Le renoncement d’Olivier Besancenot à la candidature pour l’élection présidentielle

jeudi 19 mai 2011.
 

Dans l’espace politique de l’autre gauche le renoncement d’Olivier Besancenot à la candidature pour l’élection présidentielle est un évènement majeur.

Il est absolument évident qu’il modifie profondément les données de notre existence dans l’élection elle-même et dans le moment politique en général. Mais plus largement, les conditions de l’élection de 2012 sont modifiées puisque celle-ci semble s’annoncer si volatile. Avant d’analyser quelques aspects de la lettre d’Olivier Besancenot, je voudrais d’abord risquer un commentaire plus personnel.

D’abord, j’ai eu du mal à croire que la nouvelle soit vraie. De façon quasi mécanique, j’ai d’abord surtout retenu du document cette affirmation d’Olivier Besancenot que le NPA devrait avoir en 2012 un candidat issu de ses rangs. C’est assez agaçant. Donc la rencontre de la veille avec la délégation du NPA et le rendez vous pris pour « continuer la discussion » sont à nouveau une manœuvre dilatoire. Tout cela ne sert à rien, une nouvelle fois, puisque la décision serait maintenue d’avoir en toute hypothèse un candidat NPA. Comme aux élections européennes, comme aux régionales, comme aux cantonales ? Des rencontres pour dire qu’on les a faites, sans lendemain, juste le temps de créer un espoir puis de le décevoir. C’est rageant.

Puis j’ai été surtout sensible à la dimension personnelle de ce que je lisais. C’est ici, bien sûr, une personne qui exprime d’abord un raisonnement politique. Mais ce raisonnement ne peut être purement abstrait pour cela même que celui qui le présente est en même temps le sujet de l’affaire en cause. Cela m’a amené jusqu’à la trame personnelle du document. J’ai senti la tension terrible de l’homme qui écrit. Il ne veut pas être le candidat permanent, trente ans durant, comme l’a été en son temps, Arlette Laguiller. Tout ce que je vais écrire à présent ne fera que rajouter à l’hommage qui est dû à l’endurance d’Arlette Laguiller. Besancenot ne veut plus d’un rôle personnel qui est un sacerdoce éreintant et rabougrissant. C’est le moment pour tous ceux qui se croient très malins quand ils invoquent à tout bout de champ les « querelles d’égo » à propos de cette élection de se demander par quel dérèglement de leur propre égo ils peuvent croire qu’être sous les projecteurs est un pur délice où l’égo s’épanouit. Foutaises ! C’est une vie sans lieu de repli, puisque tout le monde vous reconnait partout, en toutes circonstances. Dans cet espace sévit un voyeurisme écarquillé. Votre famille, vos enfants, vos voisins, vos amis d’enfance, tout peut être, à tout moment, déshabillé en public. Une meute sans principe et sans vergogne de malheureux qui vendraient leur mère pour survivre sont prêts à tout pour quelques euros de pige. Protestez-vous ? Aussitôt on vous rappelle que vous êtes un « homme public » et que chacun a « le droit de savoir ». Idiotie tirée du vocabulaire pédant des médiacrates. Non ! Nous ne sommes pas des hommes ou des femmes publics, nous sommes des personnes privées qui avons des activités publiques, ce qui n’est pas du tout pareil. Non il n’y a aucun droit à notre sujet qui excède ce qui vaut pour le commun des mortels. Pourtant, sitôt que nous protestons contre quoi que ce soit qui nous est infligé de cette façon nous sommes accusés d’avoir la « grosse tête » et de revendiquer un statut d’exception.

Le pire, je crois, de tout est l’arrivée sur la scène, comme les moustiques attirés par la lumière, des frustrés qui se réclament de connivences particulières. Ils paradent en révélant des confidences à deux balles qui pourtant vous pourrissent la vie, violent votre intimité, alimentent les fantasmes des fous qui vous écrivent des lettres pas toujours anonymes et des malades qui trainent dans la rue. Un monde où tous les coups, et surtout les plus personnels, sont permis, un monde où il faut subir à intervalles réguliers des humiliations publiques télévisées, des inquisitions sans pudeur, accepter d’être brocardé par des ignorants, méprisé par des voyous, et ainsi de suite. Avec internet sévit aussi à présent la possibilité d’envois calomnieux, qui même quand ils sont visiblement absurdes, ne vous empêchent pas de recevoir un nombre significatif de demandes de mise au point, souvent exigées sur le mode postillonnant des piliers de bistrots ou dans le registre d’une inquiétude qui à elle seule est une offense. Et pour le reste, meetings, réunions et colloques tous les week-ends, et presque tous les soirs. Sans oublier les déjeuners, diners et, depuis peu, les funestes petits déjeuners, dits « de travail ». Pour lui, Olivier Besancenot, s’ajoutent deux ou trois jours de distribution de courrier et une paye au lance pierre. Sans oublier l’obligation de tourner autour de son gosse, quand il l’a avec lui, pour éviter qu’on le lui photographie. Besancenot ne veut plus de ça et je le comprends. Pour ma part, rien dans l’action politique ne m’a jamais rebuté et rares sont les fois où je m’y suis ennuyé. Mais ce viol permanent des frontières de la pudeur et de la réserve est un corrosif qui m’a davantage blessé les trois dernières années que pendant les trente ans précédents de mon engagement politique. Qu’Olivier Besancenot aspire à reprendre une position moins exposée à ce feu et plus protégée, c’est-à-dire militante, voilà qui est le signe d’une humanité sauvegardée en lui. Qu’il soit accablé par avance d’y être condamné pour les trente prochaines années d’une élection à l’autre, je l’approuve avec l’impartialité de quelqu’un pour qui cette durée dans une fonction n’est plus envisageable.

De quel côté se tourneront les électeurs potentiels d’Olivier Besancenot ? Il n’est pas du tout assuré qu’ils se reportent sur la nouvelle candidate du NPA. Ni d’ailleurs sur qui que ce soit d’autre en particulier, à gauche. Olivier Besancenot rassemblait sur son nom, dans les urnes des présidentielles, un électorat bien plus large que celui des personnes adhérant aux idées particulières du NPA. Cet élargissement électoral lui semble d’ailleurs artificiel puisqu’il dit ne plus vouloir du substitut à l’action militante que serait une autorité acquise du seul fait de l’influence médiatique. Il écrit : « Que les idées s’incarnent ponctuellement dans un contexte social et politique déterminé, ou qu’il faille déléguer la tâche militante de la représentation publique, par un mandat précis et limité dans le temps, est une chose. Jouer des ambiguïtés du système politique et médiatique pour se substituer à l’action militante réelle au sein de la lutte de classe, en est une autre ». On comprend l’idée et, pour ma part, je la partage. La scène médiatique a une influence majeure, nous le savons bien, sur la formation des représentations mentales collectives. Mais elle ne fonctionne pas de la même manière pour l’ordre établi et pour ceux qui le contestent. La machine reproduit à longueur de journée, et jusque dans les détails de la publicité ou des mises en mots, l’idéologie dominante. La présence des contestataires permet de percer le mur ponctuellement et provisoirement. Le système récupère cette présence pour se légitimer. Il mouline un spectacle. L’illusion serait de croire autre chose. Un porte parole de gauche écouté ne peut compter sur cet effet pour faire le travail d’éducation populaire sans lequel notre ancrage durable serait rayé de la carte en peu de temps. Il faut donc certes jouer avec cette méta-réalité, l’utiliser. Il faut manipuler l’usage des médias pour inscrire dans le paysage les portraits simples et frustres que l’on nomme « l’image ». Mais sans illusions.

Cela signifie aussi qu’il est vain d’espérer échapper à l’identification d’un combat à une personne. Cela n’a jamais été possible à quelque échelle que ce soit. Dans la moindre lutte une figure émerge toujours qui la représente aux yeux de tous. Non ce n’est pas condamnable ! Tout au contraire. Cela est nécessaire pour donner un visage humain aux idées qui sont défendues. De cette façon elles sont bien plus entrainantes. Il faut être gravement imbibé d’idéologie consumériste pour ne vouloir d’une idée qu’aseptisée et débarrassée de son identité humaine. Mais voici la différence. Personnaliser la lutte, dirais-je, c’est la réduire à la personne qui la représente aux yeux des autres. L’incarner c’est autre chose. Dans ce cas la lutte, la cause et la personne sont comme le drapeau et sa hampe. Mais si l’on incarne trop longtemps et trop exclusivement une cause, alors on la personnalise. Et surtout on l’expose aux aléas des comportements individuels de la personne qui en est l’image. Donc on la réduit. Par conséquent ce que dit Olivier Besancenot après dix ans de porte parolat est parfaitement fondé. Je le dis avec la tranquillité d’esprit, encore une fois, d’un homme pour qui cette durée dans une fonction n’est plus possible. Ne vous inquiétez pas de ces références amusées au temps dont je dispose. Il vous assure seulement du fait qu’avec moi, vous êtes assurés de ne pas risquer l’inamovibilité.

Il est absurde de chercher à se projeter dans des espaces de temps où toute prévision devient une prophétie interchangeable. Nos taches sont actuelles. « Hic et nunc », comme dirait Michel Denisot, ici et maintenant. Notre partie est décisive. Serons-nous le point d’appui du rejet du système ou bien la famille Le Pen va-t-elle pouvoir faire son office de chien de garde de celui-ci ? La division de l’autre gauche nous a cloués au sol. Mais nous ne sommes pas condamnés à y rester. Le Front de gauche a franchi une à une toutes les étapes de la crédibilité et de l’ancrage. En passant la barre des dix pour cent aux élections cantonales un seuil a été franchi. Mais à tout moment, tout peut revenir au point de départ si on ne s’attache à réussir chaque étape, chaque pas. Inutile alors de faire des pronostics. La situation est si volatile que tous sont vrais en même temps. Il faut s’en tenir aux fondamentaux de l’action politique à gauche : on ne réussit que par l’ancrage dans la conscience populaire avec des messages et des méthodes claires. Un travail de fond. Et pour cela il faut un programme, une stratégie et un parti pour porter le tout. Nous avons tout cela. Nous avons le programme partagé, les partis du Front de Gauche, le rassemblement de la gauche de rupture. D’autres auront tôt fait de constater qu’ils n’en sont pas munis comme ils le croient. Dès lors nous avons surtout des taches. Ca au moins c’est du sérieux, concret et mesurable objectivement. C’est à elles que nous sommes attelés. Le travail avance. Le texte du programme partagé sera prêt d’ici à trois semaines. Puis il mènera sa vie d’abord dans la discussion avec les nouveaux partenaires du Front de Gauche et tout autant avec les citoyens et, parmi eux, les élus et syndicalistes à qui il va être donné à examiner et enrichir. Les ateliers législatifs sont l’étape suivante de cet enracinement du programme. L’accord de mise en place des candidatures aux élections législatives est, lui aussi, en très bonne voie. Avec tout cela, se rassemblera qui veut bien faire cet effort. Et persistera dans son isolement qui ne le veut pas. Mais du moins serons-nous là, conformes à nos principes, disponibles pour faire l’histoire de notre peuple. Bref nous serons en ordre de bataille fin juin. A ce moment là, la scène médiatique vibrionnera : les primaires seront en marche chez les Verts et au PS. Une folle bourrasque après laquelle ne survivront que les plus solides. Mais d’une façon ou d’une autre tout le monde sera ramené au réel, à une heure ou à l’autre. La politique absurde de l’union européenne, la frustration du peuple pillé et du pays saccagé, portent la pagaille comme l’uranium la radiation. Ca finit toujours par être mortel.


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