Hongrie : Un laboratoire antidémocratique au cœur de l’Europe

dimanche 1er mai 2011.
 

Le gouvernement 
de Viktor Orban 
fait adopter ce 18 avril, une nouvelle Constitution qui renforcera 
la droite sur le long terme, et fait prévaloir une conception réactionnaire 
de la société.

Zoltan nous raccompagne sur le pas de sa porte  : « J’espère que vous reviendrez bientôt. Quand il n’y aura plus le Fidesz. » Le Fidesz est le parti au pouvoir. Il a remporté les élections d’avril 2010. Siégeant dans les rangs du Parti populaire européen, la formation du premier ministre Viktor Orban a fait de la Hongrie, qui préside ce semestre l’Union européenne, le laboratoire de la régression démocratique. Il en a les moyens. Avec son allié, le petit Parti populaire démocrate-chrétien, il contrôle les deux tiers du Parlement. Aujourd’hui, il fera adopter une nouvelle Constitution, qui grave dans le marbre une conception libérale et réactionnaire de la société.

Zoltan est rom. Il habite Esztergom, au nord de Budapest. Il ne s’en sort pas mal. Chômeurs depuis deux mois, il vit dans un appartement, avec sa femme, non tsigane et qui travaille. Mais pour autant, il voit la situation se dégrader. Il estime « qu’on vit moins bien que du temps du socialisme ». « Il n’y a plus de travail pour les gens sans métier », se plaint-il. Or, « la plupart des Tsiganes n’ont pas de métier, mais trouvaient à se faire embaucher dans l’agriculture, la construction ». C’est de plus en plus difficile. De plus, une ségrégation s’opère. Ici, à Esztergom, l’ancien maire Fidesz Tamas Meggyes n’a rien fait contre l’augmentation des prix de l’électricité, de l’eau, qui se sont envolés. Cela a conduit à l’expulsion de leur logement de certains Tsiganes. Ainsi, non loin de chez Zoltan, des Roms vivent maintenant dans de petites baraques, sans égouts ni ramassage des poubelles. Dans diverses villes, il n’est pas rare que les maires de droite fassent un usage courant des diatribes anti-roms.

La création d’un ennemi intérieur, l’affaiblissement des voix dissidentes tiennent lieu de feuille de route au pouvoir de Viktor Orban, qui prospère sur fond de crise économique et sociale. À Esztergom, la maire indépendante, Eva Tétényi, a été élue en octobre dernier. Les deux tiers des suffrages se sont portés sur son nom. L’ancien édile se comportait en monarque, et n’a pas digéré sa défaite. Et ce d’autant moins que – ironie du système électoral oblige –, son parti, le Fidesz, dispose d’une majorité de deux tiers dans le conseil municipal.

Arrivée au pouvoir, Eva Tétényi a mis au jour l’immense dette de la municipalité, en partie due à des investissements pharaoniques, comme cette immense piscine verte qui gâche la vue sur la capitale. La ville est capitale épiscopale de Hongrie. La dette est de 25 milliards de forints (94 millions d’euros), dont plus des deux tiers libellés en produits financiers en francs suisses. La ville n’a que 34 000 habitants. La majorité du conseil empêche la maire de gouverner. Celle-ci n’a plus les moyens d’embaucher. De mener sa politique. À chaque conseil municipal, des centaines de citoyens viennent la soutenir, en scandant des slogans hostiles à l’ancien maire Meggyes sur la place devant la mairie. D’ailleurs, dans la nuit du 8 au 9 avril, ils ont été des centaines à marcher vers Budapest, accompagnant Eva Tétényi, pour demander une nouvelle élection. Car ce blocage politique risque fort d’obliger la mairie à vendre ses bijoux de famille pour financer sa dette. Parmi les citoyens, Balasz. La quarantaine, il a été « un fervent partisan du Fidesz ». Mais « ce parti n’a pas fait ce que les gens attendent". Il est venu pour la démocratie. Cliver semble être le maître mot du Fidesz. Pourtant, « l’esprit de nos institutions pousse à la coopération entre forces politiques », s’inquiète Eva Tétényi.

Quand le Fidesz retrouve le pouvoir national en avril 2010, les finances publiques sont dans un état lamentable. Pour répondre aux objectifs du pacte de stabilité, Viktor Orban mène une politique particulièrement antisociale. Les impôts de 80% de la population ont été augmentés. Les salaires ont été gelés dans la fonction publique. Les congés maladie, l’assurance chômage ont été attaqués. Les sondages indiquent une perte de soutien.

En même temps, le pouvoir cherche à construire un rapport de forces politique de long terme. Les journalistes en ont fait les frais, avec la rédaction d’une loi liberticide sur la presse. Cette dernière crée une Haute Autorité des médias, qui jugera de la « partialité » des contenus publiés ou diffusés. Fin décembre, un journaliste de Radio Kossuth, la station nationale, Attila Mong, a organisé, à l’antenne, une minute de silence pour la liberté de la presse. « Je suis toujours sous le coup d’une procédure de discipline qui n’aboutit pas », explique-t-il. Il ne sait si elle conduira à son licenciement. Il est mis au placard, et voilà quatre mois qu’il ne peut plus exercer son métier  : « C’est comme s’ils appliquaient la loi avant son entrée en vigueur. »

La réforme de la Constitution est la dernière pièce de l’édifice visant à pérenniser le pouvoir du Fidesz. Dévoilé il y a un mois, le projet de loi fondamentale n’a été discuté «  que neuf jours au Parlement », dénonce Andros Kadar, du comité Helsinki. L’opposition n’a pas participé à sa rédaction. Pis, ce « texte affaiblit les contre-pouvoirs », analyse Andros Kadar. Mais il s’assure également que les institutions soient « contrôlées par des fidèles du Fidesz ». Le président du Conseil constitutionnel serait nommé pour… douze ans. La Constitution empêchera de mener une politique de gauche en matière sociétale  : le mariage y est défini comme « une union conjugale entre un homme et une femme ». Quant à l’avortement, il est menacé par une disposition qui dit que « la vie doit être protégée depuis sa conception ».

Les rapports de forces politiques seront durablement changés. Il faut une majorité de deux tiers pour changer la Constitution. Même s’il retournait à l’opposition, le Fidesz aurait une minorité de blocage. De plus, le gouvernement Orban a accordé la citoyenneté aux 2 millions de personnes membres des minorités hongroises en Serbie, Roumanie, Slovaquie, etc. « Un électorat qui pèsera lourd, s’inquiète Attila Vajnai, président du Parti des travailleurs-2006. La Hongrie ne compte que 10 millions d’habitants. » De moins en moins maîtres de leur avenir.

Gaël De Santis


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