Pleins feux sur les conditions de travail en centre commercial

jeudi 3 mars 2011.
 

Les conditions de travail au centre commercial de la Part-Dieu, à Lyon, le plus grand centre commercial d’Europe en centre-ville, sont actuellement la cible d’une étude lancée par le comité régional CGT auprès des salariés. L’initiative est une première en France et a obtenu le soutien du conseil régional de Rhône- Alpes dans sa volonté d’innover pour développer le dialogue social. « Notre axe de travail a été simple, explique Christophe Rigolet, porteur du projet au comité régional CGT, nous voulions faire ressortir les problèmes qui se posent à la santé au travail dans un centre commercial et ouvrir le débat au plus grand nombre.

Nous avons eu neuf réunions de travail auxquelles ont été invités tous les syndicats, les représentants du Medef, la direction du travail et de l’emploi… Nous avons fait un premier état des lieux puis lancé un stage de cinq jours qui a abouti à l’élaboration d’un questionnaire adressé aux salariés. Nous ne pouvons que regretter l’absence des directions patronales qui, après avoir insisté pour être tenues au courant, ne sont jamais venues et ne sont pas interessées à ce rendu d’étape. » Les résultats de l’étude menée par le cabinet Transformation sociale ont été rendus publics en ce mois de février. « 672 réponses sur 2 200 questionnaires, cela peut sembler peu important, donc peu représentatif, remarque Serge Volkoff, du Centre de recherche et d’étude sur l’âge et les populations au travail, chargé de présenter en statistiques ces résultats. Mais ce n’est pas le cas. Bien sûr, les réponses n’ont pas été tirées au sort mais quand on les compare à ce que nous savons des autres centres commerciaux, ce n’est pas très différent. Nous ne devons pas être très loin de la vérité. »

La vérité ? Les questions portaient sur les horaires de travail, la pression du temps dans le travail, les contraintes physiques, l’intérêt du travail et les relations en son sein, la clientèle, les tensions dans le travail et la santé. Il en ressort beaucoup de pénibilité physique, due aux postures et gestes répétitifs liés aux métiers, à laquelle s’ajoute, compte tenu de l’environnement, la pénibilité due à la chaleur, aux alternances de température et à l’absence de lumière naturelle. L’impossibilité d’enrichir ses connaissances et le manque de reconnaissance sont fortement ressentis. Les relations avec une clientèle qui est plus pressée que celle qui fréquente les magasins du centre-ville sont une large source d’angoisse, quelle que soit la taille du magasin.

151 personnes estiment que leurs conditions de travail ont des répercussions sur leur santé : douleurs, fatigue, troubles du sommeil, irritabilité. « L’une des agressions vient de l’environnement même du travail : les salariés sont continuellement exposés aux regards des clients mais aussi des badauds, développe Régis Guichard de Transformation sociale. Les gens travaillent dans un milieu humain confiné et continuellement bruyant avec les sonorisations du centre, celles des magasins et le brouhaha de la foule, diffus, lourd, perpétuel. Le seuil de décibels pour engager des actions de prévention n’est pas atteint, ce n’est pas la hauteur du son qui perturbe, c’est sa constance. Surtout qu’elle se conjugue à l’absence de lumière naturelle.

Vous avez 36 % des personnes qui se plaignent de l’absence de lumière et 54 % du bruit. Résultat, 72 % de ces gens souffrent de troubles du sommeil. En centre-ville vous pouvez vous dégager des contraintes du travail, sortir, marcher dans la rue, aller déjeuner ailleurs… à la Part-Dieu, n’existent pas de vrais lieux dégagés de la clientèle.

Il n’existe pas non plus de lieux de convivialité, pas de lieux collectifs. Même la tradition des pots de départ, de fête, d’anniversaire a disparu. Les salariés ne lient pas de relations sociales, d’amitiés, dans le centre. D’ailleurs, ils se connaissent peu. Il y a une crise de l’intégration : les plus anciens ont de plus en plus de mal à faire face aux besoins de formation des nouveaux entrants, à cause de l’instabilité de l’emploi, du renouvellement continu des équipes de travail. 7 enseignes ont un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail national. Et il est très souvent très difficile d’obtenir de l’employeur le nom du représentant du personnel. »

Le plus préoccupant ? Il n’y a pas de dialogue social au niveau du centre commercial proprement dit. Les entreprises respectent le droit du travail en fonction de leur taille, mais c’est insuffisant, expliquent tous les partenaires de l’étude. « Il n’existe qu’un seul CHSCT interentreprises, en France, c’est au marché de Rungis. Nous avons reçu un accueil très favorable des salariés et des responsables de boutique, remarque Christophe Rigolet, même les responsables d’enseigne sont partants, c’est au niveau au-dessus que cela coince. » Les dirigeants du centre s’occupent de la publicité, de l’accueil des enseignes. Des discussions informelles ont eu lieu avec les directions des organisations patronales, qui se retranchent derrière leur absence de responsabilité juridique. L’enjeu est donc de taille : « Il n’y aura pas de réponse juridique, ce devra être le résultat d’une négociation collective pour trouver un réceptacle juridique, conclut, pour sa part, Jean-Pierre Berthet, directeur du pôle travail à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi en Rhône-Alpes.

Tout le monde a plus à perdre à rester dans cette situation. Il faut se donner des règles, se trouver des champs d’intervention. » De son côté, Christiane Puthod, vice-présidente régionale (PCF) à l’emploi, au dialogue et à l’innovation sociale, n’entend pas lâcher prise : « Il faut jouer sur le débat et l’intelligence, interpeller les partenaires sociaux régionaux, rencontrer les patrons. La véritable richesse de l’entreprise, c’est la richesse humaine. Nous sommes décidés à prolonger l’aventure. »

ÉMILIE RIVE


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