21 avril, la procession des sondeurs et des médias a ressorti en grande pompe l’épouvantail du Front National

jeudi 5 mai 2011.
 

Le 21 avril, la procession des sondeurs et des médias a ressorti en grande pompe l’épouvantail du Front National. Une apothéose après des semaines de pilonnage déjà bien intenses. Mais la date du 21 avril, et le souvenir maudit, fournissent le frisson qui fait vendre. Les sondages de l’anniversaire fournissent donc de l’éditorial et du commentaire sans avoir à sortir de son bureau ni rencontrer qui que ce soit. Du coup, ici et là des petites assemblées de pétitionnaires en profitent pour faire la voiture balai en faveur d’un candidat unique socialiste. D’émouvantes pétitions et des appels poignants, cousus de fil blanc Strauss kahnien nous ont mis au pied du mur des fédérés. Mais restons zen. Ce nouvel épisode de la tentative de mise au pas de tout le paysage politique finira par épuiser sa force hypnotique. Les mouches changeront d’âne, c’est la règle de la société du spectacle. On voit bien combien tout cela tient de la mode saisonnière. Ainsi, quand une batterie de sondages Harris Interactive et Ipsos jouent d’abord les oies du Capitole : « Marine Le Pen au second tour dans tous les cas ». Avant de prédire, selon l’institut CSA, une semaine plus tard, une fois l’actualité du 21 avril passée, que Sarkozy serait au second tour dans tous les cas mais pas Marine Le Pen ! On peut aussi s’en amuser.

Fêtons donc l’anniversaire d’un sondage spectaculaire, réalisé à la même date, il y a cinq ans, le 24 avril 2006, juste avant la précédente élection présidentielle. « Le Parisien » publiait déjà en effet un « sondage qui dérange » mitonné par l’actuel directeur d’Harris Interactive. Il annonçait Ségolène Royal en tête du premier tour avec un magnifique 31 % des voix, score record pour un candidat socialiste. Bien sur elle devait l’emporter par 53% des voix au second tour ! La rubricarde du « Parisien » (journaliste qui tient la rubrique), Nathalie Segaunes, ne cessait de parsemer ses élogesintéressés de piques contre les récalcitrants du PS : « il faudra qu’ils expliquent pourquoi ils ne veulent pas de la seule candidate qui peut battre la droite ». Les faits furent assez radicalement différents. Ségolène Royal fera 26 % au premier tour et 47 au second ! Dans ce même sondage extra lucide, Le Pen était crédité de 14 %. Il fera en réalité 10 %. Et Bayrou devait faire 5 % ! Il obtint 18,5 % et failli faire basculer toute la carte politique. Bon anniversaire les voyants, les chiromanciens et les lecteurs de boules de cristal !

Gare ! Il y a quand même les « vrais arguments » ! Et notamment celui qui tue sur place les plus robustes objecteurs au pavlovien vote utile. Exemple foudroyant : la multiplication des candidats de gauche fait le lit de Le Pen au deuxième tour. Ah ! Toc ! Cloué le bec du bavard qui ne veut pas sauter dans le cerceau enflammé ! Pour ne pas reproduire le 21 avril, il faut donc limiter le nombre de candidats. C’est la condition de base. Voyons cela de plus près. Y-a-t-il un lien entre le nombre de candidats et le score du candidat de gauche le mieux placé ? Là encore c’est à la réalité des précédentes élections qu’il faut se référer. Le 21 avril 2002, il y avait 8 candidats de gauche. Jospin a péniblement dépassé les 16 %. Mais en 2007, il y en avait 7 et Royal a fait près de 26 %. Et en 1995, Jospin réalisait le plus faible score d’un socialiste au premier tour depuis 1974. Combien y avait-il de candidat à gauche ? Quatre seulement !! Les faits montrent qu’il n’y a donc pas de rapport entre le nombre de candidats et le score du candidat de gauche qui arrive en tête.

Mais, quoi ! Vous niez la percée de Marine Le Pen ? N’est-elle pas annoncée autour de 20 % des voix ? Oui, nous avons vu cela. Comparons. Voyons le passé. On peut y faire un constat simple. Ce n’est pas depuis Marine Le Pen que l’extrême droite est à 20 %. Cela fait en réalité une quinzaine d’années que c’est le cas ! A la présidentielle de 1995, l’addition des scores de Le Pen et de De Villiers au 1er tour donnait 19,74 %. A celle de 2002, l’addition des scores de Le Pen et Mégret donnait 19,2 %. La même élection voyait aussi Chasse-Pêche-Nature et tradition (CPNT) à 4,23 % et Christine Boutin à 1,19%. Les intentions de vote attribuées à Marine Le Pen ne constituent donc en rien une « percée historique ». Mais ce qui est vrai c’est que c’est la première fois qu’elle représente seule cette famille politique. L’extrême droite est unifiée en France. La force va donc à la force. Et les commentaires aveuglés suivent le mouvement en boursouflant sa réalité.

Exemple : Alerte ! La classe ouvrière serait passée à l’extrême droite ! C’est le bobard méprisant des belles personnes. Le week-end qui a suivi l’anniversaire du 21 avril, IFOP et le JDD nous ont servi du "Marine Le Pen en tête du vote ouvrier !" Caramba ! 36 % pour DSK, 15 % pour Sarkozy. Et pour moi ? 2% ! C’est pas marrant ça ? Et pour Olivier Besancenot ? 1%. Le sel de l’histoire c’est juste ça : les prolétaires sont des nazes mais pas au point d’aimer ceux qui les défendent. Les confrères ont répété. Broderie locale assurée dans chaque bonne feuille. Le FN le parti des ouvriers ? Comment ont-ils trouvé ça ? « Le Canard Enchainé » du 27 avril nous en apprend de belles à ce sujet. Le journal du dimanche qui publie ces chiffres consacre pas moins de quatre pages (dont la une) à l’enquête. Et ajoute « Le Pen champion du vote ouvrier (…) c’est ce qui ressort de notre reportage à l’usine Renault de Sandouville ». Lecture faite sur dix prolos interrogés par le JDD, deux se prononcent pour le Front National. Le reportage fait donc (très scientifiquement) tomber la statistique à 20 %… Puis Le Canard met en garde : « La population d’ouvriers – issue de l’échantillon représentatif de 911 sondés réunis par l’Ifop est inférieure à 150 personnes. Ce qui affecte les résultats d’une marge d’incertitude de 7 ou 8 points. » On pourrait aussi rajouter que les chiffres bruts n’étant pas connus il est impossible de savoir combien de personnes ont réellement répondu ni comment l’échantillon a été « redressé ». C’est un publi-sondage en quelque sorte. Tout pour la gloire du FN. Par n’importe quel moyen. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse.

Quand cette tambouille est servie à propos du vote ouvrier attribué au FN, les cuisiniers oublient toujours de mentionner qu’ils ne parlent que des ouvriers qui votent. Mais 70 % des ouvriers ne votent plus dans la plupart des scrutins. Si l’on ramène le score du FN à l’ensemble des ouvriers inscrits et pas seulement à ceux qui votent, on n’est pas à 30 % mais à 10 % voire moins. La démonstration est particulièrement claire quand on regarde les résultats des élections régionales de 2010. 69 % des ouvriers s’y sont abstenus. Parmi ceux qui ont voté, 22 % ont choisi le FN. Cela représente donc en fait que 6 % des ouvriers inscrits sur les listes électorales qui ont voté FN. Vous avez bien lu : 6 % pas 36 % ! C’est la réalité du vote effectif qui le dit ! Mais on peut bien sûr préférer la boule de cristal !

Comment comprendre ce qui se passe alors ? Dans ce qui est dit, tout serait montage ? Non, bien sur. La campagne des pavloviens ne tiendrait pas une heure si elle ne rencontrait pas un terrain favorable. Elle peut du coup l’amplifier à l’extrême, faute de résistance. Le tableau mis en scène a sa cohérence. Mais il ne faut pas se tromper de sens de lecture. La dynamique de l’extrême droite se vérifie certes dans le fait que ses adeptes sont aujourd’hui décomplexés et unis. Cette confiance en soi et cette ostentation se nourrissent de l’anémie du corps politique environnant. D’abord à cause de notre faiblesse à nous, l’autre gauche, toujours clouée au sol par notre division. Les sondages, puisque c’est à eux que se réfère l’imaginaire collectif, nous situent tout le temps entre dix et quinze pour cent des « intentions de vote » au total en additionnant Front de Gauche, NPA et LO. Mais nous sommes en miettes, à la limite chacun de la ligne de flottaison des cinq pour cent. Nous sommes donc incapables de ramener à gauche le centre de gravité du discours politique. Et ce n’est pas le PS qui le fait, Et pour cause. Il est frappant de voir à quel point il ne capte rien de la radicalité du moment. Son discours l’en coupe totalement. L’ancrage au centre droit du PS, résumé par le duel Hollande – Strauss-Kahn, va amplifier la pente. Dès lors, tout le champ politique est déséquilibré vers la droite, dans un océan d’abstention. Et à droite, la crise de l’UMP alimente directement les rangs de l’extrême droite. Voilà la dynamique globale du moment politique que nous vivons. La décrire c’est trouver le remède.

La grosse combine cousue de fil blanc du candidat unique socialiste ne peut pas nous tirer d’affaire. Si ce n’est ni le nombre de candidat à gauche, ni la percée de le Pen la cause première de notre situation, laquelle est-ce ? Evidemment le programme. La force ira à ce qui est capable de changer la vie pourrie que mène une majorité de français ! La peur du grand chambardement d’extrême droite ne fonctionnera pas. C’est tout le contraire. A force de lui attribuer tout ce qui est attendu par le peuple, comme la revanche contre les riches, le démondialisation, la laïcité et la représentation des milieux ouvriers, toutes choses fausses, les apprentis sorciers vont faire un malheur ! Ils vont fabriquer le vote kamikaze. Le vote qui veut faire sauter le système sans autre but. Mais pourquoi les élites branchouillardes jouent-elles ce jeu ? Parce qu’elles sont prisonnières de leur faiblesse et d’une illusion. Leur faiblesse c’est leur incapacité à faire vivre le moindre débat de fond puisqu’elles n’ont rien d’autre à proposer que « la seule politique possible ». Elles ne peuvent rien promettre, rien faire avancer. Elles doivent donc en rester à l’émotionnel, le people et ainsi de suite, faute de mieux. Leur illusion est de croire qu’en diabolisant les thèmes et les catégories qui leur font peur, la crainte de la stigmatisation ramènera le troupeau derrière ses bergers coutumiers. Belle erreur. Le gout du diable s’augmente de son odeur de souffre.


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