Femmes du monde arabe au coeur du 8 mars 2011 (Tunisie, Algérie, Egypte, Iran)

mardi 1er mars 2011.
 

1) Les Tunisiennes se retrouvent au cœur des combats politiques

Par Nadia Chaabane, tunisienne, membre du Collectif national pour les Droits des Femmes.

Olympe de Gouges a été la première, au lendemain de la Révolution française, à dire  : « Une femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune. » Les femmes tunisiennes sont en droit de s’interroger sur leur place dans la société tunisienne au lendemain de ce bouleversement que connaît le pays.

La révolution tunisienne est l’expression par tout un peuple d’une soif de dignité, de liberté et de démocratie. L’égalité des droits des citoyens est la pierre angulaire du système démocratique et l’égalité femmes-hommes un préalable sans quoi il n’y a point de démocratie. Les femmes se retrouvent en Tunisie au centre d’un enjeu majeur et au cœur des combats politiques fondamentaux. Actives dans la révolution, elles s’engagent pour contribuer à la construction de la Tunisie démocratique.

Or, à y regarder de près, dans le droit tunisien actuel, malgré le principe d’égalité des citoyens (art. 6), cohabitent en vrai trois catégories de citoyens  : les hommes musulmans titulaires de droits universels, les femmes musulmanes, à qui certaines choses sont interdites de droit ou de fait (inégalité dans l’héritage, épouser un non-musulman…), et les femmes non musulmanes, qui ne peuvent hériter d’un musulman par exemple.

Pour une réelle égalité entre les citoyens, il faut que le principe d’égalité entre femmes et hommes soit consacré constitutionnellement. Cela passe obligatoirement par la séparation du politique et du religieux pour deux raisons  :

– le statut des femmes en Tunisie reste marqué par la religion, en dépit de leur rôle dans la vie civile et politique et leur participation active dans le processus de développement. Les empêchements à l’égalité juridique sont d’inspiration religieuse et les discriminations le sont également  ;

– la présence de partis politiques à référent religieux, qui cherchent à faire valoir leur vision de la société et affirment s’inscrire dans le processus démocratique. Cependant, sans garde-fous, la démocratie peut mener à la théocratie, d’autant que pour ces partis la démocratie est la loi de la majorité, un mécanisme d’accès au pouvoir et non des valeurs à défendre.

Ces partis sont prisonniers d’une pensée sclérosée et formatée par une pensée identitaire qui refuse l’égalité entre les femmes et les hommes et se cache derrière une vision culturaliste et étriquée de la société.

Dans ce contexte, des droits individualisés des femmes tunisiennes en tant que citoyennes sans considération de leur appartenance religieuse réelle ou supposée et garantis par la Constitution sont un impératif.

Depuis le 14 janvier, nous sommes face à un grand défi  : construire une Tunisie que nous voulons, c’est un chantier qui nécessite un travail sur le contenu et le contenant et qui ne tolère ni contradiction, ni opportunisme.

Or la période est complexe, les postures des acteurs politiques et leurs stratégies ne sont pas toujours lisibles. Les démocrates et progressistes doivent, au-delà des divergences sur le processus de transition démocratique, clarifier leurs positions sur ce principe pour nous central de l’égalité femmes-hommes.

Certains nous diront que les acquis des femmes tunisiennes seront préservés, ce serait une réponse qui transpire la lâcheté, car ces acquis sont inégalitaires.

D’autres diront que le pays a des priorités différentes, mais y a-t-il réellement un ordre de priorité quand il s’agit des valeurs universelles d’égalité et de liberté  ?

À tous, et surtout aux femmes, nous disons, si ce n’est pas maintenant, ce ne sera jamais.

Nadia Chaabane

2) Les algériennes aussi disent « l’oppression, ça suffit  ! » (*)

Par Feriel Lalami, APEL-Égalité (Association pour l’Égalité).s

Le début du XXIe siècle est clairement marqué par les aspirations démocratiques en œuvre dans le monde arabe  : révolutions démocratiques en Tunisie et en Égypte et mouvements protestataires dans d’autres pays. Dans cet élan vers la liberté, les femmes algériennes ne sont pas en reste. Dès les années 1980, elles manifestaient publiquement pour revendiquer des lois égalitaires. Par ce geste politique précurseur, elles exprimaient les demandes de liberté, d’égalité et de justice exprimées aujourd’hui par les peuples arabes. C’est que les Algériennes ont toujours refusé la hogra, c’est-à-dire l’oppression et l’humiliation, qu’elles subissent, notamment, à travers le code de la famille, loi implacablement discriminatoire et inégalitaire. Comment accepter au XXIe siècle que la polygamie soit légale, que le droit au divorce soit conditionné, que les mères ne bénéficient pas de l’autorité parentale, etc.  ? Comment accepter que l’État place les femmes en situation de mineures  ? Cette loi est en retrait par rapport aux configurations familiales qui se sont profondément modifiées à la suite de la scolarisation des jeunes filles, au rôle économique des femmes, qui n’est freiné que par une économie qui ne profite qu’à une minorité.

Comme dans tous les pays du monde, les femmes sont la catégorie de population où l’on trouve le plus grand nombre de précaires. Forte est leur aspiration à une économie assainie de la gangrène de la corruption, susceptible de créer des emplois et des services sociaux, dans l’éducation et la santé, et digne de citoyens.

Les Algériennes n’ont pas été épargnées pendant les années quatre-vingt-dix, années de la terreur. Elles ont su dépasser le statut de victimes pour organiser leur refus de toutes les violences, y compris les violences domestiques. Cet aspect de l’oppression, jusque-là considéré comme tabou, est affronté par nombre d’associations de femmes.

Les luttes de femmes en Algérie portent en elles l’essentiel des revendications de toute la société  : c’est une dynamique qui refuse l’oppression, du sommet jusqu’aux rapports entre les membres de la famille. Pour cette raison, les femmes ont toujours été partie prenante des luttes pour les libertés collectives, libertés de presse, d’organisation, de manifestation, libertés nécessaires pour leur organisation et leur capacité d’action.

Alors qu’aujourd’hui un grand espoir de libération anime les sociétés arabes, les femmes ne sauraient être exclues des constructions démocratiques. Elles y participent en incluant leurs forces actives et en confirmant qu’il ne saurait y avoir de véritable justice sans la reconnaissance et l’accomplissement de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes.

(*) « el hogra barakat  ! » en algérien.

Feriel Lalami

3) Égypte : mettre fin au Code du statut personnel et instaurer un état laïc

Par Sérénade Chafik, militante féministe française d’origine égyptienne.

En Égypte, les révolutionnaires ont déjà obtenu la chute de Moubarak, le système quant à lui demeure toujours en place. Actuellement nous nous retrouvons avec un ancien chef d’état renversé mais séjournant toujours dans les palais présidentiels à Charm el-Cheikh, un ancien vice-président, Omar Souleimane, siégeant toujours au palais présidentiel au Caire, un actuel premier ministre nommé par le président déchu (*) et une commission de révision de la constitution nommée par l’armée et travaillant uniquement sur les 6 articles comme l’avait décidé Moubarak  !

Entre les vendredis 4 et 11 février, la révolution a été renforcée d’une façon significative par le mouvement ouvrier  ; désormais une coalition entre la classe moyenne très instruite et la classe ouvrière donne à ce mouvement sa dimension sociale.

Le premier acquis de cette révolution est le sentiment d’appartenance au pays, la réappropriation depuis quelques jours seulement de la citoyenneté  ; terme jusqu’alors revendiqué mais jamais encore expérimenté. Une citoyenneté partagée entre musulmans et chrétiens qui côte à côte défient le pouvoir et acclament la chute du système. Une citoyenneté également partagée entre les hommes et les femmes, qui se sont retrouvés ensemble dans une mixité retrouvée avec les mêmes revendications de liberté et d’égalité sociale. Durant des années, l’Occident justifiait sa politique de soutien aux dictateurs arabes par la menace que représentaient les extrémistes religieux et l’islam politique au pouvoir.

Si en Égypte nous vivons l’ère post-islam politique, en Occident et particulièrement en France, nous assistons à un regain d’une pensée néocoloniale, archaïque, méprisante, niant tout universalisme des droits humains, exprimant sa peur de tout changement au Moyen-Orient, mettant en doute la capacité de l’Égypte à instaurer une démocratie, comme nous pouvons le lire dans les articles de certains intellectuels.

Dans le Figaro des 29 et 30 janvier, Alexandre Adler prédit une dictature intégriste au Caire, il présente aussi El Baradei, opposant à Moubarak, comme un «  pervers polymorphe  ». Dans Libération du 3 février, c’est au tour d’Alain Finkielkraut d’ironiser à propos d’El Baradei, «  l’homme de la transition démocratique ou l’idiot utile de l’islamisme  ». Quant à Bernard-Henri Lévy, il brandit le spectre de l’Iran, en faisant croire que les fondamentalistes constituent un risque avéré.

Certes en Égypte il y a des Frères musulmans, certes il y a des tensions religieuses. Bien sûr que l’Égypte est un pays très croyant, mais cette révolution est celle de la classe moyenne. Des jeunes diplômés appartenant aux 20 % de la poupulation ayant accès à Internet et qui utilisent les réseaux sociaux.

Une classe sociale prête à débattre à propos de la laïcité. Or l’article 2 de la constitution stipule que l’islam est la source première de la législation. La plupart des associations féministes réclament la révision de cet article afin de mettre fin au Code du statut personnel. Elles demandent la mise en place d’un État laïc et leur participation à la commission pour la réforme de la constitution. Les associations de défense des droits humains lancent une pétition dans laquelle elles s’interrogent et s’indignent à propos des critères selon lesquels les membres du comité constitutionnel ont été choisis. Si les critères sont l’efficacité et l’honnêteté, alors pourquoi les femmes expertes juridiques sont-elles exclues  ?

Sérénade Chafik

4) Iran. La lutte pour les droits des femmes a été et reste un levier fondamental pour la démocratie

Par Chahla Chafiq, Écrivaine iranienne (*).

Les révoltes populaires qui ébranlent aujourd’hui les pays dits arabo-musulman, poussent au-devant de la scène les revendications de liberté, de justice sociale et de démocratie. Elles balaient d’un coup toutes les théorisations sur la guerre des civilisations et tous les clichés culturalistes selon lesquels la démocratie ne serait porteuse que de valeurs occidentales. Auparavant, en juin 2009, la révolte des Iranien(ne)s – réprimée, mais persistante sous d’autres formes avait fait la démonstration de l’indéniable existence de désir de droits démocratiques au sein d’un pays où les islamistes ont emporté la révolution antidictatoriale de 1979 par la promesse faite au peuple de réaliser une alternative inédite et authentique au modèle de la démocratie dite occidentale et au modèle soviétique  : une République islamique qui articulerait les lois et les valeurs religieuses et les institutions démocratiques.

Il n’en a résulté qu’un système qui a fait du religieux le fondement d’une terreur totalitaire dans l’objectif de formater une société vraiment islamique. La répression sexiste se trouve au cœur de ce projet. En effet, l’instauration de cet ordre politico-religieux exige la consolidation de la hiérarchie sexuelle soutenue, notamment, par le Code de la famille patriarcale qui favorise la soumission des citoyen(ne)s à un ordre supposé divin dont les gouvernants seraient les délégués. Aussi, bien que les revendications de liberté et de justice sociale aient aussi été présentes dans la révolution iranienne, l’absence d’une prise de conscience et d’une lutte pour l’égalité des sexes et la liberté des femmes a mené les révolutionnaires à l’échec. Cette leçon iranienne n’est pas anecdotique. Elle renseigne sur une dialectique qui, bien que souvent ignorée, est fondamentale pour l’évolution démocratique  : le lien entre démocratie, égalité des sexes et liberté des femmes.

N’est-il pas vrai qu’en Occident même, où les idéaux démocratiques ont progressé et fait leurs preuves, la lutte pour les droits des femmes a été et reste un levier fondamental pour l’approfondissement de la démocratie  ? N’oublions pas que la lutte féministe a été nécessaire au développement des idéaux de la Révolution française qui a porté l’élan de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, tout en excluant les femmes de la citoyenneté sous des prétextes naturalistes et culturalistes. La démocratie ne peut en effet se réaliser qu’en reconnaissant les femmes comme des citoyennes égales, autonomes et libres. La lutte féministe permet ainsi de rendre réelles les valeurs formelles de l’égalité et de la liberté affichées par la démocratie. Cette lutte se poursuit encore aujourd’hui en France. Elle est aussi de plus en plus visible en Iran, où de jeunes féministes ont lancé en 2006 une campagne «  Un million de signatures pour l’abrogation des lois discriminatoires envers les femmes  ». Tout comme les mouvements des étudiants, des enseignants et des ouvriers, les féministes iraniennes subissent une répression sans relâche. Pourtant, leur lutte est de plus en plus visible en Iran, où la question des droits des femmes se situe au centre du combat pour la démocratie. Ce n’est pas par hasard si les gouvernants identifient le féminisme comme l’un des ennemis les plus dangereux de l’ordre dominant.

(*) Auteure notamment d’Islam politique, sexe et genre. 
À la lumière de l’expérience iranienne. 
PUF, mars 2011.

Chahla Chafiq


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