Le 10 mai 1981 vu par Jean-Luc Mélenchon

mardi 16 mai 2023.
 

Que faisiez-vous en mai 1981 ?

Comme tous les socialistes partisans du programme commun et de la candidature de François Mitterrand qui l’incarnait : je militais. Nous militions. Intensément. Seuls contre tous, au premier tour. Car même au PS, beaucoup s’attendaient à une défaite. Ils commentaient, inactifs et démoralisants. Certains théorisaient même déjà sur la suite et s’y préparaient. Il ne faut pas oublier que le précédent congrès du PS avait été une terrible bataille entre partisans et adversaires du programme commun et de la stratégie de l’union de la gauche. La difficulté est que cette union était mise en cause, pour des raisons diamétralement opposées et par les dirigeants du PCF et par la droite du PS. Le titre de la motion Mitterrand au congrès nous servait donc de consigne et de ligne d’action : « Tenir bon » !

Quel souvenir gardez-vous du 10 mai ?

Aucun autre que ceux de tout le monde. J’étais cependant glacé par l’immensité de l’évènement. Rappelez-vous ce que vous avez ressenti le soir du 29 mai 2005 quand vous avez appris la victoire du « Non ». Ajoutez-y un programme révolutionnaire victorieux et vous comprendrez ce que je cherche à décrire.

Qu’est-ce qui a permis le 10 mai 81 ? On présente cette victoire comme celle d’un homme ; est-ce aussi simple ?

L’homme y avait sa part. Son opiniâtreté, sa solidité intellectuelle, son art du combat avaient été décisifs. Pour le reste c’est évidemment une longue histoire très collective ! Socialement, elle s’ancre dans la grève de dix millions de travailleurs en mai 1968. Politiquement, elle a deux sources. D’abord la longue bataille des communistes à partir de 1959 avec Waldeck Rochet pour imposer à la SFIO la rupture avec les centristes et la construction de l’union de la gauche. Ensuite la refondation du PS en 1971 et la victoire de la ligne de gauche. Puis ce seront des hésitations et des tribulations dans les deux partis de gauche. La victoire a été donnée, à la fin, à ceux qui ont été ressentis comme les plus unitaires et les plus cohérents quant au programme, et à celui qui l’incarnait.

Un documentaire-fiction sur le 10 mai, réalisé par Serge Moati, explique que l’espoir était trop grand pour ne pas être déçu, qu’en dites-vous ? Est-ce que la rigueur était inévitable ?

C’est une façon de voir qui manque de la simplicité et du bons sens populaire qui était l’artisan de la victoire. Il ne faut pas accepter le fatalisme qu’elle diffuse. Mai 1981 est une révolution citoyenne qui a gelé sur pied. Mais rien n’était écrit d’avance. Ceux qui dirigeaient notre combat avaient une pratique trop institutionnelle du changement politique et social. L’implication populaire fut absente. Elle ne fut aucunement stimulée. D’un autre côté, notre analyse de l’adversaire était erronée. Le « capitalisme monopolistique d’Etat » était en voie de dépassement par le nouvel âge du capitalisme transnationalisé. La stratégie de réplique après l’agression contre notre monnaie et notre économie fut donc inadaptée. Pratique et théorie ont un impact très concret sur le travail de la gauche.

Quelles leçons tirez-vous pour le futur, 2012 ?

Il faut reconstruire solidement en s’inspirant des fondamentaux de cette victoire. Il faut un programme de rupture avec le capitalisme et une stratégie politique en cohérence. Cela implique que notre radicalité doit être concrète et que l’union de l’autre gauche en soit le vecteur. Nous avons avancé aussi vite que possible dans cette direction avec la Gauche Unitaire et le Parti Communiste depuis la fondation en commun du Front de Gauche. Fin juin nous serons en ordre de marche. Alors si tout restera à faire, du moins aurons-nous les bons outils pour ce travail.

Propos recueillis par Christiane Chombeau


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