ce second front et la mise à l’écart de l’URSS des relations interalliées (malgré sa présence au sommet de Téhéran, en novembre 1943) ravivèrent sa hantise du retour au « cordon sanitaire » et aux « mains libres à l’Est ».

La question des rapports de forces en Europe s’aiguisa quand la capitulation du général Friedrich von Paulus à Stalingrad, le 2 février 1943, mit à l’ordre du jour la paix future. Washington comptant sur son hégémonie financière pour échapper aux normes militaires du règlement des conflits, Franklin D. Roosevelt refusait de négocier sur les « buts de guerre » présentés à Winston Churchill par Joseph Staline en juillet 1941 (retour aux frontières européennes de l’ancien empire atteintes en 1939-1940) : une sphère d’influence soviétique limiterait l’américaine ; le financier Averell Harriman, ambassadeur à Moscou, pensait en 1944 que l’appât d’une aide économique à l’URSS ruinée « éviterait le développement d’une sphère d’influence (...) soviétique sur l’Europe orientale et les Balkans ».

Mais il fallut compter avec Stalingrad, où s’étaient affrontés depuis juillet 1942 « deux armées de plus d’un million d’hommes ». La soviétique gagna cette « bataille acharnée » – suivie au jour le jour par l’Europe occupée – « dépassa[n]t en violence toutes celles de la première guerre mondiale (...) pour chaque maison, chaque château d’eau, chaque cave, chaque morceau de ruine ». Sa victoire « mit l’URSS sur la voie de la puissance mondiale », comme celle « de Poltava en 1709 [contre la Suède] avait transformé la Russie en puissance européenne ».

La véritable ouverture du « second front » traîna jusqu’en juin 1944, période à laquelle l’avance de l’Armée rouge – au-delà des frontières soviétiques de juillet 1940 – exigea la répartition des sphères d’influence. La conférence de Yalta, en février 1945, sommet des acquis de l’URSS, belligérant décisif, ne résulta pas de la ruse de Staline spoliant la Pologne martyre contre un Churchill impuissant et un Roosevelt mourant, mais d’un rapport de forces militaires.

Ce dernier bascula alors dans la course-poursuite négociée de reddition de la Wehrmacht « aux armées anglo-américaines et de report des forces à l’Est » : fin mars, « 26 divisions allemandes demeuraient sur le front occidental (...) contre 170 divisions sur le front de l’Est (16) », où les combats firent rage jusqu’au bout. En mars-avril 1945, l’opération Sunrise ulcéra Moscou : le chef de l’Office of Strategic Services (ancêtre de la CIA) à Berne, le financier Allen Dulles, y négocia avec le général SS Karl Wolff, chef de l’état-major personnel de Himmler, responsable de l’assassinat de 300 000 juifs, la capitulation de l’armée Kesselring en Italie. Mais il était politiquement exclu que Berlin revînt aux Occidentaux : du 25 avril au 3 mai, cette bataille tua encore 300 000 soldats soviétiques. Soit l’équivalent des pertes américaines totales (292 000), « militaires uniquement », des fronts européen et japonais de décembre 1941 à août 1945 (17).

Selon Jean-Jacques Becker, « mis à part qu’elle s’est déployée sur des espaces bien plus vastes, mis à part le coût extravagant des méthodes de combat surannées de l’armée soviétique, sur un plan strictement militaire, la seconde guerre a été plutôt moins violente que la première (18) ». C’est oublier que la seule URSS a perdu la moitié des victimes de l’ensemble du conflit de 1939-1945, du fait notamment de la guerre d’extermination que le IIIe Reich avait planifiée pour y liquider, outre la totalité des juifs, de 30 à 50 millions de Slaves (19). La Wehrmacht, fief pangermaniste aisément nazifié, tenant « les Russes [pour] des « asiates » dignes du mépris le plus absolu », en fut l’artisan essentiel : sa sauvagerie antislave, antisémite et antibolchevique, décrite au procès de Nuremberg (1945-1946), mais longtemps tue à l’Ouest et récemment rappelée en Allemagne par des expositions itinérantes (20), priva l’URSS des lois de la guerre (conventions de La Haye de 1907).

En témoignent ses ordres : décret dit « du commissaire » du 8 juin 1941 prescrivant l’exécution des commissaires politiques communistes intégrés à l’Armée rouge ; ordre de « ne pas faire de prisonniers » qui causa l’exécution sur le champ de bataille, combats terminés, de 600 000 prisonniers de guerre, étendu en juillet aux « civils ennemis » ; ordre Reichenau d’« extermination définitive du système judéo-bolchevique », etc. (21). Ainsi 3,3 millions de prisonniers de guerre, soit plus des deux tiers du total, subirent en 1941-1942 la « mort programmée » par la famine et la soif (80 %), le typhus, le travail-esclave. Des prisonniers « communistes fanatiques » livrés à la SS furent les cobayes du premier gazage au Zyklon B d’Auschwitz, en décembre 1941.

La Wehrmacht fut avec les SS et la police allemande un agent actif de la destruction des civils, juifs et non-juifs. Elle aida les Einsatzgruppen SS chargés des « opérations mobiles de tueries » (Raul Hilberg), comme celle perpétrée par le groupe C dans le ravin de Babi Yar, fin septembre 1941, dix jours après l’entrée de ses troupes à Kiev (près de 34 000 morts) : un des innombrables massacres perpétrés, avec des « auxiliaires » polonais, baltes (lettons et lituaniens) et ukrainiens, décrits par le poignant Livre noir d’Ilya Ehrenburg et Vassili Grossman (22).

Slaves et juifs (1,1 million sur 3,3) périrent dans des milliers d’Oradour-sur-Glane ainsi que dans les camps. Les neuf cents jours de siège de Leningrad (juillet 1941-janvier 1943) tuèrent 1 million d’habitants sur 2,5, dont « plus de 600 000 » durant la famine de l’hiver 1941-1942. Au total, « 1 700 villes, 70 000 villages et 32 000 entreprises industrielles furent rasés ». Un million d’Ostarbeiter (travailleurs de l’Est) déportés vers l’Ouest furent épuisés ou anéantis par le travail et les sévices des SS et des kapos dans les kommandos des camps de concentration, mines et usines des Konzerne et des filiales de groupes étrangers, tel Ford, fabricant des camions 3 tonnes du front de l’Est.

Le 8 mai 1945, l’URSS exsangue avait déjà perdu le bénéfice de la « Grande Alliance » qu’avait imposée aux Anglo-Américains l’énorme contribution de son peuple, sous les armes ou non, à leur victoire. Le containment de la guerre froide, sous l’égide de Washington, pouvait renouer avec le cordon sanitaire, première guerre froide que Londres et Paris avaient dirigée de 1919 à 1939.

Annie Lacroix-Riz.

Professeur d’histoire contemporaine, université Paris-VII, auteure des essais Le Vatican, l’Europe et le Reich 1914-1944 et Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Armand Colin, Paris, 1996 et 2006.

NOTES

(1) « 1947-1948. Du Kominform au “coup de Prague”, l’Occident eut-il peur des Soviets et du communisme ? », Historiens et géographes (HG) n° 324, août-septembre 1989, pp. 219-243.

(2) Diana Pinto, « L’Amérique dans les livres d’histoire et de géographie des classes terminales françaises », HG, n° 303, mars 1985, pp. 611-620 ; Geoffrey Roberts, The Soviet Union and the Origins of the Second World War, 1933-1941, Saint Martin’s Press, New York, 1995, introduction.

(3) Lire aussi Geoffrey Roberts, op. cit., p. 95-105, et Gabriel Gorodetsky, « Les dessous du pacte germano-soviétique », Le Monde diplomatique, juillet 1997.

(4) Sauf indication, les sources citées ici se trouvent dans les archives du ministère français des affaires étrangères ou de l’armée de terre (SHAT) et les archives publiées allemandes, britanniques et américaines. Quant aux nombreux livres, souvent peu connus en France, sur lesquels s’appuie cet article, le lecteur en trouvera une large bibliographie sur le site.

(5) NDLR : Comme de nombreuses « marches », la Galicie est passée, à travers l’histoire, entre les mains russes, mongoles, polonaises, lituaniennes, autrichiennes et, à nouveau, russes et polonaises. En 1919, lord Curzon avait attribué la Galicie orientale à la Russie (ligne Curzon).

(6) Winston Churchill, Mémoires, vol. I, The Gathering Storm, Houghton Mifflin Company, Boston, 1948, p. 346.

(7) Lettre à Guy de la Chambre, ministre de l’air, Moscou, 29 août 1939 (SHAT).

(8) Michael J. Carley, 1939, The Alliance That Never Was and the Coming of World War 2, Ivan R. Dee, Chicago, 2000, pp. 256-257.

(9) Lettre 771 de Charles Corbin, Londres, 28 octobre 1939, archives du Quai d’Orsay (MAE).

(10) Dov Levin, The lesser of two evils : Eastern European Jewry under Soviet rule, 1939-1941, The Jewish Publications Society, Philadelphia-Jérusalem, 1995.

(11) Lire notamment les ouvrages déjà cités de Geoffrey Roberts et Gabriel Gorodetsky mais aussi Bernhard H. Bayerlin et al., Moscou-Paris-Berlin, 1939-1941, Taillandier, Paris, 2003. La communiste libertaire Margarete Buber-Neumann a accusé, dans ses Mémoires, le régime soviétique d’avoir livré des antifascistes allemands à la Gestapo.

(12) Charles Higham, Trading With the Enemy 1933-1949, Delacorte Press, New York, 1983 et Industriels et banquiers français sous l’Occupation, Armand Colin, Paris, 1999.

(13) Geoffrey Roberts, op. cit., pp. 122-134 et 139.

(14) La Délégation française auprès de la commission allemande d’armistice de Wiesbaden, 1940-1941, Imprimerie nationale, Paris, vol. 4, pp. 648-649.

(15) NDLR. Ces purges sont considérées comme ayant considérablement affaibli l’Armée rouge.

(16) Gabriel Kolko, The Politics of War, Random House, New York, 1969, chap. 13-14.

(17) Pieter Lagrou, dans Stéphane Audoin-Rouzeau et al., dir., La Violence de guerre 1914-1945, Complexe, Bruxelles, 2002, p. 322.

(18) Ibid., p. 333.

(19) Götz Aly et Susanne Heim, Vordenker der Vernichtung, Hoffmann und Campe, Hambourg, 1991, résumé par Dominique Vidal, Les historiens allemands relisent la Shoah, Complexe, Bruxelles, 2002, pp. 63-100.

(20) Edouard Husson, Comprendre Hitler et la Shoah, PUF, Paris, 2000, p. 239-253.

(21) Omer Bartov, German Troops, MacMillan, Londres, 1985, L’Armée d’Hitler, Hachette Pluriel, Paris, 1999 et Tom Bower, Blind Eye to Murder, André Deutsch, Londres, 1981.

(22) Actes Sud, Arles, 1995.


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