Front populaire, CNR, Programme commun, Gauche plurielle, Front de gauche : quel dénominateur commun, quelles différences ? Table ronde Corbière (PG) Malaisé (GU) Dauliac (PCF)

dimanche 24 mai 2015.
 

Alexis Corbière Ces expériences importantes se situent à des moments différents mais elles ont en commun d’être liées à de grandes mobilisations sociales. Les grandes conquêtes de 1936 sont obtenues parce que la victoire électorale est suivie d’une grève générale qui permet d’aller plus loin que le programme du Front populaire. Le programme du CNR s’appuie sur l’engagement populaire dans la lutte contre le nazisme. En 1981, la victoire de François Mitterrand fait suite au Programme commun qui, lui-même, a ses racines dans la grande grève de Mai 68. Idem en 1997, la victoire de la Gauche plurielle est l’effet différé de la grève de novembre-décembre 1995.

Quant au Front de gauche, son acte de naissance est dans la formidable mobilisation contre le traité constitutionnel européen. C’est là que nous nous sommes connus les uns les autres, que nous avons acquis la conviction que la gauche de transformation sociale, celle qui refuse la construction libérale de l’Europe, est majoritaire dans le peuple de gauche. Le Front de gauche veut donc contester la direction de la gauche aux sociaux-libéraux en articulant accord politique entre formations et mobilisation populaire. En cela il est dans la continuité des expériences politiques précédentes.

Céline Malaisé Et ces expériences posent toutes la question de la capacité à durer. En novembre 1938 après l’échec de la grève générale, la gauche ne résiste pas à la pression du comité des forges et des 200 familles. À la Libération, les partis de gauche ne réussissent pas à faire la synthèse entre les intérêts de la nation et les intérêts légitimes de ceux qui la reconstruisent.

Le Parti communiste pris en porte-à-faux voit ses ministres chassés du gouvernement. En 1981, l’arrivée de la gauche au pouvoir est suivie d’une atonie du mouvement social. Et le programme commun est mis en oeuvre durant deux ans seulement. Avec la Gauche plurielle, en l’absence de programme commun, la politique menée est celle de la force dominante, le PS. Et l’inscription dans le cadre de l’Europe libérale est fatale à la gauche. La capacité à durer est une question que nous devons revisiter à l’aune de ces expériences, sous l’angle du rapport avec le mouvement populaire. Aujourd’hui la gauche est divisée en trois pôles, le Front de gauche, le PS et Europe Écologie-les Verts, qui ont des projets politiques différents. Pourtant une forte aspiration unitaire s’exprime dans les mouvements sociaux. Il est nécessaire d’y répondre car le peuple ne supporte plus le traitement de choc de Sarkozy. Nous cheminons donc sur une ligne de crête très étroite entre le besoin croissant de radicalité et ce besoin d’unité à gauche pour battre la droite.

Francis Dauliac Les victoires de la gauche ont en commun d’avoir contribué à l’émancipation des hommes et des femmes, d’avoir apporté des libertés et des droits nouveaux : congés payés, Sécurité sociale, droits syndicaux, retraite à soixante ans, sans parler des nationalisations. Elles ont aussi été synonymes de progrès économiques. Elles se situent dans des périodes de forte mobilisation du monde du travail, des intellectuels. Avec, jusqu’en 1981, un poids relativement important du Parti communiste. Depuis 1983, le social-libéralisme a pris le dessus dans la gauche.

L’objectif du Front de gauche doit donc être le rassemblement des forces vives du pays pour construire une dynamique qui permette d’inverser ce rapport de forces. Je suis d’accord avec ce qui a été dit sur la durabilité. Mais alors, il faut agir complètement différemment. Trop souvent, par le passé, les accords, les programmes se sont faits entre forces politiques. Ensuite, les gens se les appropriaient ou pas. Il faut inverser cela. Tant qu’on n’associera pas l’ensemble des acteurs à la construction de la dynamique, on n’y arrivera pas. C’est ce qu’il y a de nouveau dans le Front de gauche, la volonté d’impliquer tout le peuple dans la résolution des problèmes immédiats et dans la coélaboration de ce qu’on appelle le « programme partagé ». Le Front de gauche n’en est qu’aux prémices mais on a pu déjà vérifier lors des dernières élections que cette démarche permet au mouvement populaire de reprendre de l’ampleur et de peser.

Céline Malaisé Coélaborer implique de nouer au préalable des relations de confiance en expliquant clairement ce que l’on veut. Il est important de rappeler aussi la nécessité de respecter l’autonomie des forces du mouvement social.

Un fossé s’est créé entre les classes populaires et la gauche, cela se traduit notamment par des taux d’abstention importants. Quelles nouvelles pratiques, quelle nouvelle conception de la politique imaginez-vous pour retrouver l’implication des catégories populaires ?

Francis Dauliac Sans perspective, pas de salut. Il faut que les gens perçoivent la possibilité d’aller plus loin dans les conquêtes tout en apportant des réponses immédiates aux besoins : que fait-on contre le chômage, pour les enfants, etc. ? Et il faut que chacun se sente acteur. Cela nécessite de redéfinir les institutions et de changer les modes de scrutin. Nous devons aussi montrer notre différence : dire ce que l’on fait, faire ce que l’on dit. Car c’est la déception qui a fait gagner l’abstention dans les quartiers populaires. C’est comme cela aussi que l’on peut combattre le vote FN.

Alexis Corbière Il y a un enjeu majeur à chercher toutes les conditions pour que le peuple se ressaisisse du débat politique. Je suis inquiet qu’une fondation comme Terra Nova préconise au candidat du Parti socialiste d’abandonner les catégories populaires et de se tourner vers les classes moyennes. Il faut combattre cela. Je récuse aussi l’idée que les ouvriers voteraient FN. Le premier comportement des ouvriers, aujourd’hui, c’est l’abstention. Or celle-ci recule chaque fois qu’il y a de grands débats politiques. Cela s’est vérifié en 2005, pour le référendum sur le TCE, en 2007, pour la présidentielle. Il faut donc poser avec force la question du changement, à la fois sur le plan social et sur le plan institutionnel pour rompre avec le bonapartisme de la Ve République qui permet à un homme de concentrer les pouvoirs. Le Front de gauche doit mener la campagne présidentielle sur le thème : votez pour le dernier président de la Ve République et pour la convocation d’une assemblée constituante qui ouvre un grand débat citoyen sur d’autres institutions, d’autres modes de scrutin.

Est-il acceptable que, lorsque l’UMP obtient 30 % des voix au 1er tour, elle se retrouve avec près de 60 % des députés ? Le sentiment de ne pas être représenté alimente la dépolitisation.

Céline Malaisé La gauche doit s’adresser à l’ensemble du peuple. Les pratiques politiques à la tête de l’État, l’hyper-présidentialisation de Sarkozy, la multiplication des affaires ont creusé le fossé entre la politique et les classes populaires. Ce qui ne signifie pas qu’elles se désintéressent de la chose politique. Pendant la bataille sur les retraites, les trois quarts de la population soutenaient le mouvement social, ce qui était une façon de faire de la politique par délégation. Et les processus révolutionnaires en cours dans le monde arabe prouvent à l’ensemble des êtres humains de la planète que les hommes et les femmes sont capables, à un moment, de prendre en main leur destin.

Il faut en effet une rupture avec la Ve République. Il faut aussi repenser la notion même de citoyenneté. La démocratie au travail est une question dont la gauche doit s’emparer. Il n’est pas acceptable que la citoyenneté s’arrête à la porte de l’entreprise alors que c’est là que le salarié passe la plus grande partie de sa vie. Il est fondamental d’en finir avec cette zone d’ombre pour la démocratie.

Comment élargir le Front de gauche ? Que répondez-vous à ceux qui ne voient qu’un cartel d’organisations ?

Francis Dauliac Le Front de gauche est né, en 2009 seulement, avec la campagne de l’élection européenne. Il fallait bien que des formations politiques prennent l’initiative. En Limousin, nous n’avons pas de recette miracle mais nous avons pu élargir le Front de gauche au NPA parce que nous avons trouvé des partenaires qui n’étaient pas sur la position de leur direction nationale.

L’expérience de Limousin Terre de gauche a été un succès aux régionales puis aux cantonales. Nous avons travaillé ensemble sur des objectifs et sur un programme. Et ce contrat politique élaboré dans la transparence nous lie aux diverses catégories sociales, aux milieux politiques, syndicaux, associatifs qui se sont emparés de cette dynamique. Car des citoyens qui ne se retrouvent pas dans les partis politiques tels qu’ils sont ont pu participer et nous avons vu revenir dans le débat politique bon nombre de militants qui s’en étaient éloignés. L’offre politique nouvelle du Front de gauche rencontre une aspiration très forte à l’unité pour faire reculer les logiques libérales. Et la possibilité de reconquête politique qui a commencé à se concrétiser ouvre des perspectives. Je parlais de coélaboration, il faut en prendre le temps. On ne fait pas tout du jour au lendemain.

Céline Malaisé La multiplication des expériences locales et la pratique quotidienne des militants balayent de plus en plus le reproche que vous évoquez. L’élargissement est lié à l’implication populaire à laquelle nous sommes tous très attachés. Dans l’immédiat il doit se faire à l’ensemble des acteurs du mouvement social qui souhaitent construire avec nous un débouché politique aux mobilisations. Mais l’objectif que l’on se fixe, c’est le rassemblement le plus large possible, notamment en direction des socialistes critiques et des écologistes qui refusent l’idéologie du capitalisme vert. Car notre ambition est de mener le débat au coeur de la gauche, d’y faire prévaloir la rupture avec les logiques de renoncement. Les échéances de 2012 sont extrêmement importantes.

Nous devons nous en saisir pour lancer de façon pérenne des comités du Front de gauche ou des assemblées citoyennes - le terme importe peu. Cela pourrait se faire sur la base territoriale des circonscriptions. Ces comités pourraient faire vivre le Front de gauche de façon élargie et populaire à travers toutes les questions sociales et dans toutes les mobilisations.

Alexis Corbière Il faut sortir de la tyrannie de la vitesse même si la période nous impose de ne pas perdre de temps. Nous avons commencé par le Front de gauche pour changer l’Europe. Avec les régionales, les cantonales, nous avons franchi de nouvelles étapes. Les discussions théoriques sont importantes mais la pratique règle bien des difficultés. On apprend à se connaître, à se faire confiance, on vérifie que tout le monde est gagnant. Oui, il faut élargir le Front de gauche, en faire un grand mouvement politique, culturel et social avec des artistes, des intellectuels, des gens qui, sans nécessairement rejoindre une de ses composantes, veulent s’engager dans le processus. Il faut l’élargir à d’autres formations politiques, notamment au NPA. Qu’est-ce qui empêche de faire ailleurs ce qui s’est fait en Limousin ? Le Front de gauche doit parler toutes les langues qui contestent le libéralisme, être une force qui lie l’écologie au combat social. Cela nécessite des discussions parce qu’il ne s’agit pas d’additionner des propositions incohérentes. Mais, en deux ans, nous n’avons pas démérité. Alors que s’ouvre la séquence présidentielle-législatives, ce qui caractérise la période, c’est l’instabilité, la confusion. Le Front de gauche doit donner des réponses fermes parce qu’il y a des oreilles qui se tendent, des gens qui attendent qu’on leur parle, qu’on les aide à trouver des solutions.

Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche.

Francis Dauliac, secrétaire fédéral du PCF en Haute-Vienne.

Céline Malaisé, conseillère régionale d’Île-de-France, porte-parole de Gauche unitaire.

Table ronde réalisée par Jacqueline Sellem pour L’Humanité du 20 mai 2011


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