Le serment : Peter Kosminski, cinéaste, aux sources du conflit israélo-palestinien

samedi 30 avril 2011.
 

Le Serment nous plonge aux racines puis au cœur du conflit israélo-palestinien 
à travers le destin de soldats britanniques stationnés 
en Palestine en 1948. Une œuvre exigeante signée par le réalisateur britannique 
Peter Kosminsky.

Après Warriors et le Serment, on peut considérer que le sujet des vétérans compte beaucoup pour vous…

Peter Kosminsky. J’ai débuté ce voyage il y a onze ans à cause d’une lettre qu’un vétéran m’a envoyée après avoir vu mon film sur les soldats britanniques en Bosnie. Il espérait que peut-être la BBC envisagerait de faire un film sur l’expérience que lui et ses amis avaient vécue en Palestine. J’y ai pensé pendant quelques années alors que je travaillais sur d’autres sujets. Il y a huit ans, à peu près, j’ai décidé de prendre le temps de considérer ce qu’il proposait. Je ne connaissais rien au sujet. Je savais à peine que les Britanniques avaient placé des forces militaires en Palestine dans les années 1940. Nous avons entamé des recherches. Oui, les vétérans sont très importants pour moi.

La guerre semble, de la même manière, cruciale dans votre travail  ?

Peter Kosminsky. Je sais que mon travail en donne l’impression, même si j’ai réalisé de nombreux films depuis trente ans et que seuls ceux consacrés à la guerre ont suscité un peu plus d’intérêt. La raison est assez simple. Ce qui m’intéresse, c’est de faire des films sur des gens ordinaires qui sont placés dans des situations extraordinaires. La guerre est vraiment le terrain le plus extraordinaire pour ce genre de cheminement personnel. On prend un jeune de dix-huit ans qui sort à peine de l’école, n’a probablement jamais voyagé très loin de sa ville d’origine et on le transporte à l’étranger dans une zone de guerre. Il y verra peut-être son meilleur ami exploser en morceaux sous ses yeux. Six mois plus tard, lorsqu’il rentrera chez lui, personne ne se rendra compte qu’il a naturellement totalement changé à cause de cette expérience. J’ai l’habitude de parler « d’un ascenseur express pour l’âge adulte ». Oui, je suis attiré par la guerre. Non pas par fascination pour le sang, les armes. Mais, en raison de ses effets sur les êtres humains qui y participent.

Le conflit israélo-palestinien est un sujet qui suscite de violentes réactions, votre film n’y échappera probablement pas. Certains y verront une charge unilatérale

Peter Kosminsky. Je serais très attristé si quelqu’un devait considérer la série comme partisane. Je ne l’accepterai pas. Nous nous sommes battus avec l’aide de juristes pour vérifier très méticuleusement que le film est équilibré. Mais équilibré pour moi ne signifie pas que chaque scène est équilibrée mais que prise dans son ensemble la série est équilibrée. Si vous lisiez le résultat des recherches, vous le verriez. J’ai interviewé quatre-vingt-deux survivants du déploiement britannique en Palestine et leur conclusion était absolument claire et sans équivoque  : ils étaient arrivés très pro-juifs et sont partis très pro-arabes. On peut se demander pour quelles raisons et on peut même en discuter, mais c’était très clair dans leurs propos. Je devais le montrer sinon cela aurait été mentir. La série n’est pas juste un véhicule pour ma vision politique personnelle. Si j’avais voulu réaliser un projet aussi simpliste que cela, j’aurais gâché huit ans de ma vie. C’est une situation compliquée. Il y a du « bien » et du « mal » des deux côtés. C’est tellement compliqué, qu’il est même difficile de juger ce qui est « bien ». J’ai débuté comme documentariste et j’avais l’obligation de refléter cette réalité. Le personnage de Len (soldat britannique et l’un des personnages principaux dans la partie du film consacrée à 1948 – NDLR) devait faire ce voyage pour que je sois fidèle aux vétérans. Si j’étais très pro-israélien, je me serais dit  : « Peu importe le résultat des recherches, je vais conduire Len à devenir très pro-juif. » Cela serait obscène.

La série n’est pas tendre pourtant avec les autorités militaires britanniques…

Peter Kosminsky. Initialement, j’ai voulu dire aux Britanniques que le conflit israélo-palestinien était aussi leur problème. J’ai voulu leur rappeler qu’ils étaient la puissance coloniale lorsque le conflit a débuté et qu’ils avaient des responsabilités dans cela. C’est totalement oublié en Angleterre.

Vous comparez les effets de la guerre du Vietnam sur les soldats américains à ceux de la Palestine 
sur les soldats britanniques, 
quelles sont les similarités  ?

Peter Kosminsky. Quand les vétérans américains sont rentrés du Vietnam, ils n’ont pas été particulièrement bien accueillis pour une variété de raisons. Dans certains cercles, cette guerre était de plus en plus vue comme une honte et une défaite. Elle était très impopulaire auprès des jeunes aux États-Unis. Les vétérans devaient, eux, se refaire une place dans la société, quels que soient les traumatismes dont ils avaient été victimes pendant la guerre. Ils n’ont pas trouvé de gens particulièrement intéressés ou réceptifs à leurs problèmes ou fiers de ce qu’ils avaient accompli. Les vétérans britanniques de retour de Palestine ont expérimenté quelque chose de très similaire en 1948. La Grande-Bretagne, la France, l’Amérique et la Russie venaient de s’imposer au terme de la Seconde Guerre mondiale. Cette défaite en Palestine, gênante et humiliante, survient presque immédiatement après pour des centaines de milliers de soldats pourtant membres de la force militaire britannique. Le public britannique a voulu en savoir le moins possible. Les gars qui sont revenus ont vite été oubliés. On ne leur a jamais vraiment attribué un mémorial national. Jusqu’à récemment, ils n’étaient pas autorisés à marcher en formation lors du Dimanche de la mémoire qui a lieu à Londres. Traumatisés ou non par leur expérience, on leur a demandé de disparaître dans la société britannique et d’oublier.

Cette fois-ci, vous avez travaillé 
sur un conflit qui semble loin 
de son dénouement, avez-vous été impressionné par la perspective 
de ce travail  ?

Peter Kosminsky. D’ordinaire, quand je tourne des fictions contemporaines, j’essaye de recréer le conflit dans un autre pays. L’Irak au Maroc. L’Irlande du Nord au Yorkshire. La République tchèque pour la Bosnie… Sur ce film, c’était beaucoup plus difficile, car nous racontions une histoire à deux époques différentes. Israël ne ressemble, en plus, à aucun autre endroit dans le monde. À la fois du point de vue de sa géographie, des origines variées de sa population comme de son architecture. Nous avons donc décidé de tourner sur place, ce qui a été une décision courageuse car le conflit n’est pas terminé. Nous avons choisi de recourir à des acteurs juifs pour jouer les juifs et des acteurs palestiniens pour incarner les Palestiniens. Il était inévitable que certains des événements forts provoqueraient des sentiments forts dans la distribution et dans l’équipe du film. Il a fallu gérer cela au cas par cas. L’État israélien n’a pas été particulièrement accueillant. Ni enthousiaste à propos du projet. Il n’a pas essayé de nous empêcher de faire le film mais il a mis autant d’obstacles qu’il a pu sur notre chemin. Nous n’avons pu utiliser aucun bâtiment officiel. C’était toujours « non » et sans aucune explication, ce qui est toujours très frustrant. Cela a rendu ce qui était déjà un projet très ambitieux encore plus difficile. Par ailleurs, aucune équipe britannique n’avait jamais filmé en Israël auparavant. Nous avons donc dû inventer. Alors que normalement, lorsque l’on tourne à l’étranger, on trouve le dernier producteur britannique qui y a tourné, on l’invite à déjeuner et on essaye d’apprendre de toutes ses erreurs.

Vous avez créé des personnages très forts, les émotions qu’ils véhiculent submergent souvent le téléspectateur. Mais peut-on s’attaquer à un tel sujet en se focalisant uniquement sur les personnages sans éléments historiques ou géopolitiques  ?

Peter Kosminsky. J’ai pris cette décision d’abord car je suis moi-même britannique et donc un observateur extérieur de cette situation. Cela allait être l’histoire d’un groupe de soldats britanniques qui se rendent en Palestine comme des observateurs extérieurs. Nous allions voir et comprendre ce que mes deux personnages britanniques allaient voir et comprendre. Je n’ai pas essayé de donner une leçon d’histoire. J’ai essayé de réussir une fiction prenante. Inévitablement, il était nécessaire d’expliquer certaines choses, sinon la fiction, elle-même, n’aurait pas eu de sens. Il fallait donc que les personnages de Len et d’Erin se fassent expliquer des choses. Nous avons reçu beaucoup de plaintes de téléspectateurs britanniques qui regrettaient qu’Erin soit « ridiculement » naïve et se laisse confortablement raconter les choses par des gens. Cela dit, j’essaye d’éviter le procédé par lequel des gens vous racontent l’histoire. Je suis convaincu que c’est la mort de la fiction. Quand les gens ont une conversation dans une fiction, elle devrait se dérouler comme dans la vie. C’est toujours un équilibre très difficile à trouver entre raconter aux téléspectateurs ce qu’ils ont besoin de savoir et ne pas surcharger la fiction, surtout dans les premiers instants. C’est-à-dire au moment où ils vont décider de continuer à la regarder pendant des semaines ou pas.

Vous auriez pu envisager 
cette dimension en dehors 
du cadre strict de la fiction…

Peter Kosminsky. Je ne l’ai pas du tout envisagé. C’est une façon très légitime de procéder. Il y a quelques années un film, Reds, qui traitait de la révolution russe et racontait l’histoire d’un Américain, Jack Reed, contenait des interviews… Ce qui est très ardu dans une fiction, c’est d’obtenir des téléspectateurs qu’ils acceptent de croire en l’histoire. En d’autres termes, qu’ils ne soient pas distraits par les formalités des conventions de télévision et qu’ils s’immergent dans une histoire humaine qui se déroule devant leurs yeux. Je crois que lorsque l’on introduit des interviews de gens réels, on rend cela impossible. Les séquences dramatiques deviennent de simples illustrations. J’ai réalisé des documentaires dans le passé et j’en réaliserai peut-être encore un jour. Mais pour moi, la fiction est la fiction et le documentaire, le documentaire. Ce sont des genres séparés.

Vous dites que les soldats britanniques sont le cœur du sujet mais la majorité des personnages illustrent chacun la diversité des choix politiques avec, du côté israélien, des partisans de la paix mais aussi des colons fanatiques ou, du côté palestinien, des membres du Fatah comme du Hamas… Est-ce à dessein  ?

Peter Kosminsky. Nous avons effectué de nombreuses recherches pour s’assurer que de multiples points de vue soient présentés. Je ne crois pas que l’on rend service à ce qui est clairement un problème politique compliqué en suggérant qu’il existe des solutions simples. Que tout le « bien » est d’un côté et le « mal » de l’autre. Clairement, ce n’est pas le cas. Chaque bord peut nourrir des reproches légitimes et est constitué d’opinions diverses. Mon travail consiste à essayer de créer une illustration réaliste du monde. Bien sûr, j’ai sélectionné, choisi de décrire certains faits plutôt que d’autres et on peut discuter des choix individuels qui ont été les miens. À travers Omar, on entrevoit beaucoup de la perspective palestinienne mais à travers Immanuel Katz, un survivant de la Seconde Guerre mondiale qui raconte très passionnément et de manière persuasive pourquoi les juifs ont adopté la position qui est la leur, on voit la perspective israélienne. Moi, mon travail est de permettre au public d’essayer de penser de manière indépendante et d’en arriver à une conclusion personnelle.

Entretien réalisé par 
Marianne Behar, L’Humanité


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