Emmanuel Todd, effets négatifs du libre-échange, élites dirigeantes en vase clos, perspectives politiques

vendredi 3 février 2012.
 

Rencontre Mélenchon Todd dans Arrêts sur images (video et commentaire de Jean-Luc Mélenchon)

Notre thèse sur la transversalité du précariat et la désagrégation du modèle économique dominant comme « modèle qui ne marche pas » et donc est ressenti progressivement comme illégitime est en écho du diagnostic que Todd pose dans « L’ENA hors les murs », en mars 2009 : « Ce qui est tout à fait particulier dans la situation la plus récente, ce que je décris, c’est la façon dont les effets négatifs du libre-échange Croatie 2008remontent du bas vers le haut de la société. Nous avons eu la phase des années 1980 durant laquelle c’étaient les ouvriers qui subissaient le plus. Nous avons ensuite vu le décrochage des classes moyennes inférieures au moment du traité constitutionnel européen. Nous avons vu que sur les sept dernières années, les gains d’argent dus au libre-échange ne bénéficiaient plus finalement qu’aux 1 % supérieurs de la société. […] Nous sommes confrontés à une idéologie dominante qui ne produit plus aucun bien pour aucun secteur de la société, y compris les riches !"

Parmi tout ce que j’ai lu dans son livre « Après la démocratie », et que personne ne peut se dispenser d’aller lire, je veux, pour finir, retenir à cet instant ce qu’il dit des élites dirigeantes. Elles font le lien entre le grand nombre et l’oligarchie. J’ai trouvé extraordinairement bien vue la déduction tirée de la contagion narcissique parmi ces élites. C’est une critique beaucoup plus abrupte et cruelle que tout ce que j’ai pu écrire ou dire sur le sujet. Pour lui, la classe des "éduqués supérieures" s’est autonomisé, et exerce le pouvoir pour elle-même, effaçant les clivages idéologiques. « Pour la première fois, écrit il , les "éduqués supérieurs" peuvent vivre entre eux, produire et consommer leur propre culture […] le monde dit supérieur peut se refermer sur lui-même, vivre en vase clos et développer […] une attitude de distance et de mépris vis-à-vis des masses, du peuple, et du populisme qui naît en réaction à ce mépris". Et comment ne pas applaudir cette trouvaille du regard sur des évènements qui paraissaient si peu corrélés ? "La disparition des idéologies traditionnelles renvoie chaque strate éducative, chaque profession à ses déterminations propres […] Le métier devient un objet d’identification primordiale, fragmentant encore plus finement le corps social. En 2008, les défections socialistes vers le sarkozysme ont révélé l’existence d’un métier politique indifférent à l’idéologie. […] en 1988, Franz-Olivier Giesbert ouvrait une ère nouvelle du journalisme en passant directement du Nouvel Observateur au Figaro, en véritable pionnier de la mort des idéologies dans ce milieu."

Bref, les élites n’assument pas leur rôle de guide que Todd leur attribue dans la société. Elles se coupent du peuple : "Au narcissisme individuel des membres de l’élite répond un narcissisme du groupe de l’élite, reniant ses responsabilités économiques et sociales, méprisant les humbles et enfermé dans une politique économique libre-échangiste, qui dégage des profits pour les riches et implique la stagnation puis la baisse des revenus pour les autres". Ce narcissisme s’étend à la pratique de l’engagement politique lui-même. C’est drôle et bien vu. "Le militant ancien faisait vivre Croatie 2008le Parti dans la collectivité, et vivre la collectivité par le Parti. Le militant nouveau vient pour contribuer, certes, mais surtout pour s’exprimer, "s’épanouir" personnellement. Il est, dans sa section socialiste, l’un des millions de nouveaux narcisses engendrés par la révolution éducative supérieure". Après tout cela il n’en reste pas moins que dans la critique que Todd fait des positions qu’il m’attribue, il confond élite et oligarchie. C’est banal. Tous mes détracteurs font cette confusion. J’en vois bien l’intérêt polémique pour eux. Je ne le comprends pas pour Todd. Le premier service que l’on peut rendre à l’oligarchie, c’est de l’aider à se dissimuler derrière ses paravents, sa « suite dorée », selon l’expression de Karl Marx. C’est un double tour de passe-passe, on confond élite et oligarchie puis on confond « élite sociale », le dessus du panier des salaires, et élites intellectuelles et techniciennes. M’attribuer un rejet des « élites » en général, c’est méconnaitre le cœur de mon optimisme politique. Je crois qu’une autre société peut naitre précisément parce que la masse de notre peuple est éduquée, qualifiée et dispose en son sein d’une élite technique extrêmement nombreuse.


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